2014, année du centenaire de la
Grande Guerre 1914-1918.
Les soldats américains du 55ème
régiment d’artillerie viennent s’entrainer en Auvergne. Un bataillon et
l’état-major ont séjourné à Aubière entre avril et août 1918 !
Le récit de ce séjour par l’aumônier
du régiment, le lieutenant Frederick Morse Cutler, est croustillant. Il nous
montre l’autre facette de cet évènement qui a tant marqué nos ancêtres durant
les derniers mois de la guerre 14-18. C’est aussi la rencontre de deux mondes,
l’un qui n’est pas encore sorti du 19ème siècle, et l’autre qui
s’est déjà lancé à grande vitesse dans la modernité du 20ème siècle.
C’est ce contraste saisissant que va
nous révéler la traduction de Marie-José Chapeau que vous lirez, nous en sommes
sûrs, avec un grand intérêt. Nous vous la présentons en plusieurs épisodes.
Épisode 3 : Erreurs
de langage
Les
hommes étaient encouragés à fréquenter les églises du village (catholiques) et
bientôt, il en vint un grand nombre, catholiques ou protestants. C’est ainsi
que les édifices furent remplis jusqu’aux portes et les chœurs de l’église
furent renforcés par les voix mâles des Américains. Le curé d’Aubière, un vieux
au cœur plein de bonté, le Père Lavigne, insista pour que les officiers,
comprenant l’aumônier protestant, soient assis dans le chœur et faisait
d’héroïques efforts pour donner ses notes en anglais. Les Américains étaient
alors capables d’apprécier combien leur arrivée en France pouvait être bien
ressentie par les natifs. Les offices du régiment se tenaient à des heures où
il n’y avait pas de conflit entre les églises. Le Colonel Servier donna l’usage
d’un camion Nash - Quad pour convoyer des musiciens d’une ville à l’autre - le
dimanche, selon les services. Quel que soit l’endroit, une partie d’église
était toujours disponible pour les autres soldats. Encore et encore l’aumônier
fournit un moyen de transport pour l’équipe de boule qui était dans un sens ses
adversaires et plusieurs fois avec la permission du colonel Dusen-Bury, il
désobéit à la loi en transportant des civils et il obligea le très vieux Comte
français de Cébazat, en emmenant ses visiteurs choisis de Cébazat au point le plus
proche du tramway. L’église sous la tente était sujette à des interruptions.
Comme les enfants français en sabots de bois faisaient du bruit sur les pavés
de la rue proche, alors que de temps à autre les ânes français, amicalement, exprimaient
leur intérêt quand ils passaient en laissant sortir le bruit distinctif de ces
bêtes avec un volume assourdissant. L’aumônier se demandait, dans ces
circonstances ce qui serait arrivé dans la vieille Jérusalem, le dimanche des Rameaux
si la monture, un ânon, avait eue cette voix, certainement les chants d’enfants
auraient dus s’interrompre car la compétition vocale aurait été impossible.
1918 à Aubière : sortie de messe. A gauche, sous la croix, la chorale des soldats américains. |
Au
début le régiment emprunta un timbre censeur de voisins choisis, bien disposés,
mais le 22 avril, le timbre A 829 fut reçu et son arrivée les rendit
indépendants.
Beaucoup
de Russes internés, vestiges des divisions russes qui étaient venues, au début
de la guerre, aider les Français et qui étaient restés en rade quand la Russie
se retira de la lutte, étaient employés dans des fermes à Aubière. Ils portaient
leur attention pour les hommes, mais manifestement n’avaient aucun intérêt pour
les évènements courants, jusqu’à ce qu’une série de victoires commença à
s’annoncer en juillet et leur fit espérer que même les Russes pouvaient gagner
quelque crédit de tous leurs sacrifices précédents. Les stupides prisonniers
allemands, au travail dans les champs (prisonniers sans mauvaise volonté pour
la plupart, mais plutôt paresseux) espéraient rappeler aux Américains que la
guerre continuait, alors que la foule des soldats italiens et des femmes françaises qui travaillaient dans la
grande usine de caoutchouc Michelin, confectionnant des aéroplanes, et qui
dormaient dans le village voisin, empêchaient de l’oublier. Les Françaises, plus
particulièrement, avec leur apparence personnelle, montraient un splendide
patriotisme en laissant leurs cheveux et leur figure devenir d’un jaune hideux
dû aux fumées d’acide picrique, pour l’amour de leur pays.
Les
plus pathétiques de tous les autres étaient les réfugiés à la figure triste du
Nord de la France, qui comme les troupes, avaient des billets de logement pour
leurs habitations, et parmi eux il y avait beaucoup de petits enfants. Alors
que les mères cousaient et faisaient les uniformes, les enfants attendaient
l’école et jouaient dans la rue, n’appréciant pas ce que signifie être sans
maison et orphelin, tous excepté un petit qui était boiteux pour la vie,
estropié par un coup de couteau donné par méchanceté par un brutal soldat hun. Le
lieutenant Herbert demanda de l’argent aux officiers pour adopter cet orphelin
français. Plus tard, le bataillon B en adopta 2 autres.
Sous
l’ordre du département de la guerre, en date du 2 janvier 1918, le système
métrique a été adopté pour notre armée, mais les poids et mesures suivant le système
métrique se trouva être quelquefois une pierre d’achoppement pour le 55ème.
Le litre était si proche du quart américain qu’il fut rapidement pris comme
substitut, mais le kilomètre et le kilogramme furent plus durs à comprendre. Si
en conduisant un camion de Clermont à la côte en bord de mer et revenir on
pouvait visualiser un kilomètre, et encore seulement en terme de poussière et
de boue, de bosses et de pannes, mais le kilogramme était en permanence
trompeur. Un major, dans son examen scolaire fut attrapé lui-même purement à
temps pour empêcher qu’on dise que certain canon avait une longueur de 16.000 km,
plus que 1/3 de la longueur de l’équateur, et un officier médical-enseigne
annonçait gravement un jour qu’il avait découvert que selon les échelles
françaises son poids était de… 74 km.
Les
membres du 55ème progressaient rapidement en français. Tous
apprirent à dire et comprendre « beaucoup et tout de suite », et ceux-ci étaient les
termes les plus employés avec force quand ils commerçaient avec les voisins
alliés, « beaucoup » indiquait comment ils désiraient être servis à
table, et l’autre expression exprimait leur désir d’être servi plus rapidement
par un paysan bougeant lentement. Ils apprenaient à conduire les chevaux et les
ânes avec « allez » et « hue ». Ils n’apprirent jamais le
mot « ho », car il se trouvait que les bêtes de somme françaises
étaient toujours prêtes à s’arrêter sans ordre.
Des
fautes étaient commises de temps en temps quand un homme avait l’intention de
demander un repas à l’hôtel : il était cérémonieusement amené à la chambre
à coucher quand il avait dit : « je désire coucher »,
alors qu’il voulait dire manger. On n’avait jamais noté qu’un soldat
américain eut la plus légère difficulté quand il persuadait une demoiselle
d’accepter son invitation, pour « une promenade ce soir ». En fait, le régiment apprit tout
le français dont il avait besoin pour maintenir une vie et une liberté et pour
la poursuite du bonheur. Nos hommes du Canada se révélèrent précieux comme
interprètes durant nos premiers jours en France.
La
connaissance de l’anglais était si inhabituelle parmi le peuple français que
l’on ne pouvait pas s’attendre à en trouver. Un major et un capitaine entrèrent
dans une boutique pour acheter de la dentelle pour des personnes de leur
entourage. Le major se tourna vers le capitaine qui pouvait le moins servir d’interprète
pour cette occasion et dit : « demandez-lui si elle a de la
dentelle à vendre »
« Madame
avez-vous de la dentelle à vendre ?»
« Yes,
oui monsieur, en voici ».
Ceci
était en anglais par la propriétaire. Le major reprit encore :
« demandez lui combien coûte cette dentelle ».
« Madame
quel est le prix de cette espèce ?
« C’est
50 francs le mètre ».
Et
ainsi ils restèrent plusieurs minutes. Les Américains ne comprenant pas que ces
répliques n’avaient pas besoin d’être traduites, ni pourquoi le capitaine était
malade de rire et qu’il riait du cirque, tant que l’on ne leur eut pas expliqué
immédiatement.
L’équipement
et l’entrainement des troupes furent rapidement menés, sauf lorsqu’il y avait
des retards dus à un manque temporaire de matériel. Des casquettes d’outremer
furent fournies. Elles étaient inconfortables à porter, les oreilles brûlaient
et pelaient sous le soleil alors que la première averse nous amenait à apprécier
le sobriquet populaire de ce nouveau couvre-chef, « pluie dans la figure ». Des
guêtres furent alors données aux hommes, en plus de leur garde-robe, ce qui
était à la fois confortable et adapté, néanmoins les « spirals » avaient l’habit convenable
au moment inopportun. Plus tard vinrent les casques d’acier, les masques à gaz
en caoutchouc. Les casques étaient lourds, mais avaient une utilité évidente,
spécialement par temps pluvieux, alors que les masques étaient d’une nuisance certaine.
L’intrépidité militaire se heurtant à la tranquillité idyllique du pays, dans
la vie des quartiers d’entrainement avant l’arrivée des canons, les hommes
effectuaient de longs crochets dans les routes du pays, marchant toujours en
colonne par deux pour ne pas gêner le trafic, et quelques fois ils grimpaient
les pentes des montagnes. Les collines autour de Clermont avaient des relents
d’Histoire. Quand une batterie, avait grimpé aussi haut qu’elle le pouvait, sur
la côte abrupte de Gergovie, on était forcé de s’arrêter pour respirer, et on
comprenait pourquoi Jules César y avait renoncé en 52 avant J.C. et avait
permis à Vercingétorix de proclamer la première et la seule victoire gagnée par
les Gaulois pendant 8 années de guerre (de
Bello Gallico cessait de ressembler à un exercice de la prose latine et
devenait d’un intérêt général quand on étudiait le champ de bataille actuel).
1918 : Camps d'entrainement des Américains en Auvergne (*) |
Quand
ils grimpaient à Mont-Rognon et l’absorbaient depuis le pied jusqu’au sommet,
ils appréciaient la perspicacité des barons voleurs, qui, en 1160, le
choisirent comme base d’opération, et se demandèrent pourquoi Richelieu a été
capable de détruire le château en 1634. Les Français se montrent plus fiers de
Vercingétorix que de César. Si nous les trouvons correctement classés par les
ethnologues comme peuple latin, suivant eux, ils se considèrent comme
entièrement celtiques. Suivant la tradition locale les noms des 2 villages
voisins : Romagnat et Aubière constituent un monument étymologique, à la
défaite romaine, quelqu’un a écrit sur la carte (Romani hac obere : ici les Romains moururent) et ces mots se seraient
métamorphosés actuellement en Romagnat et Aubière.
Alors
que les Français de l’intérieur semblent presque impénétrables à l’influence du
vin rouge (piquette comme ils disaient), même les Gaulois y succombaient. Une
nuit du jour de l’Ascension un citoyen d’Aubière revint de Clermont à une heure
tardive et à ce moment le silence du voisinage fut troublé par de grands cris
perçants, d’une femme en détresse. Un officier fit des recherches de crainte
que quelque Américain puisse avoir transgressé les consignes et apprit que le
vacarme était d’origine entièrement française. Le mari et père était si excité
et il voulait administrer la discipline à sa femme et à sa fille et commença
par les mettre à la porte. Le plus merveilleux à dire c’est que l’officier
américain de jour eut le courage d’interférer dans cette difficulté domestique,
obligeant le Français à renvoyer ces mesures jusqu’au matin.
Nota :
Les illustrations sont produites par le C.G.H.A., sauf celles dont la légende
est suivie d’un astérisque (*) qui sont tirées de l’ouvrage en référence du
lieutenant Frederick Morse Cutler.
© -
Cercle généalogique et historique d’Aubière.
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