Un décret du 10 Vendémiaire An 4, institua un passeport pour
l’intérieur, qui fut complété par ceux du 18 septembre 1807 et du 11 juillet
1810. Ce document était nécessaire pour sortir du canton où l’on était domicilié.
Il est tombé en désuétude vers 1860.
Aux Archives départementales du Puy-de-Dôme,
dans la série M, sous les
références M 344 à M 353, on trouve les registres concernant la délivrance des
passeports nécessaires pour se déplacer hors de la Commune de résidence, même
pour des destinations relativement proches.
Comme ces registres sont pour l’ensemble du
département, on peut comparer les mouvements de population suivant les secteurs
et les professions. Et, parmi ces dernières, certaines en étonneront beaucoup…
Après avoir consulté ces registres, sans
toutefois avoir fait de statistiques, on peut en tirer quelques conclusions.
Pour le département, la région de Saint-Jean
des Ollières, au sud de Saint-Dier d’Auvergne, a été probablement le point de départ
du maximum de travailleurs pour aller exercer leur métier, temporairement, dans
beaucoup de régions françaises, parfois lointaines. La profession qui remporte
la palme est sans contestation les "scieurs de long", parfois
nommés "Scieurs de long bois", avec les petits métiers annexes
tels que ramasseurs... Une étude et un livre ont été faits sur cette profession
(La Grande Histoire des Scieurs de
long -1996- par Annie
Arnoud, 2 tomes). Il y a aussi, au départ de cette partie du
département, pas mal de "colporteurs", marchands ambulants de
produits divers, d’images, de chapelets ou de lacets, des ramoneurs, etc…
Un autre point particulier semble être, à
l’opposé de ces déplacements en nombre, non en groupe, c’est le peu de
voyageurs au départ des communes vigneronnes, car la vigne donne du travail à
ceux qui l’exploitent, tout au long de l’année, et de ce fait réduit la
nécessité des émigrations temporaires. Seuls les déplacements pour affaires,
familiales ou commerciales, font l’objet des demandes de passeport.
Des tondeurs de drap jusqu’aux pèlerins pour
Jérusalem
La quantité de passeports délivrés est très
variable, probablement en fonction de la situation du moment ; ainsi,
entre le 4 mai 1811 et le 27 novembre 1813, 2.620 passeports ont été délivrés,
tandis que, entre le 10 juin 1817 et le 24 octobre 1821, il y en a eu 12.641.
Dans la désignation des professions des
demandeurs, on peut noter des métiers actuellement disparus ; ainsi on
trouve des repasseurs de rasoirs, des tondeurs
de drap (1), des conducteurs de patache (2), un marchand
de cantiques, un "conducteur des équipages de trésorerie à l’armée
d’Italie" et un "entrepreneur
des étapes et convois militaires", aussi un "cotelinier"
(3) (Jean Cougout, d’Aubière).
Le registre M 349 comporte, en avril 1816,
toute une série de passeports, délivrés par Clermont, pour des chaudronniers,
originaires du Cantal ou de la Corrèze, pour se rendre, soit dans les Ardennes,
la Meuse, la Somme, et la Haute Saône, et
une autre série à destination de Vitry, dans la Marne. Cette série de
chaudronniers comprenant plusieurs fratries, des frères Guillaume et des frères
Papon, au départ de Trémouille, les demandeurs, ayant entre 16 ans et 60 ans.
Il y a aussi les étudiants pour rejoindre
leurs universités, tels Jean Foulhouze
d’Aubière, étudiant en droit à Paris (futur notaire et maire d’Aubière) et
François Cristal de Cournon, également étudiant en droit à Paris, tandis qu’un
dénommé Achil(le) Baticle, d’Aubière est étudiant en chirurgie à Nismes (Nîmes).
Un Ceyratois, Martin Batisse, et sa sœur,
vont à Jérusalem, en pèlerinage.
Les "voituriers" sont aussi
des demandeurs de passeport. Soit que ce soit leur activité permanente ou pour
des transports saisonniers (livraison de vin et fret au retour ?).
En ce qui concerne les passeports délivrés
par Aubière, nous avons relevé, entre le 24 octobre 1821 et le 14 février 1826,
parmi les 38 documents délivrés : 15 pour Paris, (dont l’abbé Parrique,
curé d’Aubière), 1 pour Vezoul (Guillaume Gioux, 51 ans), 2 pour Toulouse.
En dehors de ces Aubiérois, 35 scieurs de
long sont partis de Saint-Jean des Ollières en août 1824. En 1806, 35
passeports ont été délivrés par Aubière dont la majorité pour circuler dans le
département, sans précision, mais aussi pour Moulins, Orléans, Aubusson et
Limoges (Martin Aubény, marchand de vin, Amable Barbecot et Louis Baile). (4)
En l’An 11, le 15 Floréal (5 mai 1803),
Martin Aubény (22 ans) demande un passeport pour Aubusson, Pontaumur et autres,
"pour vendre son vin",
et Pierre Randanne, hussard à la 2ème compagnie du 8ème régiment,
se rend à Paris, le 14 nivôse An 11 (4 janvier 1803).
En 1823, de nombreux habitants de Gelles
partent pour Lyon, avec maçon,
pour profession. Très peu de "voituriers" font partie des demandeurs de
passeports. Les destinations sont en majorité Paris et Lyon.
Souche du passeport pour l'Aubiérois Jean Oby, voiturier en partance pour Limoges en 1808 (Archives communales d'Aubière) |
Des Aubiérois aux États-Unis d’Amérique
Plus tard, les destinations demandées étaient
en général hors de France, pour des raisons très diverses :
En 1868, le 28 mars Hyppolite Renoux,
administrateur des Hospices de Clermont, part pour les États Pontificaux, en
voyage d’agrément ; tandis que Antoine Dourdouille, 16 ans, garçon
d’hôtel, de Beaumont, part le 8 octobre 1891, pour San Rémo faire la saison
d’hiver, et que Michel Faure, 22 ans, tailleur à Aubière, va à Lausanne "pour
y exercer sa profession", le 10 juin 1872. Marguerite Randanne, veuve Vazeille, Aubiéroise sans profession,
demande un passeport pour émigrer à Cincinnati
(U.S.A.), "où elle a une
propriété".
Le 25 mars 1896, Ligier Sibert, cultivateur à
Aubière, et Ligier Mazen, également cultivateur aubiérois, vont en Suisse,
"pour affaires de famille".
Le 1er avril 1916, Louis Bernard
Maradeix, 61 ans, de Beaumont, prend un passeport pour les États-Unis, "pour
affaires". (5)
Le 12 octobre 1850, François Delonchambon,
cultivateur d’Aubière, demande un passeport pour la Californie, "pour
affaires de commerce".
Un Clermontois, Pierre Martin, maçon, demande, le 27 mars 1890, un passeport pour l’île de Samos, dans les Cyclades,
"pour y travailler".
Le 15 avril 1915, Mlle Babillon (Pauline,
Juliette), 24 ans, lingère, part en Italie, "pour procéder à son mariage",
et le 13 décembre 1916 Antoine Avel, 61 ans, souhaite aller en Angleterre,
"pour voir son fils en permission".
Le 2 septembre 1918, Adrien Pouchol, 33 ans,
demande un passeport pour Casablanca, où il exerce la profession de "conducteur
de travaux du P.L.M.", et, toujours en 1918, le 4 octobre, Etienne
Taillandier, 41 ans, employé Michelin, part pour Turin.
Dans le registre M 353, nous trouvons un passeport délivré le 29 janvier 1857 à
Michel Roche, d’Aubière (6), condamné politique, interné à Rodez, pour se
rendre à Rodez, "avec secours de route" ; et Jeanne
Barbecot, concierge, a un passeport gratuit, le 17 novembre 1870, pour se
rendre à Blois.
Des conscrits en vadrouille…
Le registre M 346, concernant les passeports délivrés dans le département,
entre le 31 octobre 1806 et le 26 avril 1809 est intitulé : Passeports des conscrits. Une majorité
de demandes comporte la mention : "Conscrit réformé" ou
"Conscrit remplacé" ; ce sont en général des voituriers (Martin
Aubény, Amable Barbecot, Guillaume Arnaud, Michel Gioux, Joseph Jallat,
Guillaume Pignol, Martin Baile Varillat..., tous d’Aubière) qui désirent se
rendre soit à Aubusson soit à Limoges.
En dehors des Aubiérois, des Clermontois
partaient aussi pour la Californie
et les déplacements pour "voyages d’agrément" étaient assez
fréquents.
On trouve aussi des demandes de passeport
dans les dossiers 1 C 1713 et 1 C 1714,
concernant l’Auvergne, au sens plus large, comprenant notamment le
Cantal.
Ainsi, dans le dossier
1 C 1713, j’ai relevé en 1778 : André Falateuf,
vigneron de Romagnat, désirait se rendre à Paris ; Jean Fargeix, jardinier
de Romagnat, demandait un passeport pour se rendre à (Rouen ? - mal écrit) ;
tandis qu’un tireur de meules (7) de moulin de Saint-Jean des Ollières partait pour Chatellerault, dans la Vienne.
Sa demande de passeport était accompagnée d’un certificat du curé, légalisé. Même
chose pour un habitant d’Espinchal (63), marchand de soufflets. Et en 1777, Etienne Pezant de Chanonat,
partait pour Paris ...entre autres.
Dans le dossier 1 C 1714, en 1780 : le Sieur
Antoine Cassière, bourgeois, de Clermont, demandait un passeport pour aller à
Limoges, tandis qu’un dénommé Jean Golfier de Clermont se déclarait ouvrier en parasol, et que Jean Chapot,
originaire d’Aubusson, habitant Clermont et apprenti horloger, désirait aller à Paris.
Le 4 mai 1782, Simon Cussat-Blanc,
laboureur de Ceyrat, partait pour Versailles, à cause de la Commission du grand sceau du 28 février 1782.
En
1782, et
le 27 décembre, Jean Roche, de La Chapelle d’Alagnon (15), quêteur de N.-D. de la Trinité,
pour racheter les captifs, voulait aller au Puy-en-Velay. Sa demande de
passeport était accompagnée d’un certificat du Subdélégué. Également, Pierre Roche,
de Murat-sous-Bredon, désirait aller au Puy.
En novembre 1782, 12
passeports, pour se rendre à Saint-Malo,
étaient délivrés à des habitants de Saint-Alyre-ès-Montagne. En 1784, Antoine Cournol, de
Romagnat, demandait un passeport pour aller à Paris, avec un certificat de Mr
de Chanonat ; et Jean Boatier, de Ceyrat, scieur de long, faisait une demande pour La Rochelle, avec un
certificat du curé.
En
1785,
Michel Vidal, vigneron, de Ceyrat, partait "dans le Berri" ; et,
en 1789, Jean Saraude, de Saint-Alyre-ès-Montagne,
se déclarait "escamoteur".
(8)
La même année, Jacques Grangier,
"gagne-petit",
d’Église
neuve, partait pour Rouen, avec d’autres "gagne-petit" ; tandis
que Annet Valentin, d’Ambert, garçon
bridier (9), partait pour Saint-Flour, son passeport demandé avec une
attestation du Sieur Chapeu (?), bridier à Clermont.
Notes :
(1) – Tondeurs de
drap : le drap après avoir été lainé et séché, devait être tondu à
plusieurs reprises, et cette délicate opération constituait le privilège d’une
communauté spéciale, celle des tondeurs.
(2) – Patache :
voiture de transport, non suspendue.
(3) – Cotelinier :
faiseur de coteline, sorte d’étoffe de fil et de coton. Tisserand.
(4) – M 344.
(5) – M 352.
(6) – Michel Roche, futur
maire d’Aubière.
(7) – Tireur de meule :
faiseur de meule.
(8) – Escamoteur :
ancêtre du prestidigitateur, que l’on appelle aujourd’hui illusionniste.
(9) – Bridier :
ouvrier qui fait les brides (harnais placé à la tête du cheval).
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière (A. C.)
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