Ce billet vous paraîtra peut-être incongru, mais ce texte
se trouve dans un lieu tout aussi incongru : le Registre paroissial d’Aubière, après l’année 1662 (les
années 1663 à 1669 sont manquantes dans cette version retrouvée dans les
archives communales).
Ce n’est pas souvent que de telles digressions se
rencontrent dans les Paroissiaux d’Aubière, mais le curé de l’époque, messire Amable AUBENY, a du être fortement
impressionné par le récit de voyage d’un père jésuite en Extrême-Orient. Il n’a
pas résisté à la tentation d’en laisser une trace écrite, d’autant que la fin
de ce texte pouvait servir de sujet à un prêche, montrant l’efficacité du
baptême, propre à conforter les Aubiérois dans leur foi.
On y trouvera aussi, entre autres choses, les bienfaits
du tay (thé) et de l’eau bénite, et de bien étranges coutumes…
Voici
la transcription, aussi fidèle que possible, de ce texte :
Page 1
Remarques de la relation de la Chine Cocachine (1) et de la mérique [sic] par le Père jésuite qui en a fait le voyage.
Registre paroissial d'Aubière (après 1662) (Archives communales d'Aubière) |
Premièrement de ces richesses. Elle
a plusieurs mines d’or, très fertile en miel et ris et bled mais pour le vin il
devient aigre aussitôt qu’il est fait a cause que les raisins ne murissent pas
bien.
Leur viande est le
ris, leur boisson est de l’eau, mais chaude et cuitte dans les mesmes marmittes
qu’ils font cuire leurs ris, se mocquant de nous quand on leur dit que nous
buvons frais et disent que cela nous cause beaucoup de maladies et le Père
remarque, de trante ans qu’il a demeuré dans ces pais, et n’a pas vu les
gouteux et une personne subjette à la gravelle ni de mort subites ny maladies
populaires.
Repiquage du riz en Cochinchine |
De l’uzage du tay
Le tay est une
feuille comme de celle de gradier et ne se trouve aux arbrissaux que dans deux
provinces de la Chine. Ils la mettent dans de l’eau bouliante et bien bouchier ;
ils boient quand elle tombe au fond du bol sa vertu est de guérir et empesche
la douleur de teste, il soulage lestomac et ayde a la digestion et purge les
rains et la gravelle et la goutte.
Religion des chinois
Ils adorent le
soleil la lune et les étoiles. Leur dieu est Confusius qui leur a donné les
lois.
Les chinois font
tout autant d’estat de leur chevelure que de leur teste.
Page 2
Le bois dont ils se chauffent du
calambouc
(2) ; il y en a de trois sortes :
l’un sapelle calamba, très odoriférant, qui sert contre toutes sortes de
besoins, les autres deux sortes sont laquila qui sont moindres, mais qui ont
des effets admirables (3).
Des chrétiens guérirent dans ce pays deux
cents cinquante malades avec l’eau beniste seule, comme le fils d’une veufve
fut ressuscité par cette mesme eau, qui estoit décédé sans confession, et
vesqut long temps après.
Il se trouve dans la Cocachine des nis d’oyseau que l’on met dans potages. Ils ont un si grand goût
qui font les délices des plus grands ; ils sont blanc comme la neige, son contenus
dans des roches de la mer vis à vis entre les troncs de calamboucs et ors de là
n’en trouve pas, ce qui fait dire que ces oyseaux vont sucer le boy de ces
arbres et avec le suc et l’escume de la mer ils forment leur nis si blanc et de
si bon goût.
Dans ce pays il y a des arbres qui
portent des sacs pleins de chataignes, un seul fait la charge d’un homme ;
les branches de ces arbres sortent du tronc, en tous (sens), ces sacs que l’on ouvre on dit que l’on
tenait dedans plus de cinq centz chataignes et plus grosses que les notres.
Les chinois font la croix sur le
front de leurs enfants aussitot qu’ils naissent avec du charbon et de lancre disant
que cela les empeche de la puissance du diable.
Le Tonquin est un royaume
proche la Chine
(4). Il est un grand respect pour les
morts et ayeux que font leurs dieux … compte de faire des festains a leurs parents
décédés et ce pendant longtemps et ils feront de bons et superbes
tombeaux.
Page 3
Les femmes
adultères y sont mises à mort par un éléphant qui les jette en haut avec sa
trompe et les reçoit avec ses deffences et puis les foule aux pieds.
Merveilleux effet du baptesme
Une femme possédée
du malin esprit qui ne voulut pas donner relache à cette pauvre créature
quoyque l’on sut faire, mais a mesme temps que l’on la baptisée et que l’on
jetta l’eau sur sa tete avec les paroles nécessaires aussitôt elle demeura entièrement
guérie.
Un homme de fort
bonne maison estant au lit de la mort abandonné des médecins, aussitôt qu’il se
baptise, guéri et fut aussy gay comme auparavant de sa maladie, ce qui
donne a toute une populace de se faire baptizer.
Dans ce pays l’air
y est si tempéré qu’il ni fait jamais trop de froy ni de chaud les hommes y
vont tout nus despuis de l’estomac en haut may les femmes sont entièrement
couvertes.
La ville de Surate
est une des plus belles de l’inde où il y a tan de marchans de toute nation qu’ils
viennent avec assurance parce que la manière veut que l’on y trouve avec
assurance afin de débiter les plus rares marchandises du monde.
Notes :
(1)
– Cocachine : il s’agit, selon toute vraisemblance, de la Cochinchine, au
sud du Viêt-Nam. Bien que conquise par la France en 1859, les jésuites français
s’y étaient implantés dès le XVIIème siècle (voir la première implantation française en Indochine).
(2)
- Calambac,
calambart, calambouc, calambou ou calambour, s.m. Bois odorant des Indes. Le cèdre, le calambou et le palo d’aquila,
ne sont rien au prix, VOIT. Lettr.133 (Dictionnaire de la langue française, par
E. Littré, 1883)
(3) - Aquilarian : n.m. Arbre ou arbuste des régions tropicales et dont certaines espèces
fournissent des bois odorants (famille des Hyméléacées) - (Grand Dictionnaire
encyclopédique Larousse, 1991).
(4) – Le Tonquin : le Tonkin, façade
est de l’Indochine, entre la Chine et l’Annam.
© -
Cercle généalogique et historique d’Aubière – Pierre Bourcheix, Marie-José Chapeau et Georges
Fraisse.
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