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mardi 30 octobre 2012

Journal économique de Jean-Baptiste André - 33



1790-1842

Toutes les semaines retrouvez ce document inédit exceptionnel
Le Journal économique du fils du dernier seigneur d'Aubière

Épisode 33
Mai 1793


Mai 1793
[Page 36]

Prix des denrées : froment 72£ ; seigle vendu 62£ ; vin vendu 7£ 5s

1- L’ancien fermier de Noyers est sorti du domaine et les nouveaux s’y sont installés.

2- On a vendu à la foire de Clermont les deux taureaux qui avaient été achetés à st André moyennant six cents vingt livres. On avait mis en foire les chevaux, des commissaires du district ont arrêté le petit et il a été estimé par Baldrau 150£, on en trouvait dix sept louis à la foire, on a retiré l’autre fort à propos.

3- Des trois pièces de petit vin qui étaient à Clermont on en a rempli deux entières et on a mis le este dans les quatre poinçons qui sont à Aubière ; ces deux pièces seront encavées ainsi que treize pièces de vin y en ayant une de vendue. Le marché de l’encavage est fait à vingt livres. On a … toutes les pièces avec le reste de celle qui a été vendue. Les deux pièces de vin vieux qui sont dans la grande cave seront placées dans la petite où il y en a autres deux d’entamées.

4- On a fait faire la rase de la grande terre le long du chemin de la foissas et on a relevé le terrain sur le bord, ce qui empêchera les bestiaux d’endommager le bled.

5- On a fait sarcler la pamoule et l’avoine où il y avait des chassides (1) ; on a payé les journées de femmes dix sols. On a fossoyé la vigne pour la 2ème fois.

6- La municipalité de Clermont a écrit une lettre pour annoncer qu’elle voulait se libérer vis-à-vis ses créanciers, et nous a invité en conséquence à déposer les titres de nos rentes entre les mains du citoyen Louirette, commissaire nommé à cet effet, pour en faire la liquidation. Ce remboursement doit se faire sur le seizième des biens nationaux vendus qui doit lui revenir en vertu de l’option qu’elle a du faire de conserver ses patrimoniaux en payant ses dettes. Nous n’avons encore remis aucun titre jusqu’à nouvel ordre.

7- Jacques Monier, à qui j’ai affermé les quatre lites au-dessous du petit pré Rougier en y comprenant l’éguille (2), a prétendu en prendre une de plus qui a été assensée à Paul Jalut. J’ai dit à celui-ci qu’il eut à la faucher et que Monier me ferait assigner s’il trouvait à redire.

8- On fait toujours quelques dégâts dans la garenne. Le meunier d’en-bas y avait conduit son cheval sous le prétexte que c’était autrefois le pré du meunier ; les moutons, en passant, mangent les bords ; les cochons y entrent souvent ; et les gens s’y promènent les dimanches.

"...on en a envoyé six septiers au moulin..."

9- Dans la crainte qu’on vint à manquer de bled, on en a envoyé six septiers au moulin de Gerzat, appartenant au fermier des Vergnes, et autres six à celui de Clermont ; il en reste quatorze dans l’arche qui ont été déclarés à la visite que les commissaires de la section sont venus faire à la maison. Ils n’en ont pas encore requis pour le marché. La municipalité d’Aubière a aussi fait une visite et n’a rien trouvé.

10- Plusieurs particuliers ont fait des fenêtres sur le jardin et sur la garenne dans l’idée que les fossés leur appartiennent. Dans la garenne, c’est Charles Dégironde le paysan (3) ; dans le jardin, ce sont Jacques Fournier (4), Michel Bourcheix dit drevou (5). Maumy (6) a aussi fait une petite fenêtre à une grange qu’il a fait bâtir sur le mur des fossés. Il a aussi pratiqué un trou pour faire écouler l’eau. Il faudra faire griller (7) toutes ses ouvertures ; j’ai fait avertir pour cela tous ces particuliers.

11- Le temps a été assez frais pendant tout ce mois ; il a plu beaucoup et a fait une gelée fort légère.


Annotations de Pierre Bourcheix :
(1) – Chassides (?) : mauvaises herbes.
(2) – Éguille : lire aiguille, pièce de bois ronde ou carrée qui sert à ouvrier ou à arrêter le passage de l’eau.
(3) – Charles Dégironde : comme son père et ses frères, il porte le sobriquet familial, paysan ou le paysan. Charles, fils de Guillaume et Jeanne Gioux, est né le 13 juillet 1764 à Aubière ; il s’est marié le 11 janvier 1791 avec Anne Monteil.
(4) – Jacques Fournier : fils de Jean et de Françoise Montel, Jacques est né en 1737, marié en 1760 avec Dauphine Thévenon.
(5) – Michel Bourcheix dit drevou : je soupçonne fortement Jean-Baptiste André de s’être trompé de prénom, car chez les drevou, il n’y a pas de Michel. C’est un prénom attaché aux Bourcheix dit Bizolle. Cependant, les Bourcheix drevou habitent bien ce quartier. On se souvient, qu’en 1790, leur maison avait brûlé. Est-ce alors un prénom d’usage, sans aucun lien avec l’état civil ? Mais, dans ce cas, de quel Bourcheix drevou s’agit-il ?...
(6) – Maumy : sans prénom, c’est assez difficile de savoir de qui il s’agit. Parmi les Maumy, mâles, vivants en 1793, seuls deux frères peuvent prétendre être celui-là : fils de François et d’Anne Pezant, ils se prénomment Antoine (marié en 1770 avec Françoise Fourcaud) et Jean (marié en 1768 avec Anne Cotterousse).
(7) – Griller : grillager.



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Un peu de puériculture [3/5]



Les billets du docteur Kyslaw – 7

Kyslaw, prononcez « qui s’lave ». C’est le pseudonyme que se donnait le bon docteur Casati qui n’avait pas de cabinet médical à Aubière, mais qui était malgré tout soucieux de la santé de ses concitoyens aubiérois et aimait prodiguer des conseils par l’intermédiaire du Bulletin paroissial d’Aubière, dans les années 1908-1913.
Nous allons, au fil des mois prochains, vous distiller quelques-uns de ses billets.

Aujourd’hui, l’allaitement au biberon…


En janvier 1911 : L’allaitement au biberon

Si pour des raisons spéciales et dont le médecin devrait être seul juge, l’allaitement artificiel est décidé, comment procédera-t-on ? Il faudra en ce cas redoubler de précautions car la santé de l’enfant, ne l’oublions pas est plus en péril désormais que s’il avait pu être allaité par sa mère. Quel lait emploiera-t-on ? Le lait généralement employé est le lait de vache, non qu’il soit le meilleur, mais il est le plus facile à se procurer. Le biberon sera toujours méticuleusement propre de même que la tétine en caoutchouc, l’un et l’autre doivent être soigneusement lavés après chaque tétée, et, dans l’intervalle, ils doivent être conservés dans une solution d’eau bouillie, salée ou boratée, et rincés à l’eau bouillie pure au moment de servir à nouveau. Inutile de dire que les biberons à tube sont formellement interdits et il est inconcevable, après tous les méfaits dont ils sont cause, que la vente n’en soit pas formellement proscrite par les pouvoirs publics.
Ce n’est qu’après le 5ème mois qu’on pourra donner le lait pur ; jusqu’à cette époque le lait sera toujours additionné d’une eau potable et autant que possible sans bactérie, c’est-à-dire sans aucun germe ; "zéro bactérie à l’analyse", tel serait l’idéal d’une eau destinée aux enfants. A l’eau on ajoute aussi un peu de sucre, ou, mieux, de sucre de lait ou lactose (20 grammes pour 1 litre d’eau). Voici les proportions à garder pendant les 5 premiers mois, 10 premiers jours : 1/4 de litre de lait pour 3/4 d’eau stérile ;
puis jusqu’à 1 mois : 1/3 de litre de lait pour 2/3 d’eau ;
au 2ème mois : moitié de chaque ;
aux 3ème et 4ème mois : 2/3 de litre de lait pour 1/2 d’eau ;
enfin au 5ème mois : 3/4 de litre de lait pour 1/4 d’eau ;
ensuite : lait pur.
Bien entendu il faut que le lait soit parfaitement sain, que la vache soit reconnue saine et non tuberculeuse: le lait doit être bien crémeux et jeune (et ici qu’il me soit permis d’ouvrir une parenthèse, car il s’agit d’une chose trop grave pour n’y point insister. Je veux parler du truquage du lait. Eh bien ! J’affirme que si la personne qui vend du lait frelaté qu’elle sait destiné à l’alimentation d’un enfant est doublement criminelle car son vol peut être aussi un assassinat. Qu’on tourne et retourne la question comme l’on voudra, que l’on invoque toutes sortes de soi-disant bonnes raisons en cette matière, il n’y a pas d’excuses ; c’est bel et bien un crime dont elle est responsable devant Dieu et devant la société, elle est responsable de maladies qui peuvent être la conséquence de ce truquage et parfois même de la mort du pauvre petit, elle est coupable d’infanticide !
Il faut dès le début discipliner l’enfant à des tétées régulières, car l’enfant, autant et même plus que la mère ou la nourrice, a besoin de repos et de sommeil.
Dès la fin de la première semaine, faites téter l’enfant toutes les 2 heures et seulement 2 ou 3 fois la nuit.
Voici les heures des repas d’un enfant, la 3ème semaine :
6 h du matin, 8 heures, 10 heures, Midi, 2 heures du soir, 4 h, 6 h, 8 h, minuit, et 3 h du matin.
Apprenez ces heures-là par cœur, soyez ponctuelles, jeunes mamans ! Et tout sera pour le mieux.


Paru dans le Bulletin paroissial d’Aubière, 1911

 





vendredi 26 octobre 2012

Place Jean-Jaurès



Histoire des rues d’Aubière

Place Jean-Jaurès

Située entre la rue des Ramacles et la rue de la République, la place Jean-Jaurès s’est d’abord appelée place de l’Île ou L'île du Massadoux (vers 1860). Le Massadou était un quartier situé entre la rue Nationale et l'Artière.
A l’origine, cette place était bordée au sud par l’Artière et au nord par le bief du moulin du seigneur, le moulin Lafayette, qui se déversait dans l’Artière au niveau de la rue de la République actuelle. Seul un sentier piétonnier, sur la rive droite de l’Artière, permettait d’accéder au quartier Saint-Étienne à l’est du bourg.

La place de l'Île sur le cadastre de 1831


Le Parlement. C'est sur l'Artière, le long de la place de l'Île, que fut aménagé ce lavoir, il y a bien longtemps... Les lavandières y venaient nombreuses. Chacune avait sa place sur la rive, de part et d'autre de la rivière. Elles ne se contentaient pas de laver leur linge sale. Elles s'invectivaient d'une rive à l'autre, élevant la voix pour se faire entendre, et refaisaient le monde. S'il arrivait que l'on se disputât, on riait aussi beaucoup. Les eaux calmes du lavoir renvoyaient cette cacophonie aux oreilles des voisins et des passants qui finirent par baptiser le lavoir de « Parlement ».

Le "Parlement"


© Cercle Généalogique et Historique d'Aubière (Pierre Bourcheix)

Crédit photo : Pierre Bourcheix



Suivez l'histoire et la généalogie d'Aubière sur :  http://www.chroniquesaubieroises.fr/


jeudi 25 octobre 2012

Des bienfaits du vin d’Auvergne au XIXème siècle



Complément à l'étude des vendanges à Beaumont et à Aubière

« Sur la viticulture et la vinification du département du Puy-de-Dôme. Rapport à son Excellence M. Rouher, ministre de l'agriculture du commerce et des travaux publics »
par le docteur Jules Guyot
In 8 broché de 88 p. A Paris à l'imprimerie Impériale, 1863

Extraits :

P. 4 : « Le vin est un aliment positif et sérieux ; il est indispensable au corps, à l'intelligence et au cœur de tout homme civilisé, de tout homme qui aspire à la vraie civilisation, c'est à dire à cette civilisation qui associe les hommes dans un esprit de service, de secours et d'affection mutuels, sans autre égoïsme, sans autre antagonisme que ceux de verser chacun, dans l'accroissement du trésor commun, le plus de force, le plus d'activité, le plus d'intelligence, le plus de dévouement, le plus d'abnégation possible de la personnalité.
Le vin, pour l'état physique du corps, remplace avantageusement la moitié du pain, c'est à dire qu'un homme adulte, ayant pour nourriture journalière deux livres de pain et deux bouteilles de vin, produira plus de travail effectif que le même homme se nourrissant avec quatre livres de pain et une bouteille de bière, ou avec deux bouteilles de bière et deux livres de pain.
Sous le rapport hygiénique, le vin, employé aux repas et comme boisson alimentaire, conjurera les fièvres endémiques, la pellagre, le crétinisme ; l'eau ni les autres boissons ne le conjureront pas. Ces résultats sont acquis et bien établis pour les fièvres, la pellagre, le crétinisme, parce que l'attention des médecins s'est portée sur les effets du vin à l'égard de ces maladies ; mais il est une foule d'autres maladies qui sont évitées ou guéries par l'usage alimentaire du vin.
Sous le rapport moral, intellectuel et spirituel, l'usage alimentaire du vin est l'inspirateur du cœur, de l'intelligence et de l'esprit ; l'histoire profane et l'histoire sacrée, l'histoire ancienne et moderne montrent cette vérité dans tout son éclat.
Celui qui boit le vin à ses repas est ouvert, franc et généreux ; celui qui boit de la bière est concentré, froid et personnel... »
Les vins rouges du département du Puy-de-Dôme (…) sont très alimentaires, très facile à digérer : ils fortifient le corps, lui impriment une activité remarquable ; ils ne troublent point le sommeil, ils n'exaltent point le cerveau, et pourtant ils donnent au cœur une grande énergie, et à l'esprit la franchise et la lucidité ».

P. 8 : « Les vins du Puy-de-Dôme sont d'une consommation très agréable, à laquelle on s'attache promptement ; ce n'est point à tort que Julien a dit que les vins de Chanturgue, le meilleurs cru des environs de Clermont, pouvait acquérir toutes les qualités (…). Je suis entièrement de son avis, non-seulement pour les vins de Chanturgue, mais pour ceux de la côte de Serre, de Dallet, de Mezel, de Saint-Bonnet, du Broc, de Châteaugay, de Saint-Maurice, de Monton, de Montjuzet, des Roches, de Buffevent, etc. Je ne suis pas moins fondé à déclarer que les vignes y sont cultivées avec une rare intelligence ».


P. 15 : « Plantation des vignes : Lorsque le sol est convenablement préparé,  la plantation de la vigne se fait le plus généralement par boutures, tantôt constituées par des sarments portant un peu de vieux bois à leur base, et alors les boutures prennent le nom de maillots, tantôt formées de simples sarments sans couronne inférieure ni vieux bois. Les vignerons ont grand soin de choisir  les boutures parmi les sarments qui ont porté fruit l'année précédente ».

P.42 : « Dans les grands vignobles du Puy-de-Dôme, on emploie, par hectare, au moins 20000 échalas de 2 m à 2 m, 35 de longueur, en saule, peuplier et sapin. Ces échalas coûtent de 30 à 50 francs le mille, en moyenne 40 francs ; ce qui constitue une avance de 800 francs et un entretien d'au moins 1/8, c'est à dire de 100 francs par an et par hectare. L'arrachage annuel des échalas et leur mise en meule, le renouvellement de leur pointe chaque année, leur mise en place à chaque printemps et leur assemblage par un lien d'osier à leur sommet, constituent des dépenses et un emploi du temps considérables ».

P. 49 : L'épamprage, le retroussage et le liage : l'épamprage comprend le pinçage (sur les bourgeons primitifs), l'ébourgeonnage ou émandronage (suppression des gourmands et bourgeons stériles) celui-ci précède le relevage des pampres et leur liage à l'échalas avec un lien de paille, le rognage (taille) et l'effeuillage (suppression des feuilles qui cachent le raisin).

P. 70 : Maladie des vignes : on ne parle que de l'oïdium, le phylloxéra n'étant pas encore apparu. On évoque aussi la brande.

P. 73-74 : « Vendanges et vinification : L'époque de la vendange dans le Puy-de-Dôme varie, suivant les années chaudes ou froides, de fin septembre à fin octobre. Le jour précis de ce grand acte, qui reste toujours une fête pour les populations vigneronnes de l'Auvergne, est encore aujourd'hui fixé par un ban dans chaque commune. Mais, dit M. Baudet-Lafarge, ce ban tend à perdre de ses rigueurs, et plus d'un maire rapporte son arrêté, si des temps contraires, une gelée intempestive, viennent jeter l'alarme parmi ses administrés. Dans les environs de Riom, selon M. Simonnet, les bans des vendanges ne fixaient pas seulement le jour de l'ouverture dans une commune, mais le jour de l'ouverture de cette vendange dans les divers quartiers du terroir ; en sorte que le propriétaire qui possédait une petite vigne dans chaque quartier ne pouvait faire sa vendange qu'à des intervalles de plusieurs jours, et compléter sa cuvée qu'en une ou deux semaines. Cette aggravation de la tradition féodale du ban de vendange, qui certainement n'avait pour objet, comme le ban lui-même, que de faciliter les opérations de prélèvements successifs des agents seigneuriaux, a été abandonné par les municipalités depuis peu de temps seulement. Je souhaite que la coutume des bans de vendange et des droits de grappillage disparaisse entièrement avec la vaine-pâture ».

P. 80-81 : « Tous ceux que j'ai goûté en cave ou sortant de cave, à Beaumont, à Aubière, à Buffevent, à Saint-Bonnet, à Mezel, à Riom, etc. étaient vraiment d'une excellente et très agréable consommation »

P. 82 :  « On fait aussi des vins de paille fort bons avec des grappes choisies et mises sur la paille en un lieu sec et chaud, par exemple dans les greniers, jusqu'en décembre et même jusqu'en mars et avril. M. Faye, maire de Beaumont, nous a fait goûter au concours un vin de paille offert à l'Empereur lors de son passage en Auvergne : ce vin était délicieux ; il avait été pressé seulement le 4 avril ».
« Les vins rouges d'Auvergne, comme je l'ai dit en commençant ce rapport, sont essentiellement digestifs, alimentaires et sains ; leur usage ne fatigue en aucune façon le système nerveux et ne troublent la tête que par un grand excès : ils sont hygiéniques au plus haut degré. Dans les marais d'Auvergne, me disait M. Talon, maire de Riom, il existait des maladies endémiques, des fièvres intermittentes, des goitres ; toutes ces affections ont disparu depuis que les habitants de ces contrées malsaines y boivent habituellement nos vins à leurs repas.
Ces vins entretiennent dans les populations une grande énergie physique et morale, une grande franchise de relations et une cordialité hospitalière évidente. J'ai pu  me convaincre directement de l'action des vins sur le moral et le physique des habitants du Puy-de-Dôme, non seulement par le bon accueil, par l'observation des actes et des conversations des propriétaires, mais encore par les paroles, les œuvres et les manifestations sympathiques des plus simples vignerons ; je citerai un seul fait à ce sujet.
M. Jaloustre et moi, après avoir parcouru les vignes de Beaumont en compagnie de M. Costes, grand propriétaire, de M. Vignol, adjoint, et de plusieurs bons vignerons, voulant arriver à Aubière, dont nous étions voisins, nous avons résisté aux instances hospitalières qui nous étaient faites, et nous sommes arrivés parfaitement inconnus dans cette dernière commune. C'était le dimanche 3 mai ; pressés de réparer nos forces par quelques aliments, nous avons pénétré dans l'unique salle de l'auberge du pays, où se trouvait sept ou huit tables ; autour étaient assis autant de groupes de vignerons déjeunant, selon leur coutume, avec leur propres vins, tirés de leur cave, et n'ayant pour tout vase à boire que chacun leur tasse d'argent. Les conversations étaient vives et gaies ; notre arrivée n'y dérangea rien. A quelques renseignements demandés par nous, il fut répondu avec obligeance, et chacun nous offrit bientôt de partager son vin avec nous ; nous en goûtâmes volontiers, et ces vins étaient droits, veloutés et fort agréables. Après notre légère restauration, les vignerons nous offrirent de nous accompagner aux vignes et de nous donner tous les renseignements que nous pourrions désirer, ce qui fut fait avec une cordialité parfaite, et je puis dire que jamais je n'ai suivi un cours pratique aussi net et aussi complet d'une viticulture locale.
Ce n'est qu'après notre excursion et notre enquête ainsi faite, sans que nous fussions connus ni recommandés, que nous sommes allés faire visite à M. Daumas, maire d'Aubière, auquel nous avons raconté notre aventure, qu'il trouva toute simple pour le pays qu'il administre.
La commune d'Aubière compte quatre mille habitants, tous vignerons ou de famille vigneronne ; leur énergie et leur puissance de travail est telle qu'ils occupent non seulement leur vignes, mais les deux tiers de celles de Clermont, et qu'ils prennent, en outre, pour les planter en vignes, des terres maigres et presque délaissées à plus de huit kilomètres de leur habitation. Ceux qui ne savent pas jusqu'où peut s'élever la somme de travail manuel de l'homme soutenu par l'usage d'un vin salutaire peuvent venir étudier cette question à Aubière et je puis dire dans tous les vignobles de Puy-de-Dôme : là ils comprendront que la plus puissante machine, la plus intelligente et la plus efficace en agriculture, c'est la machine humaine, convenablement alimentée et entraînée.
J'exprimais à M. Jaloustre mon étonnement et ma satisfaction de la conduite des vignerons d'Aubière envers deux étrangers, envers deux inconnus, et M. Jaloustre me répondit : Vous n'auriez rien vu de pareil si, au lieu de boire du vin, ces hommes buvaient de la bière ».

La vigne joue un des rôles les plus importants dans l'agriculture du Puy-de-Dôme.
Sur les 795.000 hectares qui constituent sa superficie totale, la statistique de 1852 en accuse 28.000 en vignes ; mais depuis cette époque une grande activité s'est portée sur cette culture, qui paraît s'être étendue d'un quatorzième au moins, et d'après l'opinion exprimée par des hommes compétents, à Clermont, Riom et Issoire, on reste au-dessous de la vérité en portant son étendue à 30.000 hectares.
Sur ces 30.000 hectares, beaucoup ont une valeur vénale de 25.000 francs ; très peu descendraient à un prix de vente inférieur à 5000 francs. La moyenne valeur d'un hectare de vigne, dans les trois arrondissements de Clermont, Riom et Issoire, est bien de 15000 francs. Le capital représenté par la vigne dans le Puy-de-Dôme serait donc aujourd'hui de 450 millions.
La moyenne production est de 45 hectolitres à l'hectare au moins, et le prix moyen des six dernières années est supérieur à 25 francs l'hectolitre. Le produit brut de chaque hectare de vigne serait donc de 1125 francs, et la production brute totale du département de plus de 33 millions de francs.
La dépense de culture, d'entretien et de vendange pour chaque hectare varie de 250 à 300 francs, ce qui donne, pour les 30.000 hectares, 8 millions de frais et 24 millions de revenu net, ou 5 ½ p.% du capital. Mais, pour les propriétaires laborieux et intelligents, le produit est bien plus élevé ; car le rendement des vignes de Beaumont, d'Aubière et de plusieurs autres vignobles est de vingt pots à l'œuvrée de 4 ares, ou de 75 hectolitres à l'hectare : voilà ce qui explique l'enthousiasme des travailleurs pour la vigne, car ils en tirent un parti bien au-dessus de la moyenne.

P. 86 : « Il n'est d'ailleurs aucune culture qui, même dans les plaines si fertiles de la Limagne, puisse donner un produit brut s'élevant à la moitié de celui de la vigne. Si l'on prend dans leur ensemble les 414.000 hectares de cultures de ferme, comprenant les cultures fruitières, potagères, prairies artificielles, chanvres et lins, racines, etc. et qu'on ajoute un quart en sus à la valeur de leurs produits depuis  1852, ce qui est exagéré, on trouve que le rendement brut moyen par hectare est de 192 francs. Les prairies naturelles considérées à part n'atteignent pas 200 francs de rendement par hectare ; enfin l'analyse la plus détaillée n'indique ni les racines, ni dans les plantes oléagineuses, ni dans les plantes textiles, ni dans les fruits, aucun produit qui s'approche de la moitié de celui de la vigne.
Quelques vignes sont données à ferme, un peu plus sont exploitées à mi-fruits, mais la plus grande partie des vignes est exploitée directement par les propriétaires : les unes par des ouvriers à la journée ou à prix fait ; les autres par les mains des propriétaires eux-mêmes, avec ou sans aide à la journée.
J'ai engagé et j'engage les propriétaires qui font cultiver à prix fait, par des pères de famille fixés dans le pays surtout, à leur accorder, sans autre engagement que la parole du maître et sans autre droit pour le vigneron que le contentement de celui qui l'emploie, un prix par hectolitre de vin récolté, 1 fr. 50 cent. Par hectolitre par exemple, ou bien un dixième de la récolte ; le propriétaire acquerra par cette prime tout l'intérêt et tous les soins de son ouvrier ; il l'attachera à la culture par l'émotion du drame rural : il le fera participer à ses joies dans les grandes récoltes, à ses chagrins dans les mauvaises ; en un mot il établira une sympathie, un lien solide et durable entre la propriété et le travail des champs.
Déjà plusieurs propriétaires ont suivi cette voie, et chacun d'eux que je connais m'a déclaré qu'il tirait de ce bienfait une grande satisfaction et un grand profit.

Ce qui m'a le plus frappé dans le Puy-de-Dôme et dans observations du concours de Clermont, c'est que ce département marche plus et mieux sur ses propres inspirations et par sa propre tradition, que sur les errements nouveaux et étrangers dans lesquels on a voulu le faire avancer ; il a gardé ses assolements, ses cultures à bras, ses animaux, ses instruments, sa confiance dans la petite propriété et dans les ressources que son énergique et intelligente population sait en tirer ; il ne se refuse à adopter aucun progrès réel, aucune amélioration évidente . C'est ainsi que M. Baudet-Lafarge a vu accueillir ses découvertes, ses essais et ses conseils pour les marnages ; c'est ainsi que le paysan adopte les meilleures limites dans le morcellement, dont il sait tout le prix relativement au travail humain, et tout le danger seulement à un émiettement extrême ; c'est ainsi que le colonage, ou les cultures sous l'œil et avec le concours des capitaux du propriétaire, commence à s'étendre, et c'est sur ce principe que le marquis de Pierre a établi toute une colonie, qui produit beaucoup là où la terre ne produisait presque rien, et fait vivre un grand nombre de colons là où était le désert absolu.

Je ne terminerai point ce rapport, Monsieur le Ministre, sans signaler à votre Excellence, en preuve de l'esprit et de l'originalité progressive de l'agriculture du département que je viens de visiter, deux excellents ouvrages d'agriculture : l'un, de M. Jaloustre, professeur d'agriculture à l'École normale de Clermont, chef de division à la préfecture, intitulé : Cours d'agriculture pratique, d'horticulture et d'arboriculture ; l'autre, intitulé : Agriculture du département du Puy-de-Dôme, par la Société centrale d'agriculture de ce département, sous la direction de M. Baudet-Lafarge, son secrétaire général. La vigne et la vinification y sont traitées de main de maître, et j'avoue humblement qu'ils disent plus et mieux que moi, dans beaucoup moins de mots, tout ce que j'ai voulu dire d'utile et de bon dans ce compte rendu, trop long, d'une trop courte visite dans le département du Puy-de-Dôme.
         J'ai l'honneur d'être, avec respect,
                   Monsieur le ministre,
                            De Votre Excellence,
                                      Le très-humble et très obéissant serviteur,
                                                        Dr Jules Guyot


Texte transmis par Jacques Pageix