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jeudi 16 janvier 2014

Sarliève et la famille de Strada à Aubière



Tsin d’Oubero, Latzen pas ! Nous sommes d’Aubière, nous ne lâchons pas !
C’est ainsi que les insurgés de 1841 auraient répondu à ceux qui leur demandaient de se rendre, et c’est ainsi que cette phrase est devenue la devise d’Aubière.
Il est vrai que nos ancêtres étaient déterminés ; c’est ainsi que de 1454 à la Révolution, ils n’hésitèrent pas à attaquer en justice, les seigneurs d’Aubière pour réclamer le respect de leurs droits.
Ils récidivèrent quand la famille de Strada s’installa sur les terres de Sarliève, qu’elle posséda pendant près de 200 ans. Ces démêlés durèrent de 1630 à 1820 et furent l’occasion de nombreux procès.
Peu de gens connaissent, actuellement, le nom même des de Strada, qui quittèrent Sarliève vers 1820, bien que ce soit un de leurs descendants, Valéry Giscard d’Estaing, qui fit bâtir la Grande Halle d’Auvergne et le Zénith, sur ce territoire.

Dessèchement du Lac de Sarliève
Lorsque le roi Henri iv accéda au trône de France, il promulgua l’Édit de Nantes, en 1398, mettant fin aux guerres de religion qui avaient ensanglanté la France depuis plus de soixante ans et laissé le pays économiquement en mauvais état.
Henri iv décide alors de favoriser l’agriculture -"Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France"-. Il avantagea toutes les personnes qui entreprenaient de dessécher les marais et marécages de France. Ces dispositions intéressèrent les hollandais qui connaissaient et pratiquaient depuis longtemps, chez eux, les techniques adéquates. L’un d’eux, Humphrey Bradley, fonda une "Société pour le dessèchement de marais et marécages de France".
Agréé, il commença ses travaux dans l’ouest du pays. A cette époque, la plaine de la Limagne était assez marécageuse et drainée plus ou moins bien. Elle se terminait, vers le sud, par un lac peu profond, qui occupait toute la cuvette de la plaine de Sarliève. Ce lac n’était pas sans intérêt économique pour les seigneurs environnants. Il était très poissonneux ; et les riverains, surtout les domaines ecclésiastiques qui s’étaient installés aux environs, étaient attirés par les ressources en poissons, dont ils tiraient leur nourriture les jours de jeûne et d’abstinence, alors nombreux dans les couvents.
Le quart nord-ouest du lac était sur le territoire de la seigneurie d’Aubière. Vers 1611, il fut décidé de dessécher la Limagne en commençant par le lac de Sarliève. Il fallait, pour cela, désintéresser tous ceux qui y avaient des droits, et ils étaient nombreux : quatre domaines ecclésiastiques : Gergovia, Prat, Fontantiges, et Bonneval, et aussi les prêtres et chanoines de la Sainte-Chapelle de Riom, les seigneuries voisines et les habitants des paroisses environnantes. De 1611 à 1614, ils dédommagèrent tous les ayant-droits et les travaux purent commencer.
Le dessèchement commença sous Louis xiii, vers 1612. Les travaux étaient déjà bien entamés lorsque, en 1627, un sociétaire de Bradley arriva à Sarliève, acheta toute l’étendue du lac et acheva le dessèchement. Cet homme s’appelait Octavio de Strada.

Octavio de Strada

Octavio de Strada, seigneur d’Aubière
Lorsqu’Octavio de Strada est arrivé à Sarliève, les entrepreneurs du dessèchement avaient déjà acheté, à Gilbert de Jarrie, baron d’Aubière, sa part du lac de Sarliève, consistant en marais, eau, poissons, cannes et terres délaissées, comme ils avaient désintéressé tous les ayant-droits sur ce territoire.
Il conserva ces acquisitions lorsqu’il prit en main les travaux à son compte.
En 1622, au décès de Gilbert de Jarrie, son frère, François de Jarrie et ses deux sœurs, devinrent ayant-droits sur la juridiction d’Aubière. En 1634, à la mort de François de Jarrie, ses sœurs, Françoise d’Aubière, Dame de Cordebeuf et Gilberte de Jarrie, épouse d’Annet de la Rochebriant de Chovance, seigneur, se partagèrent ses biens.
Gilberte de Jarrie, le 21 juillet 1639, hérite d’Aubière et vend le quart de la seigneurie d’Aubière à M. le Général Laville, dont la veuve, le 16 avril 1642, cède ses droits à Octavio de Strada. Il est possible que ce dernier visait alors à obtenir toute la seigneurie d’Aubière, mais en 1652 et 1654, il put acquérir une partie de la seigneurie de Cournon.
Son fils, Jean Destrada, revendit, le 1er mai 1673, à Gilberte de la Rochebriant de Chovance, fille de Gilberte de Jarrie, ce qu’il possédait sur Aubière, c’est-à-dire le quart du château et des fossés, en gardant toutefois le cuvage, la grange et l’écurie, qui continueront de lui appartenir.
En plus, le seigneur de Strada a vendu à la Dame de la Rochebriant, tous les "droits honorifiques", qui lui sont dus et lui appartenaient en qualité de co-seigneur d’Aubière, dans l’église paroissiale d’Aubière.

Le lac de Sarliève en 1663

Démêlés entre la famille de Strada et les habitants d’Aubière
Pour comprendre le motif des procès qui ont surgit entre les de Strada et les Aubiérois, il est nécessaire de regarder le plan de Sarliève datant de 1663, provenant des fonds de l’abbaye de Saint-André, établi lors d’un piquettement, ou bornage, du lac. La légende, bien qu’incomplète, explique les bornes du lac et de ses environs ; malheureusement la légende de ce document est parfois incomplète, vu l’état de ce dernier. Il semble que la famille Destrada avait les dents longues en interprétant les Édits du roi, concernant les droits que pourraient avoir, sur les terres récupérées, ceux qui entreprendraient le "Dessèchement des Marais et Lacs de France".
Octavio Destrada fit creuser une grande tranchée, nettement tracée sur le plan de 1663, entre le lac desséché et le marais en très bon pâturage et les Aubiérois. Ces derniers lui contestaient ces droits, bien qu’il fût alors le seigneur d’Aubière.
De nouveaux procès eurent lieu, en 1671, entre Jean de Strada et les Aubiérois qui avaient fauché les foins et herbes du marais.

Les rutoirs du Gourgat à Aubière - 1
(Plan cadastral de 1831 - Archives départementales du Puy-de-Dôme)

Les rutoirs du Gourgat à Aubière - 2
(Plan cadastral de 1831 - Archives départementales du Puy-de-Dôme)

Une autre contestation s’est élevée à propos des rutoirs existant dans la zone de Sarliève, par Jean-Hyacinte de Strada, en 1758 et Sébastien de Rollat. En 1774, de Rollat demanda lui aussi leur destruction.
Vers 1757, on signale de nombreux baux (plus de 150), entre Marc-Antoine de Strada et un certain nombre d’habitants d’Aubière, Pérignat et La Roche Blanche. Ceux-ci étaient donc bien implantés à Sarliève, lorsqu’arriva la Révolution. Voulant avoir une part du gâteau, les Aubiérois se partagèrent le marais de la Ronzière qu’ils considéraient comme bien communal. Ils abattirent 80 arbres et le mirent en culture. Le citoyen Bourgoing, qui était fermier juridique de Sarliève, porta plainte au District de Clermont, qui fit assigner Antoine Noellet et Gilbert Mazen, qui représentaient le Corps commun des habitants d’Aubière.
Lorsque Marc-Antoine Destrada reprit le domaine de Sarliève, les procès reprirent de plus belle, les Aubiérois revendiquant les terres de la Ronzière comme faisant partie des biens communaux d’Aubière, en arguant que la famille Destrada, étant seigneur de Cournon et non d’Aubière, n’avait plus de droits sur la justice d’Aubière.
Il est intéressant de lire le début des documents qu’ont fourni les deux adversaires vers 1806, avant le procès final qui va fixer le sort du fameux Marais de la Ronzière (A.D. 63 - 2 E 037) :

Mémoire pour Marc-Antoine De Strada d’Arosemberg, « propriétaire, habitant au lieu de Sarliève, commune de Cournon, demandeur, contre le Corps commun des habitans de la Commune d’Aubière, représentés par les citoyens Antoine Noellet et Gilbert Mazen, propriétaires, demeurant en la même Commune, leurs commissaires et syndics, défendeurs :
Depuis deux siècles, les habitans d’Aubière font une guerre impitoyable aux propriétaires de Sarliève. A peine ce beau domaine fut-il sorti du sein des eaux, par les travaux immenses d’Octavio De Strada, que les habitans d’Aubière voulurent s’en emparer. Quantité d’arrêts du Conseil d’État et du Parlement, ont mis à diverses époques, des bornes à leurs entreprises ; mais cela ne leur a ôté ni le goût, ni la volonté d’en commettre de nouvelles ; et comme la Révolution leur a présenté des circonstances favorables, ils en ont profité pour se permettre les plus injustes et les plus violentes usurpations.
Il s’agit maintenant de les forcer à restituer successivement ce qu’ils ont pris, et quoique rien ne soit plus juste et plus naturel, néanmoins le citoyen De Strada connoit trop le caractère de ses adversaires pour ne pas sentir que l’autorité conservatrice des tribunaux peut, seule le réintégrer dans ses propriétés et dans ses droits. »

Mémoire pour les habitans d’Aubière, en réponse au mémoire et à la dernière requête de Monsieur Destradat :
« Monsieur Destradat a mal pris son texte dans le Mémoire imprimé qu’il a répandu, lorsqu’il a crié à l’usurpation contre les habitans d’Aubière, tout exprès pour essayer d’ajouter leur Communal à la vaste et riche propriété de Sarliève, par droit de voisinage. S’il suffisait de déclamer avec chaleur, pour ravir à cette Commune le marais communal de soixante treize septérées d’étendue (env. 2217 ares), dont elle jouit depuis des siècles et qui a été partagé par têtes d’habitans, saigné, défriché, et mis dans le meilleur état de culture et de production depuis dix ans, en vertu de la loi du 10 juin 1793, il aurait abondamment justifié son attaque ; quand il s’en serait tenu au seul préambule de son Mémoire. Mais le souvenir des usurpations de tout genre que les Seigneurs s’étaient permises sur les Communes pendant le régime oppresseur de la féodalité, n’est pas encore assez éloigné, pour que les reproches adressés aux Communes d’avoir usurpé elles-mêmes sur les Seigneurs lorsqu’ils étaient tout-puissants, les terrains communaux dont elles jouissent de toute ancienneté, puissent faire quelque fortune. Ainsi M. Destradat, ramené à la réflexion, a-t-il compris que ses bruyantes clameurs n’étaient que ridicules. Ce n’est plus maintenant la réunion du communal d’Aubière à son domaine de Sarliève, comme à sa source primitive, qu’il demande ; il veut seulement que l’agriculture perde cette précieuse conquête faite par les sueurs, les fatigues et les avances de fonds de plus de 2000 défricheurs. Il veut que ce marais redevienne ce qu’il était avant le partage ; qu’il soit remis en pâturage commun, et condamné de nouveau à ne produire que des joncs et quelques herbes marécageuses. L’on se tromperait, au reste, si l’on croyait que sa réclamation a pour but de lui faire partager avec les habitans d’Aubière, l’avantage d’envoyer ses bestiaux pacager avec les leurs dans ce communal : il sait bien qu’il n’aurait pas ce droit, lui "qui ne possède plus rien dans le territoire de la Commune d’Aubière." »

Marc-Antoine de Strada était mort en 1807, et son fils Sébastien, qui avait toujours de gros besoins d’argent finit par obtenir gain de cause, en 1811. Le Marais de la Ronzière fut rendu aux Aubiérois moyennant le paiement d’une somme de 37.300 francs, répartie entre 649 propriétaires (presque toutes les familles d’Aubière). Le cadastre de 1831 fait état d’un territoire extrêmement morcelé (surfaces de parcelles comprises entre 0,1/4 are et 12 ares).
Le départ de Sébastien de Strada marque la fin de ces contestations.

© - Cercle généalogique et historique d’Aubière (Marie-José CHAPEAU)


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