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mardi 20 mars 2012

Entre Aubière et Montferrand [2/3]


Les prés de Béaude

Les prés en pâture…
Revenons à nos… moutons, vaches, bœufs ou chevaux aubiérois qui broutent la bonne herbe des terroirs de Beaulieu.
Car c’est bien le souci des Aubiérois et surtout des Montferrandais. Ces derniers ne voient pas d’un bon œil leurs prairies et le foin qu’elles leur procurent menacés par des troupeaux pas toujours bien surveillés. Quant aux Aubiérois, ils entendaient bien faire respecter leur droit de marchage (1) pour lequel ils payaient un cens auprès des consuls de Montferrand.
Il arrive aussi que des rivalités naissent entre les domaines d’un même terroir. C’est ainsi que des troupeaux errants (non gardés) sont « saisis » par les ascenseurs ou les gâtiers (2). Ceux-là doivent alors porter leur plainte devant le châtelain de Montferrand. Celui-ci fixe une amende que doit payer le propriétaire des bêtes pour récupérer son troupeau.
Cette coutume est diversement appréciée et appliquée (3). Mais les consuls de Montferrand ne l’entendent pas de cette oreille. Lors d’un procès entre ces derniers et le Grand Prieur d’Auvergne, Commandeur de Ségur, en 1509, on tente de résoudre les différents, nés autour de la possession des prés de Béaude au terroir de Beaulieu (4) et du droit de la Commanderie de Ségur (5) d’y faire du revivre (ou regain) après la fête de sainte Marie-Madeleine (22 juillet). Chacune des parties produit des témoins, et parmi ceux-ci, des Aubiérois travaillant sur les clos montferrandais, dont je vais reprendre les déclarations.

Les cantons de Beaulieu au premier plan

…ou en regain
Il s’agit bien de cela, en effet. Quand certains propriétaires de domaines souhaitent conserver leurs prés pour le fourrage si précieux, d’autres, tenanciers de clos ou surtout les consuls de Montferrand, veulent que le droit coutumier de paître sur des terroirs dits communaux soit respecté. A chacun de convaincre. Dans ce match serré, les Aubiérois jouent dans les deux camps.

Pour le Grand Prieur d’Auvergne :
  • Antoine Legay, d’Aubière, dit que le territoire de Béaude, sive de Beaulieu, « jouxte le rif appellé de Sardelle, d’une part, la Boissonnière, sive pasturaige dudit lieu, une rase antre-deux, d’autre, une voye commune tendant de la Guesle à ladite Boissonnière, une rase entre-deux, d’autre, la grange, maison et pasturaige que fut de Françoys Pignhiac, à présent Claude Veyny, et la maison et pasturaige des Heynardz, une rase entre-deux d’autre ». Il dit aussi que les ascenseurs de Béaude faisaient paître le pré à leurs bœufs et autre bétail presque tout le mois de mai, et après y mettaient l’eau pour l’arroser et y faire « herbe temporal », et le faisaient faucher au mois de juillet ou environ, et après, il a vu que les tenanciers (métayers) gardaient l’herbe qui y croissait… et en jouissaient jusqu’à la Saint-Michel. Il n’y a jamais vu faire du revivre. Il dit que le demandeur est en possession et saisine de prohiber aux défendeurs de faire pâturer leur bétail pendant ledit temps (jusqu’à la Saint-Michel). Il ne sait si lui ou ses prédécesseurs ont prohibé expressément de ce faire aux défendeurs. Toutes les fois que le bétail des Jadon ou des Eynard était trouvé pâturant dans les prés de Béaude, il était pris, et les maîtres composaient.
·         J. Cordeix (ailleurs Cordier), d’Aubière, a été 7 ans au service de Guillaume de Compas, tenancier de Béaude. Par son commandement, il a pris quatre ou cinq fois les bœufs de Guillaume et Robert Fouchier, dits de Redon, lors demeurant en la métairie des Eynard, depuis il n’y a fait d’autres prises.
·         Antoine Bourgeois, d’Aubière, a vu souvent prendre du bétail entre la Madeleine et la Saint-Michel, mais il n’a vu ni su que pour ces prises personne ait donné quoi que ce soit.
·         Jean Pérol, dit qu’il a ouï dire que le terroir de Béaude commence au clos de Pierre Champe et va jusqu’au pré appelé le pré de Bonnefoy.
·         Michel Solier, d’Aubière, dit que le pré de Béaude a environ 20 œuvres.
·         Jacques Roddier, d’Aubière, dit que du côté de Béaude, le terroir de Croelle prend fin au Clos des Champe.
  • Jean Chambonnet, d’Aulnat, dit qu’à Béaude l’on fauchait vers la Saint-Jean et qu’ensuite on gardait les prés du bétail étranger jusqu’à la Saint-Michel, et du temps que son père était à la métairie des Jadon, ses bœufs furent pris à Béaude, et il y eut procès devant le châtelain de Montferrand. Son père fut condamné à 60 sols d’amende, sans compter les intérêts de Fonchier (alors tenancier de Béaude), qu’il lui quitta.
  • Pierre Chambon, de Fayet, dit qu’il a ouï dire aux valets de Michel Ribeyre, tenancier dudit pré, aux environs de la Saint-Jean, mais ne sait quelle Saint-Jean, que les hûches ou gâtiers de Montferrand menèrent paître audit pré certain nombre de bétail sans que ledit Ribeyre leur dit aucune chose. [hûche (ou uche, uchier) : crieur public. Il était parfois utilisé pour parcourir les rues en criant : « Réveillez, réveillez-vous et priez pour les Trépassés ». En l’occurrence, il était sans doute associé au gâtier pour mener les troupeaux communaux aux prés et les garder… ?]
  • Jean Ribeyre dit que quatre jours après la Madeleine, il vit Raymond Pelisson avec un sergent de Montferrand et autres qui menaient grand nombre de bétail qu’ils firent paître dans Croelle, et de là dans le pré que tient Michel Ribeyre. Il leur remontra qu’ils gâtaient l’herbe, ce à quoi ils répondirent qu’il les laissait faire, et il ne résista pas, vu qu’ils étaient en grand nombre, et ensuite lesdits de Montferrand s’en retournèrent sans faire de violence.

Pour les consuls de Montferrand :
·         Etienne Rancon, d’Aubière, a demeuré 10 ou 12 ans dans la métairie de Claude Veyny, seigneur de Belisme, à Beaulieu, et encore la tient. Il a fait pâturer son bétail dans les prés de Beaulieu et même dans celui que l’on dit appartenir audit Commandeur à Béaude, lequel est notoirement du tènement de Croelle. Les habitants de Montferrand en ont joui au vu et au su du demandeur et de ses ascenceurs.
·         Michel Oby, d’Aubière, dit que, depuis 40 ans environ, il a fréquenté en la maison de feu Jean Eynard, tant du vivant dudit Eynard que de ses frères, mère et femme, et aussi des hoirs de feu Louis Bonhomme dit Lameulh, qu’il a servi comme vigneron et aussi ledit Eynard, comme métayer en sa métairie de Beaulieu, près Béaude. Le terroir de Croelle s’étend jusqu’à Sarliève au midi, au chemin de Sarliève à Montferrand de nuit et jusqu’aux justices de Cornon et de Lempdes de jour. Il a vu les habitants de Montferrand faire pâturer leur bétail dans tout le territoire de Croelle, sans aucune contradiction et pareillement ceux de Beaulieu aller faire pâturer chez leurs voisins, comme les tenanciers des Eynard à Béaude, ceux du Clos de Pignat qui est à présent à M. de Belisme, ceux de l’avocat Jean Pradal, de Paul Jadon et de Pierre Champe, les uns chez les autres.
·         Léonard Chirol, de Chambois, paroisse de Mazaye, à présent demeurant à Montferrand, métayer dans la métairie de feu Messire Paul Jadon, dit que des pâturages de Montferrand, Pralong est pour les bœufs, Pracomtal pour les bêtes à bât, Croelle pour tout le bétail. Le territoire de Croelle s’étend jusqu’à Sarliève et était borné du côté du midi par un chemin venant dudit Sarliève et un autre chemin jusqu’à une croix appelée de la Garde Girbaud, et, de là la limite passe au Grenouillier et aussi (de jour) en partant de Sarliève ledit territoire de Croelle va jusqu’à un territoire appelé Les bancs de Cornon. Il y a trois ou quatre ans, Mathieu de Lherm, lors demeurant à Béaude, « faisant dangier » à lui, le déposant, parce que son bétail lui causait dommage en ses prés ; il lui donna une journée de bœufs, mais c’était en temps défensable. Il n’a vu faire aucune prise, sauf depuis le commencement du procès.
·         Jean Pérol, d’Aubière, a gagné des journées à Béaude, sous le Grand Prieur et ses prédécesseurs et aussi dans les autres métairies de Beaulieu, les gagnant à faucher, « mèdre » (moissonner, en langue d’oc), battre le blé et autrement. Lesdits territoires de Béaude et Beaulieu sont dans les appartenances de Montferrand, au terroir de Croelle qui s’étend depuis le chemin qui va de Montferrand au Grenoullier, tirant le long du chemin royal jusqu’au rif d’Artière, le suivant jusqu’au chemin appelé « Pont Chanal », qu’il suit jusqu’à une croix appelée Croix Girbaud, et de la croix jusqu’à Sarliève, du côté de nuit le lac de Sarliève, les terres d’Aubière et de Cournon et les terres de Lempdes du côté du soleil levant. Il a vu le bétail des clos de Béaude, Beaulieu et autres circonvoisins, être mené pour être abreuvé et, en allant et venant, paître les prés de Béaude et Beaulieu sans aucune garde, sans qu’il y ait jamais été fait prises.
·         Pierre Legay, d’Aubière, dit que Pralong est destiné au pâturage des bœufs labourant, Pracomtal à celui des juments à bât, Croelle à celui des bœufs, vaches, juments et autre bétail bovin et chevalin et au menu bétail. Pour la garde les Consuls mettent à Pracomtal un « esguetier » (homme chargé des ègues, chevaux de bât, ou leur gardien), et à Pralong un « boardier » (gardien de bœufs) ; mais à Croelle y va paître qui veut. Il n’a jamais vu faire de revivre audit tènement.
·         Guillaume Monge, de Beaumont, a demeuré au lieu de Béaude, que son oncle, Antoine Monge, le père du déposant et autres ses lignagers, ont tenu 8 ou 9 ans. Il ne sait si Béaude est du territoire de Croelle. Il sait que les métayers des Clos de Béaude et de Beaulieu, comme ceux des Jadon, de Pradal, de Veyny, pacageaient tous paisiblement en commun dans les prés de Béaude, de Beaulieu et d’autres de Croelle, depuis la fête de la Madeleine jusqu’à Notre-Dame de Mars. Les ascenseurs de Béaude ont vu plusieurs fois paître du bétail dans les prés. Plusieurs fois Frère Michel Garandel et Messire Michel Bourronnie ont dit au déposant de prendre le bétail paissant audit Béaude. Ce qu’il a fait, mais le bétail pris fut toujours relâché sans amende, « ne faire contradiction » et ni à Béaude ni ailleurs (aux alentours) on ne pouvait faire du revivre.
·         Jean Monge, de Beaumont, dit qu’il y a 13 ou 14 ans, son oncle, Antoine Monge, prit le labourage de Béaude à ferme du demandeur ou de Frère Gilbert Garandel qui avait la charge des biens de la Commanderie de Ségur. Pendant ce temps-là, le déposant et son oncle étaient indits aux tailles de Montferrand pour cause de marchage et pâturage. Dans les prés de Croelle, les bœufs et juments « de circonvoisins » de Béaude pâturent depuis la Madeleine, mais il n’y a pas vu pâturer les brebis et pourceaux avant la Saint-Michel. Il a vu jouir des pâturages de Béaude Jean Le Redont et son frère, les métayers de Jean Pradal, etc… Messire Michel Pégot dit Bourronnie, et un serviteur du demandeur, nommé Me Pierre, ont bien dit au déposant de prendre les bêtes qui viendraient pâturer aux prés de Béaude, parce qu’ils voulaient y faire du revivre, mais jamais il n’y fit prise. Comme ledit Bourronnie disait que la sauvegarde du roi était mise sur lesdits préz, les voisins se gardaient d’y aller « un peu de temps » mais après, y retournaient. En tout temps, défendu ou non, on chassait les pourceaux parce qu’ils fouillaient.
·         Antoine Lafont, d’Aubière, dit que pour garder les bœufs labourant à Pralong, les Consuls de Montferrand commettent un garde nommé le boatyer, et pour garder les bêtes à bât à Pracomtal, en commettent un autre nommé l’éguetyer. À Croelle y garde le bétail qui veut. Le déposant a loué le grand pré de Béaude avec cinq ou six habitants d’Aubière, et quand il voulut y faire du revivre, il trouva que les métayers de Beaulieu l’avaient fait manger, et ils lui dirent qu’audit pré il n’y avait pas de revivre, et depuis le déposant ne compta plus sur le revivre.

En résumé, on pourrait dire que, s’il y a coutume, elle n’est pas souvent respectée, au détriment de ceux qui veulent faire du revivre. Chacun semble faire ce qu’il veut au risque de se faire brouter le regain ou de voir son bétail saisi contre amende…

Carte de Cassini : les terroirs de Montferrand (Béaude, Beaulieu, Crouël...)

En complément

[Les consuls de Montferrand] devaient entretenir les pâturages communaux, qu’on appelait pachers communs, à Pralong, Pracomtal, Croèlle, Beaulieu et Noalhat. Par exemple le 4 août 1493 les consuls font une prise sur le ruisseau d’Artière pour arroser le pacher commun de Pralong [Cf. BB 39, 3 IV 1609, arrosage du pastural Noalhat]. Mais ne nous méprenons pas. Ces pâturages communaux ne sont pas ouverts au bétail de tout un chacun. Ils sont le bien de la ville, qui ne possède d’ailleurs souvent que le revivre ou droit de la seconde herbe. Ce droit est acensé ou donné à ferme. La première herbe appartenait au roi, seigneur de la ville. Il y avait d’ailleurs un fermier du domaine royal. Dans les temps de détresse financière la ville fut souvent tentée d’aliéner ses biens patrimoniaux. Leur fermage et, plus tard, la location de la maison de la ville, étaient les seuls revenus fonciers de la ville [Aliénés en 1602 les droits de la ville furent ensuite rachetés. La seconde herbe sur Beaulieu fut encore vendue à Monsieur Dumas en 1608, cf. aussi BB 33, 25.III.1597].
Les pauvres gens ne pouvant disposer des pâturages communaux avaient le droit de faire paître leur bétail au long des chemins et dans les guérets, mais les animaux s’aventuraient souvent dans les vignes, voire dans les champs des particuliers. C’est la tâche des gâtiers d’appréhender le bétail errant, qui n’était relâché que contre paiement d’une taxe. En 1574 on dut même engager des gâtiers supplémentaires pour empêcher le bétail errant de manger le blé en herbe (BB 20, 23.III.1574). En consulat du 18 mars 1576 on observe que le bétail ruine tout ; on décide alors de frapper d’une amende de cinquante livres ceux dont le bétail paît dans les terres, prés et vignes d’autrui. Les propriétaires sont autorisés à tuer les animaux trouvés dans leurs héritages (BB 23, 23.IV.1577). Au long des siècles ce sont toujours les mêmes récriminations suivies des mêmes sanctions. (cf. Montferrand de Charles Thiolier)

Notes :
(1) – En Basse-Auvergne, c’est un terme d’ancienne jurisprudence. C’est un droit qu’avaient les habitants de certaines paroisses limitrophes de faire paître leurs bestiaux sur les terres les unes des autres. Cens payé par un clos ou domaine pour l’utilisation du pâturage commun. Dans un compte rendu des consuls de Montferrand de 1594 (CC 277 – Archives communales de Montferrand), il est mentionné qu’un droit de marchage de 4 écus a été accordé à Michel et Antoine Dégironde d’Aubière, pour jouir des pâturages de Beaulieu.
(2) - Gâtier : A l’origine, le gâtier est un garde-champêtre : laboureur journalier, il devra prendre garde qu’aucun bétail ne vienne paistre dans la justice de Montferrand. « Pour trouver et prendre ce bestail errant, ils (les gâtiers) seront tenus faire la pourmenade parmi ladite justice… prendre le bestail et le donner aux dits sieurs consuls et aux propriétaires des héritages où le dommage aura esté fait… et ne pourront le relascher sans commandement de justice. » (Montferrand, Charles Thiolier, page 96).
(3) - « Le gastier qui prend bestail en dommage en l’heritage d’autruy, ou autre preneur d’iceluy, ne peut bailler à justice sa prinse dudict bestail, s’il n’est requis par la partie interessée de ce faire. Si partie ne veut advouer ladicte prinse, le gastier de foy ne le peut faire. » - Source : Les coustumes locales du bas et hault pays d’Auvergne (Bertrand Durand, Clairmont, 1627). Dans Coutumes d’Auvergne – Aymon et Bessian - dans un paragraphe intitulé : avarice des Montferrandais, page 910 (archives personnelles de l’auteur).
(4) - Archives Communales de Clermont-Ferrand – FF.41 (liasse), pages 556, 557, 558 et 559 (5 pièces dont 3 cahiers de 8, 48, et 52 feuillets) en 1509 et sans date (Archives Départementales du Puy-de-Dôme). Les prés de Béaude sont situés à l’extrême sud du territoire montferrandais, sur les terroirs de Beaulieu, aux confins des paroisses d’Aubière et de Cournon (voir Plan Cassini ci-dessus).
(5) - La Commanderie de Ségur à Montferrand (Ordre de Malte) : Fondée vers 1190. La chapelle fut élevée en 1280 par les soins de Chatard de Bulion, prieur du Grand Prieuré d’Auvergne (A. Tardieu dans son Grand Dictionnaire). En 1509, le Commandeur est Pierre de Montaigut. Montferrand fut longtemps le chef-lieu du Grand Prieuré d’Auvergne. En 1312, après l’abolition de l’Ordre du Temple, cette commanderie reçut en don les biens que ce dernier possédait à Montferrand (A. Tardieu).


© Cercle généalogique et historique d’Aubière – Pierre Bourcheix

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Volet 1 : Le droit de Barre


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