Une salle de cinéma de 299 places !… C'était à Aubière dans les années
1950-1960. Aujourd'hui, toujours à Aubière, et depuis plus de dix ans, Ciné Dôme met à l'affiche 12 salles pour
2200 sièges…
Tel un château féodal construit sur sa motte, le multiplexe aubiérois règne
désormais sur les salles obscures de toute l'agglomération clermontoise…
Quarante ans plus tôt la télévision et les moyens de locomotion ont contraint
les petites salles de banlieue à fermer leurs portes. Aujourd'hui, apparaît le
"home cinéma". Quelle sera la réaction du public ? Demain regardera-t-il
son cinéma à la maison ?
Ciné Dôme à Aubière |
Qui aurait imaginé qu'un jour, sur l'ancienne décharge des établissements
Bergougnan, à la "motte", s'installerait un complexe de cinéma ?
Je me souviens de cet endroit dans les années 55, lorsque avec le cheval de
mon père, nous allions ou revenions des vignes de Biskara ou d'Anzel situées
sur la commune de Cournon. Ce brave "Bijou" dressait les oreilles et
partait au galop en se détournant de son chemin, tant il était effrayé de
traverser cette zone habitée par les rats et les corbeaux, et d'où
s'échappaient en permanence des fumées et des odeurs nauséabondes. Cette route
rectiligne et peu fréquentée, a été utilisée par les établissements Michelin
pour y effectuer des essais de vitesse. D'où sa dénomination de "kilomètre
lancé". Mais avec le temps, ce terroir des Varennes, réputé agricole et
secondaire, est devenu une zone d'activité où rivalisent maintenant une multitude
d'entreprises attractives.
Ciné Dôme à Aubière |
Les cinémas Michelin
Mais connaît-on l'histoire locale de nos petites salles de spectacles ?
C'est Édouard Michelin qui est à l'origine des "cinémas de
proximité". En effet, l'industriel clermontois, précurseur d'un service
social d'avant garde, avec ses cités, ses cliniques, ses écoles et autres,
voulait aussi apporter à son personnel des loisirs. Seule Clermont était dotée
de quelques cinémas tels que le Rialto, le Novelty ou le Capitole. Dans les
villages voisins, où logeaient pourtant la majorité des salariés, il n'y en avait
aucun. "Monsieur Édouard" incita donc un de ses employés, Marius
Biat, à créer, bénévolement, en dehors de ses fonctions à l'usine, "les
cinémas Michelin". Ainsi est né à Aulnat où demeurait Marius Biat, le
premier lieu de projection cinématographique de la banlieue. Ce sont les
ouvriers Michelin d'Aulnat qui, avec des plans établis à l'usine, ont construit
ce lieu dédié au septième art. C'était dans la grange d’Etienne Bouffard,
beau-père de Marius Biat. Chaque séance faisait salle comble. Pourtant, à cette
époque les films étaient muets et en hiver, il fallait venir bien emmitouflé,
car le poêle à charbon arrivait péniblement à tempérer la salle. Il faut dire
que le cinéma Michelin était gratuit !
Le "Biat Sélect Ciné" d'Aulnat
Toujours plus passionné depuis l'apparition du cinéma parlant, dans les
années 1929-1930, Marius Biat organise des tournées dans les villages voisins
d'Aulnat. Mais après 1936, accusée de paternalisme, la Maison Michelin décide
de se retirer de cette action sociale. Marcel Michelin demande alors à Marius
Biat de prendre à son compte la branche cinéma, afin de maintenir cette
distraction dans les villages des environs de Clermont. L'ancienne grange de
Etienne Bouffard devient le "Biat Sélect Ciné".
Le "Rex" d'Aubière
Puis arrive la guerre. Au cours des bombardements du terrain d'aviation
d'Aulnat, la maison familiale Biat est soufflée et en partie détruite. Grâce à
la complicité de madame Tissot, directrice de la fabrique de pantoufles
Chaussilux, et parente de madame Biat, Marius Biat installe sa famille tant
bien que mal à Aubière dans un moulin à grains vacant. Le moulin Jallat était
situé sur l'Artière, à l'entrée de l'actuelle rue des Moulins, au niveau de la
rue Bergère. Malheureusement, en septembre 1945, un incendie ravage cette
demeure. La famille Biat est relogée rue du 4-Septembre dans des locaux
appartenant à l'abbé Barody, curé de la paroisse d'Aubière. En juin 1946, après
90 ans d'enseignement, l'école libre de garçons, rue Saint-Antoine, ferme ses
portes. L'emplacement de trois salles de classe et d'une scène de théâtre se
trouve disponible. Marius Biat saisit l'occasion et y crée une salle de
spectacles. Le sol est creusé afin d'établir une pente favorable à la position
et à la vue du spectateur. Les murs et le plafond sont habillés d'isorel
absorbant. La scène est conservée, tandis qu'en étage, une cabine de projection
est créée. Cette salle est initialement dénommée "Le César" puis
devient "Le Rex". La caisse est tenue par la très rigoureuse Marie-Louise
Biat, tandis que madame Chastanet, une voisine demeurant rue Richelieu, joue le
rôle de l'ouvreuse.
Marius Biat et son fils André, lui-même passionné de cinéma, sont des
hommes très occupés. Samedis et dimanches, ils exploitent leur cinéma d'Aulnat
et, chaque jour de la semaine, ils déplacent deux appareils de projection 16 mm
à bord de leur grosse automobile Buick pour présenter des séances à
Pérignat-ès-Allier, Dallet, Mezel, Châteaugay, Malintrat, Lussat,
Saint-Beauzire… et quelques salles de bistrots. La salle d'Aubière fait
déborder leur emploi du temps.
Le pianiste de Charles Trénet et de Gilbert Bécaud
À la suite d'une brève projection auprès des gymnases de l'Union
Fraternelle qui s'entraînent dans les locaux voisins, Marius Biat décide
Maurice Cassière, intéressé par le cinéma et de surcroît excellent bricoleur, à
devenir l'opérateur de la cabine d'Aubière. Vigneron en semaine avec son père
Ferdinand, Maurice distrait ainsi les Aubiérois les samedis et les dimanches
pendant six ans. Il assure bien sûr le bon déroulement de la projection, mais
il commente aussi les films d'actualités locales qu’André Biat tourne dans
Aubière et les environs. Il présente également des attractions complémentaires
telles qu'illusionnistes, imitateurs, acrobates (les "Aéros" de
l'Union Fraternelle d'Aubière s'y sont produits plusieurs fois) et artistes (le
jeune prodige Roger Pouly, futur pianiste accompagnateur de Charles Trénet et
de Gilbert Bécaud, a fait ses débuts à l'âge de cinq ans sur la scène de la rue
Saint-Antoine à Aubière).
La dernière séance du "Rex"
Le 6 avril 1956, André Biat vend le cinéma "Le Rex" qu'il avait
créé en 1947. Madame Blanchet en devient la propriétaire jusqu'au 26 octobre
1962, date à laquelle les époux Joseph Laborie achètent le fonds de commerce de
cinéma, comportant 204 fauteuils velours fixés au sol, 68 fauteuils bois et 27
strapontins velours. Joseph Laborie souhaitait une utilisation intelligente des
loisirs. Il rêvait de faire à Aubière un cinéma d'arts et d'essais en
sélectionnant uniquement de bons films. Pendant quelques mois ses idées
novatrices engendrèrent une bonne fréquentation des séances. Mais la télévision
s'introduisant dans les foyers et les cyclomoteurs permettant aux jeunes
d'aller plus facilement à Clermont, le nombre d'entrées diminua peu à peu. Le
bilan financier devenant négatif, les Laborie durent se séparer du cinéma
d'Aubière.
Le rideau du Rex est définitivement tombé en 1971. Les locaux ont été
repris par l'Union Fraternelle qui en était devenue propriétaire par don de
l'abbé Barody.
© Cercle
Généalogique et Historique d'Aubière (J.F. Roche)
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