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samedi 3 mars 2012

Le cinéma aubiérois dans le rétro




Une salle de cinéma de 299 places !… C'était à Aubière dans les années 1950-1960. Aujourd'hui, toujours à Aubière, et depuis plus de dix ans, Ciné Dôme met à l'affiche 12 salles pour 2200 sièges…

Tel un château féodal construit sur sa motte, le multiplexe aubiérois règne désormais sur les salles obscures de toute l'agglomération clermontoise… Quarante ans plus tôt la télévision et les moyens de locomotion ont contraint les petites salles de banlieue à fermer leurs portes. Aujourd'hui, apparaît le "home cinéma". Quelle sera la réaction du public ? Demain regardera-t-il son cinéma à la maison ?

Ciné Dôme à Aubière

Qui aurait imaginé qu'un jour, sur l'ancienne décharge des établissements Bergougnan, à la "motte", s'installerait un complexe de cinéma ?
Je me souviens de cet endroit dans les années 55, lorsque avec le cheval de mon père, nous allions ou revenions des vignes de Biskara ou d'Anzel situées sur la commune de Cournon. Ce brave "Bijou" dressait les oreilles et partait au galop en se détournant de son chemin, tant il était effrayé de traverser cette zone habitée par les rats et les corbeaux, et d'où s'échappaient en permanence des fumées et des odeurs nauséabondes. Cette route rectiligne et peu fréquentée, a été utilisée par les établissements Michelin pour y effectuer des essais de vitesse. D'où sa dénomination de "kilomètre lancé". Mais avec le temps, ce terroir des Varennes, réputé agricole et secondaire, est devenu une zone d'activité où rivalisent maintenant une multitude d'entreprises attractives.

Ciné Dôme à Aubière

Les cinémas Michelin

Mais connaît-on l'histoire locale de nos petites salles de spectacles ? C'est Édouard Michelin qui est à l'origine des "cinémas de proximité". En effet, l'industriel clermontois, précurseur d'un service social d'avant garde, avec ses cités, ses cliniques, ses écoles et autres, voulait aussi apporter à son personnel des loisirs. Seule Clermont était dotée de quelques cinémas tels que le Rialto, le Novelty ou le Capitole. Dans les villages voisins, où logeaient pourtant la majorité des salariés, il n'y en avait aucun. "Monsieur Édouard" incita donc un de ses employés, Marius Biat, à créer, bénévolement, en dehors de ses fonctions à l'usine, "les cinémas Michelin". Ainsi est né à Aulnat où demeurait Marius Biat, le premier lieu de projection cinématographique de la banlieue. Ce sont les ouvriers Michelin d'Aulnat qui, avec des plans établis à l'usine, ont construit ce lieu dédié au septième art. C'était dans la grange d’Etienne Bouffard, beau-père de Marius Biat. Chaque séance faisait salle comble. Pourtant, à cette époque les films étaient muets et en hiver, il fallait venir bien emmitouflé, car le poêle à charbon arrivait péniblement à tempérer la salle. Il faut dire que le cinéma Michelin était gratuit !

Le "Biat Sélect Ciné" d'Aulnat

Toujours plus passionné depuis l'apparition du cinéma parlant, dans les années 1929-1930, Marius Biat organise des tournées dans les villages voisins d'Aulnat. Mais après 1936, accusée de paternalisme, la Maison Michelin décide de se retirer de cette action sociale. Marcel Michelin demande alors à Marius Biat de prendre à son compte la branche cinéma, afin de maintenir cette distraction dans les villages des environs de Clermont. L'ancienne grange de Etienne Bouffard devient le "Biat Sélect Ciné".

Le "Rex" d'Aubière

Puis arrive la guerre. Au cours des bombardements du terrain d'aviation d'Aulnat, la maison familiale Biat est soufflée et en partie détruite. Grâce à la complicité de madame Tissot, directrice de la fabrique de pantoufles Chaussilux, et parente de madame Biat, Marius Biat installe sa famille tant bien que mal à Aubière dans un moulin à grains vacant. Le moulin Jallat était situé sur l'Artière, à l'entrée de l'actuelle rue des Moulins, au niveau de la rue Bergère. Malheureusement, en septembre 1945, un incendie ravage cette demeure. La famille Biat est relogée rue du 4-Septembre dans des locaux appartenant à l'abbé Barody, curé de la paroisse d'Aubière. En juin 1946, après 90 ans d'enseignement, l'école libre de garçons, rue Saint-Antoine, ferme ses portes. L'emplacement de trois salles de classe et d'une scène de théâtre se trouve disponible. Marius Biat saisit l'occasion et y crée une salle de spectacles. Le sol est creusé afin d'établir une pente favorable à la position et à la vue du spectateur. Les murs et le plafond sont habillés d'isorel absorbant. La scène est conservée, tandis qu'en étage, une cabine de projection est créée. Cette salle est initialement dénommée "Le César" puis devient "Le Rex". La caisse est tenue par la très rigoureuse Marie-Louise Biat, tandis que madame Chastanet, une voisine demeurant rue Richelieu, joue le rôle de l'ouvreuse.
Marius Biat et son fils André, lui-même passionné de cinéma, sont des hommes très occupés. Samedis et dimanches, ils exploitent leur cinéma d'Aulnat et, chaque jour de la semaine, ils déplacent deux appareils de projection 16 mm à bord de leur grosse automobile Buick pour présenter des séances à Pérignat-ès-Allier, Dallet, Mezel, Châteaugay, Malintrat, Lussat, Saint-Beauzire… et quelques salles de bistrots. La salle d'Aubière fait déborder leur emploi du temps.

Le pianiste de Charles Trénet et de Gilbert Bécaud

À la suite d'une brève projection auprès des gymnases de l'Union Fraternelle qui s'entraînent dans les locaux voisins, Marius Biat décide Maurice Cassière, intéressé par le cinéma et de surcroît excellent bricoleur, à devenir l'opérateur de la cabine d'Aubière. Vigneron en semaine avec son père Ferdinand, Maurice distrait ainsi les Aubiérois les samedis et les dimanches pendant six ans. Il assure bien sûr le bon déroulement de la projection, mais il commente aussi les films d'actualités locales qu’André Biat tourne dans Aubière et les environs. Il présente également des attractions complémentaires telles qu'illusionnistes, imitateurs, acrobates (les "Aéros" de l'Union Fraternelle d'Aubière s'y sont produits plusieurs fois) et artistes (le jeune prodige Roger Pouly, futur pianiste accompagnateur de Charles Trénet et de Gilbert Bécaud, a fait ses débuts à l'âge de cinq ans sur la scène de la rue Saint-Antoine à Aubière).

La dernière séance du "Rex"

Le 6 avril 1956, André Biat vend le cinéma "Le Rex" qu'il avait créé en 1947. Madame Blanchet en devient la propriétaire jusqu'au 26 octobre 1962, date à laquelle les époux Joseph Laborie achètent le fonds de commerce de cinéma, comportant 204 fauteuils velours fixés au sol, 68 fauteuils bois et 27 strapontins velours. Joseph Laborie souhaitait une utilisation intelligente des loisirs. Il rêvait de faire à Aubière un cinéma d'arts et d'essais en sélectionnant uniquement de bons films. Pendant quelques mois ses idées novatrices engendrèrent une bonne fréquentation des séances. Mais la télévision s'introduisant dans les foyers et les cyclomoteurs permettant aux jeunes d'aller plus facilement à Clermont, le nombre d'entrées diminua peu à peu. Le bilan financier devenant négatif, les Laborie durent se séparer du cinéma d'Aubière.
Le rideau du Rex est définitivement tombé en 1971. Les locaux ont été repris par l'Union Fraternelle qui en était devenue propriétaire par don de l'abbé Barody.

© Cercle Généalogique et Historique d'Aubière (J.F. Roche)
 

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