Le 55ème Régiment
d’artillerie du Corps expéditionnaire américain en France s’entraine en
Auvergne en 1918. L’état-major et un des bataillons séjournent à Aubière.
Le récit de leur séjour à Aubière
qu’en fait l’aumônier de ce régiment, le lieutenant Frederick Morse Cutler, est
assez croustillant. Il nous montre l’autre facette de cet évènement qui a tant
marqué nos ancêtres durant les derniers mois de la guerre 14-18. C’est aussi la
rencontre de deux mondes, l’un qui n’est pas encore sorti du 19ème
siècle, et l’autre qui s’est déjà lancé à grande vitesse dans la modernité du
20ème siècle.
C’est ce contraste saisissant que va
nous révéler la traduction de Marie-José Chapeau que vous lirez, nous en sommes
sûrs, avec un grand intérêt. Nous vous la présentons en plusieurs épisodes.
Épisode 4 : Fêtes
nationales
Le
12 mai était un jour marqué en rouge pour le régiment, car il recevait le
premier canon. Uncle Sam amena le
meilleur que les Français pouvaient manufacturer et avait l’intention d’en
équiper toutes les batteries, mais une avance allemande récente, sur l’Aisne
eut pour cause que les Français ne purent distraire 13 des canons du 55ème,
de la même origine que ceux de l’artillerie française. Il en arriva cependant
davantage, le 11 juillet, et le régiment se trouva avec 24 canons de 115 mm
haute (hight) pression filloux (rifles) ainsi appelés pour les
distinguer des obusiers à courte portée et les nommer d’après les officiers
français qui les avaient inventés. Le canon, en position de voyage, pesait 14
tonnes ; en position de tir, il pouvait envoyer un projectile de 98 pouces
à une distance de 18 km dans les
conditions favorables ou 11 miles. Les engins de traction, pesant 10 tonnes
chacun et possédant une puissance de 75 H P devaient accompagner les fusils et
ainsi ils arrivaient plus lentement, 34 d’entre eux furent ainsi fournis.
Quelques membres du 55ème pensaient que c’était une faute de donner
des tracteurs mal adaptés au lieu de donner au régiment les plus légers et plus
rapides Renault France, et le débat continua pendant des semaines, en fait
jusqu’à ce qu’ils atteignirent le front et se trouvèrent appelés à plusieurs
reprises pour utiliser leur tracteur dans le but de tirer sans résultats les Renault
hors de la boue profonde.
Beaucoup
d’officiers fréquentèrent diverses sortes d’écoles pendant les mois
d’entrainement du régiment. 36 d’entre eux allèrent à l’école d’artillerie
lourde de Mailly-le-camp le 18 avril, pour 2 mois de cours, 4 de plus les
suivirent plus tard, et des contingents de 2 ou 3 fréquentèrent d’autres
centres. En attendant, les officiers libres de cours de formation, étaient
consignés au régiment, pour aider. Beaucoup d’hommes étaient aussi envoyés pour
une instruction spéciale. Une fois, 120 d’entre eux allèrent à l’école des tracteurs
le même jour, et ils furent remplacés par des contingents venant d’autres
régiments. Le 119ème et le 147ème régiment de
l’artillerie de campagne avaient été assignés comme unité motorisée et avaient
plus tard compris pourquoi ils ne pouvaient pas ramener leurs charrettes à âne
exactement au point de départ où ils les avaient prises ; et après la
revue de la garde, ils s’étaient trouvés deux ou trois fois pour chasser les
envahisseurs. Ils en arrivaient à penser que la cérémonie ne valait pas
l’effort qu’elle coûtait.
Canon en 1918 |
L’exercice
contre le feu était un opéra-comique. La totalité des appareils contre le feu
d’Aubière consistait en 3 pompes à mains, remplies par des seaux, qui forçaient
l’eau dans les tuyaux, pas comme en Amérique, mais qui demandaient d’avoir des
sections couplées entre elles suivant une suite définie ou pas du tout. La
ville était divisée en zones de feu et l’alarme était sonnée. Alors que le
maire avait donné son accord, il avait négligé d’en avertir le capitaine des
pompiers et ce dernier retarda le processus jusqu’à ce qu’il soit autorisé à
permettre aux soldats de manœuvrer les engins. Alors il décida que, en tant que
capitaine des pompiers, il devait aider à éteindre un feu imaginaire. Portant
un gros ceinturon rouge et un chapeau avec une crête, il courut, accompagné par
son klaxon, une trompette française vigoureusement mise en marche, et plus la foule
applaudissait ses efforts louables, plus il faisait de bruit. Un jour, quand il
répétait le scénario, une section de tuyau manquait et le « feu » dut
être ajourné…
1918 à Aubière : soldats américains sur le perron de la maison de Pierre Aubény. |
Le
Mémorial Day fut observé en tenant un meeting public sous une grande tente,
avec un discours par le Dr Allan Mac Neil de l’YMCA. Après que les hommes eurent
fait entièrement leur devoir pour les morts, ils s’entassèrent dans des camions
et passèrent leur après-midi au sport dans le camp d’aviation d’Aulnat.
Quelques
200 accidentés qui ont été laissés au camp de Merritt ou ailleurs arrivèrent
pendant ce temps et racontèrent un voyage excitant ; leurs moyens de
transport, le « Pocahontas » (appartenant auparavant à la ligne
allemande « Princesse Irène »), faisait partie d’un vaste convoi, et
le 27 avril, a heurté carrément, enfoncé et coulé un sous-marin allemand. Ce dernier
avait émergé directement devant lui.
Un
réfugié alsacien, parcourait la ville chaque matin pour vendre des journaux.
D’abord, il offrait seulement le journal français, « Le Moniteur »,
mais plus tard des journaux anglais : « Herald », « Mail »,
« Tribune », et « Stars and Stripes ». En plus de cette
vente il avait l’habitude de faire d’éloquents discours en français et les
hommes, sans comprendre un mot de ce qu’il disait, l’encourageaient et applaudissaient
à cet écho. Les hommes qui pouvaient comprendre le français, certifiaient que
ses discours étaient vraiment bons et bientôt il devint connu comme le
Démosthène du 55ème. Un jour le colonel Sevier lui demanda sa
photographie, ce fut le plus beau jour de sa vie.
Quand
les armées alliées réussirent enfin à repousser l’avance ennemie, le 5 juin, et
de nouveau la contre-offensive, commencée le 12 juillet, il y eut des fêtes à
Clermont et dans les villes voisines, les Français n’avaient pas été capables de
cacher leur anxiété de peur que Paris, le joyau de leur pays, ne tombe, et cet
évènement aurait brisé le cœur des Français. Alors, grâce à l’aide américaine,
Paris était écarté de tout danger, les patriotes reconnaissants ne pouvaient
pas assez montrer leur joie. Chaque chose dans la ville et spécialement chaque
chose buvable était offerte « sans argent et sans prix ». Par
exemple, le matin suivant, Démosthène nous délivra sa suprême pièce maîtresse.
Deux
décès endeuillèrent les cœurs du régiment pendant leur période
d’entrainement : Paul J. Tremblay, de la batterie D à Aubière, le 14 juin,
et Daniel E. Lynch, de la batterie F, à Beaumont, le 13 juillet, et ceci offrit
au peuple français une occasion de montrer leur gentillesse et leur sympathie.
Les obsèques, dans les églises des villages étaient devenues des affaires
communales. Les femmes apportaient les plus magnifiques bouquets comme elles seules
savaient les faire, et, avec des larmes, expliquaient que leur propre fils
était enterré près de la Somme et elles considéraient que ces vaillants Américains
étaient devenus les leurs. Deux fois le cortège solennel fit le trajet vers le
cimetière de Clermont, à travers les champs de fleurs de coquelicots. Lynch
avait toujours été pessimiste, concernant son destin et souvent il avait dit à
ses camarades qu’il s’attendait au pire.
Funérailles de Paul J. Trembley à Aubière en 1918 (*) |
Les
Anglais et les Français se joignirent aux Américains en observant « L’Indépendance Day », et le
« Mail » de Londres fit un éditorial significatif de l’époque disant
que la révolution américaine a été un triomphe du droit sur le pouvoir, le
droit pour les Anglais et les Américains de combattre côte à côte. Il y eut une
parade le matin à Clermont, suivie d’un après-midi de sports. Le colonel Sevier
commandait la 31ème brigade et le général Gotchell, ensemble avec le
commandant français, passèrent les troupes en revue. Les hommes portaient le
casque d’acier pendant la cérémonie, pour la première fois. Comme chacun
portait l’habit rouge de leur uniforme et avec les rues obstruées par des
spectateurs français enthousiastes, l’évènement fut un jour mémorable. Le
porteur de couleur compléta cette marche, portant deux énormes bouquets que les
filles françaises avaient jetés dans ses bras. Comme le Sergent Varner était un
des hommes les plus beaux du 55ème, il est possible que cette
destination était beaucoup plus personnelle que nationale.
4 juillet |
Le
maire NOELLET prépara les mentalités d’Aubière pour cet évènement en produisant
la plus grandiloquente proclamation. L’étrange vieux tambour de ville, avait
habituellement le devoir d’annoncer que quelqu’un proposait un cochon à vendre
ou que quelqu’un avait perdu un coq, mais le 4 juillet après quelques coups
préliminaires sur le tambour et l’inévitable « avis », vint
ceci :
« Aujourd’hui,
4 juillet est la fête nationale des USA qui doit être célébrée comme le 14
juillet ».
« Le
maire, en ce jour solennel, est heureux de saluer avec la faveur des habitants
de cette ville la noble nation américaine pour l’aide généreuse et
désintéressée qu’elle nous apporte dans ce conflit mondial, pour le triomphe du
droit, de la liberté et de la démocratie.
« Que
notre gratitude s’élève à la hauteur de leur sacrifice, que nous montrions aux
braves soldats de la grande République sœur, qui pour nous, qui ne sommes pas
seulement des alliés et des amis mais des frères avec les mêmes aspirations,
bientôt peut être avec les mêmes chagrins mais néanmoins maintenant avec les
mêmes espérances. »
Le
Président Woodrow Wilson a décrit avec éloquence l’impression que la parade des
Américains fit sur les Français :
« Hommes
et femmes anxieux dirigeant les esprits français, accompagnent la célébration
du 4 juillet, non comme une coutume courtoise sans intérêt pour la festivité,
avec peu de zeste pour l’espérance. Mais ils arrivent avec quelque chose de
nouveau dans leur cœur, comme ils nous l’ont dit eux-mêmes.
« La
simple vue de nos hommes, de leur vigueur, de la confiance qu’ils montrent eux-mêmes
dans chaque membre de leurs vaillants participants et dans chacun de leur pas
cadencé, dans leurs rangs disciplinés, dans l’air indomptable qui ajoute de
l’esprit à chaque chose qu’ils font, rendent tous ceux qui les voient, que ce
jour mémorable se réalise, que quelque chose est arrivé qui était beaucoup plus
qu’un simple incident dans le combat, quelque chose de très différent que la simple
arrivée de troupes fraîches.
« Une
grande force morale les a jeté dans la lutte. La belle force physique de ces
hommes d’esprit parle plus que leur vigueur corporelle. Ils portent les grands
idéaux d’un peuple libre dans leurs cœurs, avec la vision d’être invincibles.
Leur présence amène une certitude, leur combat rendra la victoire certaine.
« Ils
sont les hommes que l’Amérique désirait pour la représenter, la sorte d’hommes
dont chaque américain désirait se réclamer comme compagnons de campagne, et
comme camarades dans une grande cause. Ils sont terribles dans la bataille et
gentils et serviables en dehors, se souvenant des mères, des sœurs, des veuves
et des petits enfants laissés chez eux. Ils sont des hommes libres sous les
armes, n’oubliant pas les idéaux de leurs devoirs, au milieu de leurs travaux
de violence. Je suis fier d’avoir eu le privilège de leur être associé et de m’appeler
leur « leader ».
« Mais
je parle maintenant de ce qu’ils signifient pour les hommes à côté de qui ils
combattent et au peuple avec lequel ils se mélangent, aussi amicaux que s‘ils
leur avaient demandé seulement un service. Ils sont pour tous, le visible
engagement de l’Amérique. Ce qu’ils ont fait, l’Amérique et tout ce qu’elle tient
pour une réalité vivante dans les pensées, non seulement du peuple de France,
mais aussi pour des dizaines de millions d’hommes et de femmes à travers les
nations du monde, dont la liberté se trouvait en péril ainsi que la perte de
quelque chose à laquelle elles tenaient chèrement. Dans la crainte mortelle que
ces liens ne soient à jamais perdus, et que leurs espérances dans l’avenir
soient tournées en dérision et soient restées vaines. »
14 juillet |
Le
14 juillet, quand les Américains retournèrent le compliment et aidèrent les Français
à célébrer le jour de la prise de la Bastille, nous approchions du moment de
notre départ et beaucoup de batteries étaient engagées dans le « tir à la
cible », si bien que la 31ème brigade pouvait envoyer seulement
un seul bataillon disponible pour la parade avec nos alliés. La batterie F fut
choisie, de manière appropriée pour représenter le 55ème dans
l’unité disponible. Les paroles du chant :
Quand nous revenons,
les garçons tirent tous
ici viennent les
Fusiliers de Boston
avec les têtes
relevées et le pas parfait
nous conduisons le
peuple avec allégresse
car il y a un style,
nous sommes élégants, tous, comme lorsque
nous marchons près des
ladies, ils sourient tous
à travers le pays il
n’y a rien de si grand
que les Fusiliers de
Boston.
Ils
servirent jusqu’au « jour de la prise de la Bastille », dans le cœur
de la France pour cet accomplissement et le Sergent Varner, de nouveau, reçu un
bouquet. Il était toujours gagnant.
Pendant
ce temps, le Cdt Servier faisait la liste des ressources du 55ème dans
un travail de pure charité ; sur ce, il envoya l’orchestre de Svensson et
une partie des travailleurs de l’état-major pour un voyage de 40 miles, randonner
dans la chaîne des Puys et les établit sur une colline à plus de 3000 pieds
au-dessus du niveau de la mer. Ils avaient leur camp de base et le parc de
camions à Randanne et les positions des armes à feu au Puy de la Vache.
Tout
autour il y avait des volcans éteints avec leurs rochers et leurs cendres rouge
brun et pourpre alors qu’autour grandissaient des arbres broussailleux et de la
bruyère comme dans les Highlands écossais. Les batteries faisaient un excellent
travail, considérant que leurs canons étaient maintenant à eux, mais le
téléphone des hommes de ligne rencontrait des difficultés inattendues. Leurs
fils étaient mystérieusement cassés et aucune explication n’était avancée
jusqu’à ce que les vaches et les moutons fussent découverts mâchant placidement
les lignes et se réjouissant avec évidence de la solution salée qui formait en
partie l’isolation. Il semblait romantique de dormir sur un lit de bruyère
vivante, mais quand on est réveillé vers minuit par le froid extrême de la
haute altitude, et qu’on réalise qu’il n’y a plus de couvertures disponibles,
on cesse d’apprécier la romance. Le samedi 28 juillet amena beaucoup d’amis
français loyaux, comme visiteurs à Randanne ; puisque l’essence n’était
pas distribuée aux civils et les automobiles par conséquent impensables à
utiliser, ces vieillards accompagnés de jeunes dames marchaient à pied sur
toute la distance, neuf miles
aller-retour, depuis Aubière et Beaumont, et apportaient une preuve de leur
affection et montraient aussi les possibilités des marcheurs français. (1)
Note
du CGHA :
(1) - Une
distance d’environ 20 kilomètres sépare Aubière de Randanne.
Nota : Les illustrations sont produites par le C.G.H.A., sauf
celles dont la légende est suivie d’un astérisque (*) qui sont tirées de
l’ouvrage en référence du lieutenant Frederick Morse Cutler.
© -
Cercle généalogique et historique d’Aubière.
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