Il y a bien longtemps, alors que je
fréquentais la Bibliothèque municipale de Clermont, j'eus l'occasion d'y lire
un opuscule daté de 1767, intitulé "Mémoire
en défense pour Jean Goughon, Notaire Royal et Procureur Fiscal à Beaumont",
concernant un curieux procès (cote A 10800). L'intéressé était accusé de
subornation de témoin, de déplacement de borne et d'avoir incendié une grange
appartenant au sieur Champflour.
Le Sieur Champflour d'Allagnat appartenait
à une famille de robe clermontoise récemment anoblie. Potentat local, il
nourrissait une haine profonde envers Goughon, car il convoitait une terre dont
ce dernier avait hérité de ses parents. Le mémoire rédigé pour la défense du
sieur Goughon relate les péripéties de cette affaire et présente des faits qui
sont bien évidemment de nature à discréditer le nommé Champflour :
entre-autres, la récupération « musclée » d'un chien qu'il prétendait
lui appartenir, chez un particulier où l'on s'introduisit nuitamment, par
effraction, ledit particulier étant sorti « nud en chemise », se
voyant « le mousqueton sur la poitrine » !
Je note que ces affaires faisaient
suite à une autre, tout aussi curieuse, dont on trouve le dossier aux Archives
Départementales, Série B, justice seigneuriale de Beaumont : il s'agit
d'un vol de dindons perpétré chez ce même Goughon en 1757, qui motiva une
procédure menée à sa requête contre les trois personnes ayant tué ses
dindons !
Les péripéties rapportées dans le mémoire
de 1767 commencèrent dès 1752 : il fut accusé par les nommés Herbault et
Cohendy d'avoir arraché et déplacé nuitamment une borne marquant la limite de
l'une de ses propriétés. Il fut avéré que ses accusateurs, manifestement à la
solde de Champflour, l'avaient eux-mêmes déplacée !
Champflour habitait le château du Petit
Allagnat, à l'entrée est du bourg, alors que Goughon demeurait à l'extrémité ouest...
La Révolution vint opportunément venger Goughon de toutes les misères endurées,
car Champflour fut surveillé et se fit très discret, alors que Goughon,
notaire, se porta acquéreur des biens de l'abbaye. Il partagea les bâtiments
conventuels en de nombreux lots pour les transformer en logement et fit tracer
de nouvelles rues dans le clos abbatial de Las
Verias pour y faire construire des maisons. On peut voir là un précurseur
de nos promoteurs immobiliers...
Ce mémoire évoque ensuite l'affaire de
l'incendie de la grange du sieur Champflour, et cela prend un tour
rocambolesque...
En effet, on assiste à une série de
rebondissements judiciaires, chacune des parties, produisant ses témoins, et
étant accusées tour à tour de subornation. Il apparaît, tout au long des
procédures, que les juges furent pour le moins complaisants à l'égard de
Champflour qui était d'ailleurs apparenté à certains d'entre eux !...
Goughon ayant été pris au corps,
« les deux huissiers qui l'accompagnaient après son interrogatoire
frappèrent inutilement à deux différentes portes de la prison sans pouvoir s'en
procurer l'ouverture. N'ayant pris aucune précautions pour prévenir la fuite de
leur prisonnier, il profita de leur négligence, leur souhaita le bon soir, et
se retira à Beaumont » !... Les huissiers furent mis à l'amende.
Il en profita pour mettre tous ses
papiers (y compris ses minutes notariales) et surtout les pièces du procès à l'abri
dans le château d'Aubière.
Il décida ensuite de se rendre à Paris
et fit étape à l'abbaye de Sainte-Menehould, près de Moulins, où il apprit
qu'on avait perquisitionné chez lui et interrogé sa femme. Craignant que
l'endroit où étaient cachés ses papiers fut découvert (il y avait des
quittances sous signature privée du sieur Champflour...), il demanda conseil à
l'Abbesse, à des religieuses et à l'aumônier : on le déguisa avec le
manteau et le capuchon de l'aumônier.et il parti à l'aube (le 18 mars 1760),
dans cet équipage avec Étienne Bouchet, valet de l'abbaye (tiens, un
Beaumontois !) ; les deux compagnons chevauchèrent par des chemins de
traverse jusqu'au Mayet où ils passèrent la nuit. Le lendemain, ils dînèrent à
Riom à l'auberge du « Lion d'Or » (cette enseigne existe
toujours...).
A Montferrand, curieusement, il acheta
« les ustensiles nécessaires pour se procurer du feu pendant la route.
Cette précaution lui était nécessaire soit pour allumer sa pipe dont il faisait
un usage très fréquent, soit pour se procurer de la lumière pour la recherche
de ses papiers à Obière [lire : Aubière] ». Il eut beau s'envelopper
dans son manteau, il fut reconnu. Ayant soupé avec Bouchet à Montferrand, ils prirent
tous les deux le chemin d'Aubière, où Goughon avait déclaré se rendre. Arrivé
sous un noyer, il demanda au valet de l’attendre car, dit-il, les chemins
étaient trop mauvais pour qu'il pût continuer à cheval… Il laissa au valet sa
redingote et son capuchon, partit à pied, et revint au bout d'une demi-heure.
En fait, expliquera-t-il plus tard, arrivé à Aubière, il ne put pénétrer dans
le château dont les portes étaient fermées et dut rebrousser chemin.
Au moment où il rejoignait Bouchet, il
y eut une grande lueur provoquée par l'incendie et Bouchet précisera qu'« il
pouvait distinguer les échalas dans les champs ».
Enfin, « les deux compagnons de
voyage remontés à cheval, allèrent coucher à Riom, où ils arrivèrent environ
une heure après minuit. Le lendemain, ils couchèrent au Mayet, et le
surlendemain à Sainte-Menehould où le sieur Goughon séjourna deux jours, d'où
il vint à Paris ».
Naturellement, Champflour accusa
Goughon d'avoir mis le feu à sa grange.
J'ajoute que ces faits se passaient à
Beaumont à une époque où l'atmosphère était déjà bien détestable, avec un
procès assez sordide qui opposait les religieuses de l'abbaye à leur abbesse,
Marie-Françoise de Lantilhac, que l'on trouve rapporté dans d'autres mémoires,
que l'on trouve également à la bibliothèque de Clermont (A10542, 10542-1,
10589, 10589-15,10589-17).
Rapporté par Jacques Pageix