Un déserteur est
arrêté par les gendarmes. Une partie de la population aubiéroise vole à son
secours. Ce ne fut probablement qu’un fait divers, car les
rares journaux locaux de l’époque ne le relatèrent pas. Ni “L’Ami de la Charte”
ni “Le Journal du Puy-de-Dôme“ n’en firent état dans leurs éditions des jours
suivants.
La désertion, à cette
époque, était assez fréquente. Était-elle due à la lassitude des guerres
napoléoniennes ou à la nouvelle loi militaire votée le 12 mars 1818 (Loi
Gouvion-St-Cyr), organisant le recrutement par volontariat et tirage au sort,
avec possibilité de remplacement... ?
En tout cas, la
réaction des Aubiérois face aux gendarmes fut assez violente.
C’est à la suite de l’une des multiples rixes,
malheureusement habituelles, entre des jeunes d’Aubière et de Beaumont que cinq
gendarmes vont être dépêchés à Aubière.
En faction sur la place des Ramacles, le dimanche 23 juillet 1820, sur les
dix heures du matin, les gendarmes remarquèrent que quelques jeunes gens se
dirigeaient en courant du côté de certaines caves qui sont hors du village. Futés,
ces gendarmes soupçonnèrent tout de suite que ces jeunes gens courraient ainsi
pour aller prévenir de leur arrivée quelques déserteurs qui pourraient être
cachés dans les caves. Ils les suivirent et virent, en effet, sortir d’une cave
un homme qu’ils reconnurent pour être Guillaume Cougout, dont la famille habite
Aubière et qui était soldat déserteur de la Légion du Puy-de-Dôme. Le jeune
homme fut arrêté. Les gendarmes se disposèrent à le conduire de suite à
Clermont.
Pendant
la traversée d’Aubière, les gendarmes furent injuriés et menacés par plusieurs
habitants. Un rassemblement de plusieurs centaines d’individus fut bientôt
formé aux cris que poussait Michelle Bayle, mère de Guillaume Cougout, le
déserteur : « Sauvons-le, Sauvons-le ! ».
Les
gendarmes n’étaient pas à deux cent pas hors du village que ce rassemblement
les atteignit en poussant des cris et des huées. Il fut bientôt facile de voir
qu’il n’avait d’autre but que l’évasion du déserteur arrêté. La fureur dont Michelle
Bayle était transportée était tellement aveugle qu’elle n’était pas intimidée
par le pistolet qu’un des gendarmes lui présentait avec mine de tirer sur elle.
Elle avait saisi le canon du pistolet et en avait arraché la baguette.
Les
gendarmes sommèrent à plusieurs reprises la foule qui les pressait de se
retirer, mais elle ne tint pas compte des sommations et des ordres réitérés.
Trois
gendarmes étaient employés à conduire et à garder le déserteur. Les deux autres
étaient un peu en arrière et s’efforçaient de faire reculer les individus qui
s’approchaient de plus en plus. Cette manœuvre réussit pendant quelques centaines
de mètres. Arrivés sur le plateau des Cézeaux, la route était bordée de vignes
de chaque côté. C’est alors que les gendarmes virent l’attroupement se partager
en deux bandes qui entrèrent dans les vignes et firent pleuvoir sur eux une
grêle de pierres.
Un
gendarme en fut atteint à la tête, au-dessus de l’œil droit, et renversé par
terre ; un de ses camarades tira alors un coup de carabine en l’air pour
effrayer les mutins, mais ce fut inutilement. Leur fureur et leur audace n’en
furent que plus grandes. Les quatre autres gendarmes furent successivement
atteints et violemment meurtris de coups de pierres. Les plus acharnés à lancer
les pierres n’étaient autres que le père du déserteur, François Cougout, ainsi
que les deux frères Chalamaux, dont un frère est également déserteur. Le
procès-verbal ne cite pas les prénoms des frères Chalamaux mais nous les
découvrirons dans l’acte d’accusation.
Tous
leurs efforts et les coups de carabine et de pistolets qu’ils ont tirés
n’avaient d’autre objet que de tenir la foule écartée. Reconnaissons aux
gendarmes le mérite qu’ils eurent de se contenter de défendre leurs vies et
leur capture, sans attenter à celle de leurs agresseurs. Cependant, la pression
de la foule fut trop grande et les cordes dont le déserteur était attaché
furent coupées par sa sœur, Anne Cougout, et il s’évada.
L’adjoint
de la Commune, qui se présenta décoré de son écharpe, et qui ordonna à
l’attroupement de se dissiper, ne produit aucun effet sur l’esprit des
rebelles ; il paraîtrait même que ce magistrat fut frappé, mais que ce fut
par mégarde.
Cependant,
l’attaque cessa. Les gendarmes, blessés et couverts de sang, furent transportés
chez l’adjoint. L’officier de santé leur prodigua les premiers soins.
Incapables de se déplacer par leur propre moyen ou même à cheval, ils furent
transportés à Clermont en charrettes.
Il
ressort du rapport de l’Officier de
santé qui les a visités et pansés, que celui des cinq gendarmes qui était
le plus gravement blessé était le Sr Gilbert Tailhaud qui avait :
1°
une plaie d’un pouce de long sur le sommet de la tête ;
2°
une blessure au-dessus de l’œil droit, d’un pouce d’étendue et de quatre à cinq
lignes de profondeur ;
3°
plusieurs fortes contusions sur les membres supérieurs et sur différentes
régions du tronc, et qu’il a fallu seize ou dix sept jours pour arriver à la
guérison de ces coups ou blessures ;
Qu’un
autre gendarme était atteint, au-dessus de la hanche gauche, de deux très fortes
contusions compliquées d’ecchymoses, qu’il a fallu l’application des sangsues
et un traitement méthodique pour arriver à sa guérison au bout de quinze jours.
L’officier
de santé ne parle pas des autres gendarmes.
Acte d’accusation
Il a été établi contre François COUGOUT, Michelle BAYLE, sa femme, Anne
COUGOUT, leur fille, et les deux frères CHALAMAUX, tous habitants de la Commune
d’Aubière :
« Au nom du Procureur Général de la Cour
Royale de Riom, le Substitut soussigné, expose que par arrêt de cette Cour,
rendu le trente et un aout mil huit cent vingt par la Chambre d’accusation, il
a été déclaré qu’il y avait lieu d’accuser François Cougout, de la profession
de cultivateur, Michelle Bayle, sa femme, Anne Cougout, leur fille et les deux
frères Chalamaux, tous habitants de la Commune d’Aubière, canton et
arrondissement de Clermont-Fd, d’avoir, le vingt trois du mois de juillet
dernier, au dit lieu d’Aubierre, fait partie d’une réunion de plus de vingt
individus, dont plus de deux étoient armés, qui, ledit jour, se seroient
opposés - avec violence et voie de fait et au mépris de l’invitation et des
ordres qui leur auroient été plusieurs fois donnés au nom de la Loi, de se
séparer, - à l’arrestation de Guillaume Cougout, soldat, déserteur de la Légion
du Puy-de-Dôme, lequel ils seroient venus à bout de délivrer d’entre les mains
de cinq gendarmes de la Ville de Clermont, après avoir fait aux cinq gendarmes
susdits, diverses blessures et contusions dont le traitement et la guérison
auroient duré moins de vingt jours, ce qui constitue de la part des susdits
François Cougout, Michelle Bayle, Anne Cougout et les deux frères Chalamaux, un
crime de rebellion à la force publique, prévu par l’article 210 du Code Pénal,
et les susdits accusés ont été renvoyé devant la Cour d’Assises du département
du Puy-de-Dôme, qui tiendra ses séances en la Ville de Riom, pour y être jugé
selon la Loi. »
Réponses aux questions posées au jury (résumé de l’acte
d’accusation) :
François
COUGOUT, 45 ans :
Oui, l’accusé est coupable d’avoir fait partie d’un rassemblement porteur
d’armes ostensibles, contre la force armée, mais sans aucune des circonstances
comprises dans le résumé de l’acte d’accusation : Coupable
Michelle
BAYLE, 44 ans :
Oui, l’accusée Michelle Bayle est coupable d’avoir fait partie d’un
rassemblement contre la force armée, mais sans aucune des circonstances
comprises dans le résumé de l’acte d’accusation : Coupable
Anne
COUGOUT, 20 ans :
Oui, l’accusée est coupable ... id : Coupable
Guillaume
CHALAMEAUX, 26 ans :
Oui, l’accusé est coupable d’avoir fait partie d’un rassemblement de plus de 20
personnes, mais sans aucune des autres circonstances énoncées dans l’acte
d’accusation : Coupable
André
CHALAMEAUX, 19 ans :
Non, l’accusé n’est pas coupable : Acquitté
Le
document ne dit pas la peine à laquelle les quatre coupables ont été condamnés.
(1)
Note
généalogique :
(1)
– François Cougout est né le 7 septembre 1775 à Aubière ; il est le fils
de Jean et d’Anne Brunbourdon ; il est marié depuis le 19 février 1794 à
Aubière à Michelle Bayle, née le 2 novembre 1776 à Aubière, fille de François
et d’Antoinette Noëllet. Guillaume Cougout, le déserteur, est né le 24 août
1797 à Aubière ; sa sœur Anne est née le 11 avril 1800 à Aubière.
Guillaume
Chalamaud est né le 28 janvier 1794 à Aubière ; il est le fils de
Guillaume et de Michelle Dégironde. Enfin, le seul acquitté, frère du précédent, André Chalamaud,
est mon ancêtre (ouf !). Il est né le 11 novembre 1801 ; il mourra en
1880 à Aubière. A noter que leur frère, reconnu déserteur par le procès-verbal
cité ci-dessus, ne peut être que Ligier, né le 4 août 1797 à Aubière.
Source : A.D. 63 - U 25172 - Extrait des minutes du Greffe de
la Cour Royale de Riom.
© Cercle
Généalogique et Historique d'Aubière (Pierre Bourcheix)
Suivez l'histoire et la généalogie d'Aubière sur : http://www.chroniquesaubieroises.fr/
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