Comme tous ceux qui travaillent la
terre, nos anciens vignerons, s’ils ne craignaient plus que le ciel leur tombe
sur la tête, le regardaient souvent avec inquiétude.
Une année trop sèche ou trop humide,
une averse de grêle, et c’est tout le revenu d’une année qui disparaît,
entraînant de lourds problèmes financiers.
Si l’on pouvait au moins prévoir ces
coups du sort !
Au XIXème siècle, nos
ancêtres découvrent la lecture et l’écriture. Les colporteurs parcourent les
campagnes et diffusent des recettes et des prévisions plus ou moins fiables.
Mon ancêtre, Claude Bernard,
vigneron de Beaumont vers 1830, avait ces inquiétudes. Il avait un cahier où il
écrivait tout ce qui le préoccupait. C’est ainsi que j’ai retrouvé des « Prédictions climatériques » tirées
d’un mystérieux troisième livre des Prophéties perpétuelles…
« …et la troisième
partie de mon livre, comme la seconde partie, n’étant qu’une répétition de mes
prédictions climatériques, sembleront inutiles si elles n’étaient soutenues et
appuyées l’une et l’autre de mes prédictions particulières, qui en font le
soutien et l’amusement… pour occuper mon lecteur et satisfaire sa curiosité, je
dirai encore une fois avec lui que le soleil ayant fait son tour par 28 années
[1], multipliées par neuf, qui font 252 ans,
comme il se voit dans la première et seconde partie de mon livre, le soleil
recommence derechef son tour parfait.
Qui est son premier
nombre et qui auront (…) aura cours le premier cours et dont que tout les 28
ans, se commencera de nouveau sur chacune de chiffre qui sont marqués
ci-dessous :
1773, 1801, 1829, 1857, 1885, 1913, 1941, 1969, 1997, 2025
En 1825 : Le
printemps cette année sera venteux, froid et mal profitable à plusieurs choses.
L’été sera propre à tous biens. L’automne sera humide jusqu’au milieu et le
reste sera assez beau. L’hiver sera long et supportable, les blés seront chers
et bien requis au commencement de l’année ; les vendanges seront bonnes en
peu de pays et il fera bon acheter du vin qui puisse se garder longtemps, et
ceux qui en achèteront et garderont feront grand profit ; les grains
enrichiront ceux qui les garderont jusqu’à l’année suivante.
Le 26 solaire qui aura
cours en :
1773, 1801, 1829, 1856, 1884, 1913, 1941, 1969, 1997, 2025
En 1826 : En
cette année le printemps sera froid et… »
Je ne sais pas si Claude Bernard croyait beaucoup à ces
Prédictions, mais cela lui a donné l’idée de relever dans son cahier, à la fin
de chaque année, les conditions météorologiques qu’elle lui a réservé. Voici ses remarques :
1826, une année désastreuse
Ce climat de 1826, le
mois de janvier a été très amer ; le mois de février a été très beau, que
le mois de mars fait suite. Les chaleurs sont venues comme un grand coup de
beau temps le 15 mars. Les arbres sont en fleurs, les vignes commencent à boutonner
mais les rosées de la nuit sont froides. Cela retient les vignes. Les 22 et 23
mars a fait grande neige d’un pied à plapeye [?]. La nuit du vendredi au samedi saint, il a gelé comme au grand cœur de
l’hiver. Le 28 avril a tombé la neige ; la nuit du 28 au 29 avril nous a
emporté les autres vignes. Le 7 mai il a gelé. Le 20 mai, à peine on a pu
trouver du ramage de vigne pour envelopper Saint-Verny qui est le 20 mai.
Jusqu’à la Saint-Jean un temps froid, à peine on voit la fleur de vigne à la
Saint-Pierre et le 20 juillet le raisin était gros de presque Clod [?]. Les derniers jours de juillet et les
premiers d’août, a fait une chaleur qui a si bien brûlé le raisin. Le 4 août il
a fait une pluie occasionnée par un tonnerre d’août et (…). Le 20 août on voit
quelques graines changer ; le temps est chaud. La fin d’août et le
commencement de septembre nous a fait de grandes pluies qui ont endommagé bien
des pays. En octobre c’est assez bien et le 23, on vendange.
1829
Nous récoltons
beaucoup de vin, mais petit. Ceux qui l’ont gardé jusqu’à l’année suivante l’on
vendu 3 ou 4 francs.
1831
de vivant n’ont vu si
peu de récolte. Nous récoltâmes à peu près 4 pots de vin par œuvre, ou une
bachollée par œuvre. A Louche, le vin se vendait 6,50 francs, toute l’année a
diminué de prix.
1831-1832
Température de
1831-1832. Au commencement de septembre 1831 jusqu’au commencement de juin
1832, la terre ne s’est pas abreuvée de 2 pouces, mais au commencement de juin,
la terre s’abreuva d’environ 8 à 10 pouces, du mois de juin jusqu’au mois d’octobre.
Au commencement d’octobre la terre s’abreuva d’environ 4 à 5 pouces. Le ban des
vendanges est au 15 octobre ; les vendanges sont moyennes, mais de bonne
qualité.
[rajouté plus tard :] Nous n’avons pas fait la qualité que nous prétendions, qui est assez
médiocre. Pas beaucoup de requêtes au commencement.
1832
L’année de la
sécheresse.
Cette année nous eûmes
3 petites pluies, la première au commencement de juin, la seconde au milieu d’août,
la troisième au mois d’octobre. Malgré la sécheresse nous eûmes beaucoup de
seigles, beaucoup de froment, mais que toutes les semences de mars ont manqué
moyennement ; un vin de médiocre qualité. Les prix : 2,50 francs.
1833
L’an 1833 : le
printemps a été sec, les vignes ont boutonné au 15 avril. Les vignes avaient
passé fleur à la Saint-Jean. On prétendait grosse qualité de vin, mais la
mauvaise température du temps nous a causé une légère qualité. Juillet :
nous avons gelé, puis la grêle et la brande [2] ont fournie mauvaise récolte. L’hiver a
fait ni froid ni neige et on voyait la fleur de l’amandier puis l’abricotier
bien commencé au 15 décembre 1833. Prix du vin : 1,50 franc.
1835
Une année de catastrophe.
Le lendemain du 16
juillet de l’an 1835, occasionné par un tonnerre que la pluie a duré autour d’une
demi-heure, l’eau est toute venue de Boisséjour, a démembré tous les arbres le
long du ruisseau [l’Artière] et en a
formé une barricade de 15 pieds de hauteur ; l’eau était dans le rivage. A
la chapelle Saint-Pierre [de Beaumont]
il y avait 3 pieds d’eau qui ont renversé les murs du grand verger. Les anciens
de la commune ont preuve que la pareille pluie est arrivée depuis 70 ans dans
la même situation. [3]
Le même, encore plus
lugubre, à Royat ; l’eau a démembré tous les moulins le long du ruisseau [la
Tiretaine] et a perdu même une douzaine
de personnes ; 5 à 6 moulins détruits jusqu’au fondement.
Tout ce qui s’y
trouvait, le monde, les chevaux, les voitures, les sacs, tous ces débris
formaient des barrières avec des arbres les uns sur les autres de plus de 15
pieds de hauteur ; toutes les maisons de Chamalières étaient pleines d’eau
de 4 pieds au 1er ; les caves, tout était plein.
Le 25 juillet il a
fait une tempête qui a tombé de la grêle de la grosseur du poing, qui a brisé
les vitres et massacré tous les couverts. Les tuiles se sont vendues jusqu’à 20
francs le cent ; une seconde fois l’eau a été encore plus fort.
1840
Température de 1840.
L’hiver a fait aucun
froid excepté le commencement de janvier a fait 5 à 6 jours de froid un peu
rapide. Au reste, un temps doux et des vents chauds. Le 2 février il a fait une
pluie douce, neigeante en montagne. Le 20 février et tout le commencement de
mars il a fait un temps serein la nuit et le jour. Il a gelé rapidement. A la
fin d’avril il a fait un temps extrêmement beau ; les vignes ont boutonné
et la feuille dans 4 à 5 ou 6 jours, ensuite ont fleuri. Au commencement de
juillet il a fait des fraîcheurs.
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière –
Marie-José Chapeau (Archives privées).
[1] - Note de l’auteur : Je n’ai trouvé nulle part de
cycle solaire de 8 jours. D’où l’auteur de ces Prophéties tenait-il ces
renseignements ?
[2] - Brande : Dans le Puy-de-Dôme, maladie de la
vigne qui apparaît en août-septembre, par vent froid qui dessèche et arrête la
végétation. Les feuilles rougissent, se dessèchent et tombent (Dictionnaire du
monde rural, Marcel Larchiver).
[3] - Note de l’auteur : Allusion à la crue de l’Artière du 22 septembre 1764
qui, suite à un orage, fit des dégâts considérables et des victimes, notamment
à Aubière.
Hé oui, nos ancêtres eurent eux aussi leur lot de catastrophes dues aux intempéries. On peut lire ceci (qui ressemble à une tornade) dans "Le journal du Puy-de-Dôme" dont je possède l'année 1822 reliée, à la feuille du 1er janvier 1822: "Dans la nuit du 24 au 25 décembre, une jeune personne de dix-huit ans, allant de St-Bonnet dans une paroisse voisine, pour y entendre la messe de minuit, au moment où elle traversoit un torrent, sur une légère planche placée en guise de pont, a été renversée dans l'eau, par la violence du vent, et n'a pu être retirée qu'après sa mort.
RépondreSupprimer"La même nuit n'étoit pas moins fatale à deux femmes de la petite ville de Laqueuille. Trop foibles pour résister à l'impétuosité des vents, elles ont été soulevées de terre, et jetées dans un précipice où on les a trouvées moulues le lendemain matin".
La même année, en février, le journal rapporte aussi des tremblements de terre nettement ressentis à Clermont et aux environs, une éruption du Vésuve, et l'écroulement du pont de vieille-Brioude...
Cordialement.
Jacques Pageix (qui a des ascendants Bernard à Beaumont)
PS: sur les Bernard, je prépare pour mon blog une biographie du prêtre Jean Bernard, originaire de Beaumont, curé de Thuret fusillé à Lyon pendant la Révolution...
Merci, Jacques.
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