Nous entrons dans l’année 2014,
celle du centenaire de la Grande Guerre 1914-1918. Nous reparlerons
régulièrement durant cette année de cet évènement mais commençons, si vous le
voulez bien, par un aspect plus pacifique de la guerre : Aubière et les
Aubiérois vus par les soldats américains dans les derniers mois du premier conflit
mondial.
C’est à l’occasion de la visite de Aubière Hawkins-Cohen, en octobre 2010,
que nous avons pu nous procurer copie d’un ouvrage intitulé : « The 55th artillery (C.A.C.) in the
american expeditionary forces, France, 1918 ». Ce livre, édité en
1920, est signé par l’aumônier de ce régiment, le lieutenant Frederick Morse Cutler.
Il retrace l’expédition du régiment
depuis son embarquement sur le Mauretania
à New York jusqu’à leur retour aux USA.
Les passages sur Aubière (50 pages)
sont croustillants. Ils nous montrent l’autre facette de cet évènement qui a
tant marqué nos ancêtres durant les derniers mois de la guerre 14-18. C’est
aussi la rencontre de deux mondes, l’un qui n’est pas encore sorti du 19ème
siècle, et l’autre qui s’est déjà lancé à grande vitesse dans la modernité du
20ème siècle.
C’est ce contraste saisissant que va
nous révéler la traduction de Marie-José Chapeau que vous lirez, nous en sommes
sûrs, avec un grand intérêt. Nous vous la présentons en plusieurs épisodes.
Voici le premier.
Épisode 1 : l’installation
« Ils
atteignirent finalement leur destination, Clermont-Ferrand. Vers 6 heures du
soir et, après que le train ait avancé et reculé plusieurs fois en gare et
actionné le sifflet de sa locomotive, jusqu’à la limite, il s’arrêta.
La
section du colonel Shedd était déjà arrivée et ses passagers, le 1er
bataillon était déjà sur le chemin du nord, vers Cébazat, pour la nuit.
Le
colonel SEVIER rassembla les officiers des 2ème et 3ème bataillons
autour de lui et leur fit un discours de compliment. Il parla des félicitations
que la conduite du régiment a entrainé partout et invita à en établir le record
et des cirés furent distribués
comme la pluie menaçait, et la colonne partit pour Aubière, un petit village à
¾ de miles au sud de la ville, après une route difficile, sur une
colline ; ils aperçurent quelques lumières électriques brillantes et
bientôt ils se trouvèrent sur la place du village : « la place des
Ramacles ». Ils avaient eu l’intention d’envoyer le 3ème
bataillon ailleurs, comme Aubière n’était suffisamment grand que pour seulement
un bataillon et le grand quartier général, mais là, tout étant dans l’obscurité
et la pluie, tous durent rester là.
Le
maire était un brave homme et fit son possible pour satisfaire des demandes
inattendues, en coopération avec le major Skinner et le capitaine Bettcher. Il
logea 1100 hommes dans le village, ouvrit le bâtiment de l’école et
réquisitionna les deux hôtels le Café de
l’Union et le Café Français pour
recevoir les hommes, dans la limite de leur capacité. Tous les officiers
dormirent dans la salle du bas du Café de
l’Union et pendant la 1ère partie de la soirée ce ne fut
qu’hilarité et gaudriole.
1918 : Officiers américains à la table de Pierre Aubény (1er à droite) |
Après
que le caporal Ralph W. Wilson ait réussi à obtenir de quoi s’enrouler dans une
literie, ils furent prêts à se coucher. Alors qu’ils étaient déshabillés, le
propriétaire revint vers la chambre à un moment stratégique, et leur offrit un
peu plus de vin. Enfin, la situation n’était pas du tout ennuyeuse. Les hommes
étaient des étrangers, sur une terre étrangère et incapables de se retrouver dans
l’obscurité, mais le major Skinner déclara que beaucoup d’entre eux étaient tout
à fait capables de trouver la distribution de vin rouge, il revint avec l’œil
ardent et de nombreuses bouteilles furent confisquées, en déclarant :
« …ils sont tous partis en réclamant
du vin » ; toutefois, ils furent bientôt apaisés et le sommeil
régna.
Le
matin du 12 avril, le problème était le breakfast
des hommes ; toutes les rations étaient encore dans la cour de la petite vitesse de Clermont. Tout le pain
que les gens d’Aubière pouvaient leur fournir fut utilisé et le propriétaire du
café fut engagé à fournir du café. Les officiers s’étonnèrent de ce que le café
était aussi demandé et pourquoi les hommes insistaient pour en avoir une 2ème
et 3ème tasse, jusqu’à ce qu’ils découvrent que la brave femme
versait une bouteille de gnole, dans chaque marmite d’eau bouillante.
A
10 heures du matin, le 3ème bataillon fut rassemblé sur la place avec
leur paquetage et autres bagages sur les épaules et commença bientôt la courte
marche vers leur propre village : Beaumont. Etant donné leur fatigue et la
chaleur, ils firent un gros effort pour cela, mais finalement ils arrivèrent et
s’installèrent. Un homme du Bat F eut un malaise et fut mis en quarantaine,
mais autrement ils étaient tous en bonne santé de corps et d’esprit.
Tout
au long de leur voyage, le 55ème avait entendu parler d’un grand
camp américain vers lequel ils étaient supposés aller et évoquaient des visions
de baraques et de bains et des salles de
mess avec des tables ployant sous la charge de viandes américaines. Il y avait
actuellement un tel camp pour les aviateurs d’Aulnat distant de quelques miles
mais pas pour l’artillerie. Le premier bataillon à Cébazat, le 2ème
à Aubière et le 3ème à Beaumont, le Quartier Général du régiment à
Aubière, étaient loin de réaliser leur rêve. Ils se trouvèrent bientôt tous
dans les maisons parmi le peuple et se réjouissaient d’être à la fin de leur
long voyage, finalement en France tous prêts pour l’entraînement.
Le Café de l'Union, chez Gioux, place des Ramacles |
Le Café Français, chez Dégironde, rue Vercingétorix |
Monsieur
NOELLET, maire d’Aubière, continua à nous aider jusqu’à ce que tout le monde
fut logé et fit son possible pour que les américains
soient installés avec le meilleur confort. Comme le processus était le même
dans les trois villages, l’histoire d’un seul conviendra aux deux autres. Le
maire était le « Big Boss »,
et sa parole était prépondérante. Puisque le terme de son mandat était dans un
an ou deux, il n’était pas particulièrement en cours de réélection, et il pouvait
être agréable d’une manière indépendante. On en vint à comprendre que le billet
de logement est un système de logement collectif en chambres séparées et les
mansardes du village avec « Uncle
SAM », payées en billet au taux d’alors : 1 franc par jour pour
un officier et 1 sou par jour pour un homme. Ce système est réprimé par la
Constitution des USA, mais dans cette région, où il n’existe aucun champ
inculte et où les tentes seraient implantées au grand dam de l’agriculture,
plus essentielle, les billets de logement étaient nécessaires. Avant que la
guerre soit finie, le 55ème en vint à accepter le système comme
normal et les tentes comme l’exception.
Si
les hommes pensaient qu’ils allaient se trouver dans de vraies maisons, ils se
trompaient. Il y eut beaucoup d’étonnement et de consternation quand la 1ère
escouade fut conduite vers une petite grange contigüe à l’habitation ou même
combinée avec elle, ou encore distincte d’elle, et qu’on leur dit de se loger
là, deux dans l’écurie d’un cheval alezan, deux derrière un charriot et quatre
dans la fenière. Et dans chaque bâtiment, les habitants avaient au moins cent directives
qu’il fallait suivre, certains articles ne devaient pas être touchés et
certaines parties devaient être évitées. L’officier logeur devait être un
patient négociateur et un bon marcheur. Quelques-uns des hommes étaient laissés
à un endroit et les autres se trouvaient être à l’autre bout de la ville alors
que le 3ème billet en renvoyaient d’autres à leur point de départ.
Lorsqu’une question était posée au Maire, grâce à un interprète, il en
résultait un baragouin de 5 minutes entre eux deux. Quand on demandait à
l’interprète ce que le Maire disait, il répondait : « il dit qu’il a
raison ». Le Français prouva qu’il était plus sociable qu’un homme
d’affaires et chaque question était un sujet de discussion, de préférence sur
une table, et il n’était pas d’usage d’arriver à la colère.
Alors
vint la question sur l’eau potable et les latrines. Beaumont avait l’avantage
d’avoir l’eau des torrents de montagne, claire, froide, et puisée directement
sur la place publique, mais la troupe, dans toutes les autres villes, devait
faire bouillir ou chlorer leur eau potable.
« Où sont les
latrines ? »
« Monsieur le
Commandant, nous n’en avons pas »
« Bon !
Comment les hommes vont-ils faire ? »
« Pourquoi ? » s’exclama le
Maire, avec l’air surpris qu’une telle question lui soit posée. « Pourquoi ? Vous pouvez utiliser la rue ».
En
fait les habitants utilisaient les rues, la famille entière, dans la plupart
des cas, et les quelques toilettes, présentes en ville, étaient fermées à
clé ! Ceci affaiblissait complètement les hommes et après cela, si vous
voyez un artilleur regardant autour de lui, comme un criminel honteux et
essayant d’éviter tout le monde, la dernière chose à conclure, ce n’est pas qu’il
essaie d’échapper à la justice, c’est parce qu’il a envie de déféquer dans les
conditions françaises. »
Note du C.G.H.A. :
Aubière Jean Hawkins-Cohen : parce que son grand-père,
Ernest Tiller, artilleur au 55ème, n’a jamais oublié l’accueil des
habitants d’Aubière en Auvergne, elle fut prénommée
« Aubière », après sa tante, fille d'Ernest Tiller !
Nota :
Les illustrations sont produites par le C.G.H.A., sauf celles dont la légende
est suivie d’un astérisque (*) qui sont tirées de l’ouvrage en référence du
lieutenant Frederick Morse Cutler.
© -
Cercle généalogique et historique d’Aubière.
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