commencé le 6 avril 1767
Cet épais registre, issu des
archives communales d’Aubière, rassemble les jugements rendus à Aubière par le bailly
Thoury entre 1767 et 1780.
Le bailli était, dans
l'Ancien Régime français, le représentant de l'autorité du roi dans le
bailliage, chargé de faire appliquer la justice et de contrôler
l'administration en son nom. La juridiction en charge d'un bailli s'appelle un
bailliage. En France méridionale, le terme généralement utilisé était sénéchal
et la circonscription la sénéchaussée.
Mais il s’agit ici du
bailliage seigneurial d’Aubière (les baillis royaux ayant perdu leur pouvoir au
XVIème siècle).
Le notaire Thoury, bailli
seigneurial d’Aubière, était néanmoins conseiller du roi en la ville de
Clermont-Ferrand. C’était en quelque sorte un juge de proximité au
service du seigneur d’Aubière.
Dans mon four dois cuire ton
pain !
Le 1er juillet 1780, sur la route de Clermont
à Aubière, le commissaire de police, Antoine-Joseph Derribes, surprend les
valets des meuniers Jean et André Jallat, ramenant à Aubière 5 tourtes de pain
pour l’un, 19 tourtes de pain pour l’autre. Les tourtes viennent de chez Giraud,
boulanger à Clermont. L’un d’eux, Pierre Roudet, avoue que les tourtes sont la
propriété du maçon Alligros. Les tourtes sont saisies.
Averti, le baron d’Aubière, Pierre André, porte
plainte : les Aubiérois ne doivent-ils pas faire cuire leur pain dans ses
deux fours banaux ?
L’enquête suit ; l’audience
« extraordinaire » devant maître Thoury est fixée au mardi 4 juillet.
"Cinq tourtes pour l'un..." |
Du 4 juillet 1780
L’enquête révèle que Pierre Roudet, natif de Bourg-Lastic,
valet de Jean Jallat, a menti au commissaire, accusant le maçon Alligros (1)
par crainte et pour sauver les véritables propriétaires : des cinq
premières tourtes, quatre appartiennent à Martin Baile dit Varillat le jeune
(2), une appartient à Antoine Blanc (3). Me Thoury reporte le
jugement de ces deux contrevenants au jeudi 6 juillet.
Pour les 19 tourtes, saisies le même jour, quatorze
appartiennent à Antoine Nouëllet dit La Courteyre (4), cinq à Jacques Baile,
gendre à Gaspard Tardif (5).
A l’audience, le baron Pierre André, seigneur demandeur, est
représenté par son procureur Me Jean-Baptiste Barre ; sont
aussi présents André Jallat (6), meunier, Antoine Nouëllet dit La Courteyre,
laboureur habitant d’Aubière.
Ce dernier admet qu’il avait chargé le valet d’André Jallat
de lui porter ses 14 tourtes. Il déclare qu’il a toujours fait cuire son pain aux
fours banaux du seigneur (7), qu’il doit à la vérité qu’il a fait cuire des
tourtes en la ville de Clermont parce qu’il avait un besoin pressant de cuire
du pain pour ses moissons. Il supplie de lui faire « main levée » du
pain dont il a besoin.
Jugement : « Faisant
droit sur la saisie concernant ledit Nouëllet par grâce et intérêt à
conséquence, luy avons fait main levée des quatorze tourtes de pain
saisies ; ordonnons qu’à la remise le gardien sera contraint par
corps ; faisons deffence audit Nouëllet de faire cuire son pain ailleurs
qu’auxdits fours banaux à paine de confiscation et de dix livres d’amande, et
pour la contravention par luy commise, le condamnons à payer au seigneur demandeur
la somme de vingt-cinq sols, à laquelle nous avons fixé d’office le droit de
cuisson desdites 14 tourtes de pain, en l’amande de trois livres et aux dépens,
liquidés à son égard à la somme de quatre livres quinze sols dix deniers, y
compris l’expédition de notre présente sentence ».
Jacques Baile, quant à lui, ne s’est pas présenté à
l’audience, ni aucun procureur pour lui.
Jugement : « Avons
donné deffaut contre ledit Jacques Baile, non comparant, et avons confirmé la
saisie des cinq tourtes de pain ; ordonnons qu’elles demeureront
confisquées du consentement dudit seigneur d’Aubière au proffit des pauvres de
cette paroisse, et qu’à cet effet, elles seront remises entre les mains des
sœurs de la Charité de ce lieu pour en faire la distribution suivant
l’indiquation qui en sera faitte par le curé de cette paroisse. Condamnons en
outre ledit Baile à payer au sieur demandeur la somme de douze sols pour le droit
de cuisson desdites cinq tourtes de pain, et pour la contravention par luy
commise l’avons condamné en l’amande de 3 livres et aux dépens fait à son égard
et liquidé à la somme de quatre livres quinze sols dix deniers, y compris
l’expédition de notre présente sentence ».
Jugement à l’encontre d’André Jallat : « En ce qui concerne ledit André Jallat, luy
faisons deffence de porter à l’avenir du pain pour aucun particulier ou
domiciliés de ce lieu d’Aubière, de la ville de Clermont ou d’ailleurs, dans ce
lieu d’Aubière, et, pour l’avoir fait, le condamnons à vingt sols d’amande et
aux dépens fait à son égard, liquidés à la somme de 4 livres 15 sols 10
deniers, y compris l’expédition de notre présente sentence.
Permettons au seigneur
demandeur de faire imprimer et afficher et publier notre présente sentence tant
à l’yssue de la messe paroissialle de ce lieu d’Aubière que dans la place et
autres lieux accoutumés, et fera notre présente sentence exécuter ».
Signé : Thoury.
Notes [Tous les actes ont eu
lieu à Aubière, sauf mention contraire] :
(1) – Alligros le maçon :
Ce maçon de la Creuse, Jean Alligros, est le premier de sa lignée à Aubière où
il se marie le 5 février 1782 avec une toute jeune fille de 15 ans, Marguerite
Lance. En 1780, il n’est à Aubière que depuis peu ; sans doute,
malheureusement, faut-il chercher là que l’on s’en prenne à lui (voir ici).
(2) – Martin Baile dit
Varillat le jeune : fils de Pierre et de Gilberte Delongchambon ; il
s’est marié le 12 janvier 1768 à Marie Roche. En 1795, sa fortune sera estimée
à 16.000 livres !
(3) – Antoine Blanc : non
identifié ; il y a trop d’homonymes contemporains.
(4) – Antoine Nouëllet dit La
Courteyre : ou Noëllet La Courtière. Encore une des plus belles fortunes
d’Aubière dans ce dernier quart de XVIIIème siècle. Il est l’époux
(mariage du 30 janvier 1742) de Gabrielle Janon, la fille d’Antoine et
d’Antonia Arnaud, les donateurs de la croix Saint-Antoine.
(5) – Jacques Baile : marié
depuis le 17 janvier 1764 à Marguerite Tardy ou Tardif, fille de Gaspard et de
Charlotte Cassière.
(6) – André Jallat : Il
représente la quatrième génération de meunier à Aubière. Fils de Jean, qui
meurt le 25 mars 1750, il se marie, six ans plus tard, avec Charlotte Thévenon,
le 10 février 1756. Son moulin est le moulin « d’en-bas » (voir la rue des Moulins).
(7) – Les fours banaux : Dans
le système féodal, le seigneur était propriétaire du four à pains. Il
l’entretenait et le mettait à la disposition des habitants (banalité). En
contrepartie, les habitants de la seigneurie ne pouvait faire cuire leur pain
que dans ce four et en payant une redevance. En 1780, le four banal de la place
de la Halle à Aubière étant devenu trop petit, un deuxième avait été construit
dans le haut des Ramacles, au quartier de la Font. Quelques années plus tard,
seul le four neuf des Ramacles fonctionnera.
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière –
Pierre Bourcheix
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