Le droit de Barre
Entre Aubière et Montferrand, il y a toujours eu des liens privilégiés.
Ceux-ci ont été facilités par la mitoyenneté des territoires des deux villes.
La superficie plus modeste de la justice d’Aubière (760 hectares) pourrait
expliquer que les Aubiérois se soient sentis attirés par les vastes espaces de
la riche Limagne qui s’offraient à eux sur la justice voisine de Montferrand
(2.500 hectares). Et ce dès le xvème
siècle.
Si quelques-uns de ces Aubiérois avaient quelques petits héritages sur
les terroirs montferrandais, et étaient donc propriétaires, la plupart d’entre
eux louaient leurs services, comme laboureurs, vachers ou même métayers, dans
les nombreux clos ou domaines disséminés au sud de Montferrand, de l’Oradoux à Beaulieu, puis en remontant sur la façade est, jusqu’aux Pras longs et aux Gravanches.
Au fil des siècles, cette attirance ne s’est jamais démentie. Le xxième siècle voit encore
plusieurs familles aubiéroises implantées sur ces terroirs : les Bayle,
les Bourcheix, les Gioux ou les Sudre, pour n’en citer que quelques-unes.
C’est la découverte dans les archives communales d’Aubière d’un
document de 1481, qui allait révéler les préoccupations des Aubiérois d’alors
face à un droit de barre que leur
imposaient curieusement les Montferrandais…
Sentence du châtelain de Montferrand du 14 juillet 1481 (Transcription ci-dessous) |
Le point de départ est donc cette
sentence du châtelain de Montferrand. Elle est datée du 14 juillet 1481, et
elle a été obtenue par Drevon Borraschier et Jehan Baratier, deux habitants
d’Aubière, contre les consuls de la ville de Montferrand.
Cette sentence est toute
provisoire (Voir le texte de la sentence
ci-après).
Elle fait défenses audits consuls de Montferrand de ne plus exiger le droit de barre desdits Borraschier et
Baratier et autres habitants lorsqu’ils iront labourer et exploiter les
héritages qu’ils possèdent dans la justice de Montferrand jusqu’à ce qu’il n’en
ait été autrement dit et ordonné. C’est dit, les deux Aubiérois qui se sont
transportés devant le châtelain en son château de Montferrand, ont obtenu gain
de cause, mais pour combien de temps ? Car nous n’avons pas le texte
officiel qui entérine cette sentence. Nous verrons plus loin que les effets de
cette ordonnance, si elle a existé, ont été remis en cause quelques années plus
tard.
Le droit de barre était donc une
redevance payable à l’entrée des villes pour toute marchandise y pénétrant. Le
vin ou bien les bœufs qui franchissaient les portes étaient ainsi taxés. Le
droit de barre était affermé à Montferrand par enchère publique (estrousse).
Comme nous allons le voir, il
semble que ce droit de barre ait été étendu à tout le territoire de la justice
de Montferrand.
Et c’est sans doute ce qui
provoqua le courroux des Aubiérois, rackettés
dès que leurs troupeaux paissaient dans les prés de Béaude, de Beaulieu ou ceux
de Crouël.
Il leur était impossible de venir
labourer leurs champs ou de cueillir les fruits de leurs vergers, nombreux
autour du Puy de Crouël, sans voir surgir ces « absenceurs » aux
doigts crochus.
Drevon Borraschier et Jehan
Baratier peuvent revenir à Aubière la tête haute, leur mission accomplie et
réussie. Désormais, les troupeaux aubiérois pourront pâturer en paix sur les
héritages aubiérois de Montferrand…
Ils ne semblent pas agir
seulement en leur nom propre, puisqu’il est aussi question des « autres habitants dudit Aubière » ;
ils sont vraisemblablement mandatés par le corps commun des dits habitants. Et
qui peut être chargé de cette mission importante auprès du châtelain de
Montferrand et contre les consuls de cette ville sinon les consuls d’Aubière
eux-mêmes ?...
Le
droit de Barre
Au Moyen Âge, il
fallait montrer patte blanche pour entrer à Clermont ou à Montferrand.
Encastrées dans les murailles, les portes étaient doublées d'un octroi, où il
fallait s'acquitter d'une somme sur les marchandises "importées" à
l'intérieur des remparts. Des droits de douane en somme, comme si l'octroi
marquait le passage d'une frontière.
Au XIVe siècle,
en pleine guerre de Cent ans, le roi ordonne de construire ou de réparer toutes
les murailles pour résister aux Anglais. Il fallait une contrepartie financière
à cette initiative onéreuse. Le 16 septembre 1347 (1), Philippe de Valois concède aux villes un droit de barre (ou d'octroi), c'est-à-dire le droit d'arrêter ou de
barrer aux portes de la ville farines et vins, que les forains y
transportaient, en leur faisant payer une redevance. Elle s'élève à un sol
quatre deniers pour un setier de farine de ville (58 à 62 kilos de farine
ordinaire), 2 sols pour celui de farine blanche ou fine, dix sols pour
"tonnel de vin de païz" (2).
Il est adjugé pour un an en 1406, pour deux ans en 1407, pour 3 ans en 1418,
pour 5 ans en 1440.
En 1365, Charles V le
reconduit pour trois ans. En 1389, Charles VI l'accorde pour chaque bête
de somme entrant dans la ville. Cinquante ans plus tard, c'était au tour des
draps gros et fins d'être taxés. En 1521, François 1er confirme
l'octroi de Louis XII qui permettait aux Clermontois de percevoir un
denier sur chaque cheval chargé, une maille pour un âne, une pictevine sur une
bête de quatre pieds.
Avec le temps, son taux a
varié, comme la désignation des objets taxés, mais il a toujours été
"adcensé au plus et dernier offran", c'est-à-dire mis en
adjudication. Ainsi, en 1347, on adjugea pour deux ans à un particulier la
perception de un denier sur chaque cheval "vide ou chargé" entrant
dans la ville. En 1382, un groupe de bourgeois achète la charge contre le
versement de 850 livres.
Un octroi séparait
Clermont et Montferrand et, curieusement l'édit d'union promulgué le 15 avril
1630 n'y a rien changé. Ses limites n'étaient pas modifiées et un
Montferrandais qui voulait vendre du vin ou de la viande à Clermont devait
payer les mêmes taxes d'entrée qu'un étranger.
Cette situation devait
subsister jusqu'au lendemain de la première Guerre mondiale. La révolution
industrielle et l'explosion des quartiers devaient entraîner la disparition de
l'octroi, à la fois contraignant et inefficace. Mais elle est intervenue bien
tardivement, pendant l'entre-deux guerres. Ce temps semble bien lointain
aujourd'hui, à l'heure où les communes s'unissent pour fonder une communauté
d'agglomération.
Remarques :
(1) Ambroise Tardieu.
(2) Histoire de Clermont-Ferrand de A.G.
Manry.
Sources : site officiel
de la ville de Clermont-Ferrand.
Sentence du châtelain de
Montferrand
14 juillet 1481
Transcription de la sentence en photo ci-dessus :
« Pour ceux qui ses présentes lettres verront et auront, Jehan
Loste, licencié en loi, lieutenant de monseigneur le châtelain de Montferrand,
salut procès par moi et pendant en ladite cour de la chastellenie entre Drevon
Borraschier et Jehan Baratier, habitants d’Aubière, demandeurs pour eux d’une
part, et les consuls de Montferrand défendeurs, comparant par devant Faugerat
leur procureur, d’autre partie, pour raison de ce que lesdits demandeurs
disaient que lesdits consuls par leurs fermiers et absenceurs de la barre de
Montferrand se soient contraints lesdits demandeurs [par] leurs serviteurs à
payer ladite barre, quand il y a tous leurs bœufs, chars, juments et autres
bêtes venant labourer et quérir en et dedans leurs terres et autres héritages
qu’ils avaient dans la justice du Roi et qu’ils ne devaient faire payer,
requéraient lesdits demandeurs qu’il fut inhibé et défendu audits consuls
défendeurs et leurs dits fermiers et absenceurs que dorénavant ils n’eussent à lever
ladite barre sur lesdits demandeurs en venant labourer leurs terres et en
venant quérir leurs fruits étant en leurs prés et autres héritages qu’ils ont
dans la justice de Montferrand, voulu « aud adce » et aux dépends et
par lesdits consuls audit Montferrand défendeurs ait été dit un contrat que le
Roy notre dit sire leur avait donné un truchement au barrage à le prendre et le
lever sur les entrants passant et repassant dans ladite justice juridiction et
district dudit Montferrand et que par ce lesdits demandeurs étaient tenus de
payer ladite barre en quelque manière qu’ils fussent dans ladite justice.
Concluant que, à payer celle-ci, lesdits demandeurs fussent contraints sur quoi
lesdites parties après que nous ayons apporté que lesdits consuls feraient foi
des lettres de don fait et que celles-ci vues nous [pliure de la feuille –
lecture impossible sur un gros tiers de ligne] que aujourd’huy date des présentes vues, lettres de don fait par le
Roy auxdits consuls de Montferrand, avons dit et déclaré que lesdits demandeurs
ne seront tenus de payer auxdits consuls de Montferrand ni à leurs fermiers
barriers et accenseurs aucun droit de barrage en venant labourer et quérir les
fruits de leurs terres et héritages qu’ils ont dans ladite justice de
Montferrand tant seulement et jusqu’à ce que par justice autrement en soi
ordonné ni aussi les autres habitants dudit Aubière qui ont terres ou héritages
dans la justice dudit Montferrand et sans dépens d’un autre. Fait et donné à
Montferrand sous le sceau royal de ladite chastellenie, le 14ème
jour de juillet l’an mil quatre cent quatre vingt un. »
Signé : Faugerat
© Cercle généalogique et historique
d’Aubière – Pierre Bourcheix
Aller vers :
Volet 2 : Les prés de Béaude
Volet 3 : Échanges réciproques
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