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jeudi 5 décembre 2013

CHIROL, un percepteur indélicat en 1806



Au début de la dernière décennie du XVIIIème siècle, les consuls disparaissent au profit de ces nouveaux fonctionnaires, issus de la Révolution, les percepteurs des Contributions, nommés à vie ! Un certain Chirol exerce cette fonction à Aubière en 1806.

Percepteur : Fonctionnaire chargé du recouvrement des impôts directs, ainsi que des amendes et condamnations pécuniaires. Les percepteurs (en général, un par canton) sont contrôlés par le trésorier-payeur général du département (Finances 1976).

Les faits
Le 4 janvier de l’année 1806, le contrôleur des Contributions, le sieur Tixier, se rend à Aubière « à l’effet de constater la situation de la comptabilité du dit Chirol, percepteur. »
S’étant présenté à son domicile, le sieur Tixier constate son absence. Il se porte alors chez le Maire, maître Girard. Celui-ci lui dit que le percepteur Chirol « n’a plus paru dans la Commune depuis environ huit jours ». Cependant, il lui présente les rolles des exercices des années 13 et 14, dépendants de la dite comptabilité.
Le sieur Tixier examine alors les documents et fait les calculs des sommes recouvrées, versées ou laissées en caisse. Il en résulte un déficit de la somme de 3.435 Francs et 7 centimes ! Il rédige un procès-verbal de situation qu’il transmet à l’autorité supérieure.

Mandat d'arrêt de 1806
(Archives départementales du Puy-de-Dôme)

Chirol en fuite
Très vite, un mandat d’amener est lancé contre Chirol afin qu’il soit interrogé. Le délai écoulé, l’huissier Pigot constate, dans son procès-verbal du 13 février 1806, que le dit Chirol « n’a pas obéi au mandat d’amener et s’est soustrait par la fuite à l’exécution du mandat d’arrêt » (dont était frappé Chirol depuis le 10 février, « prévenu d’être rétentionnaire d’une somme de trois mille quatre cent trente cinq francs, 7 centimes, des deniers publics dont il étoit comptable, pour les avoir perçus sur les exercices des années 13 et 14 et de les avoir détournés à son profit. Lequel délit a été trouvé de nature à mériter peine afflictive et infâmante »).

Ordonnance de prise de corps
Le jury ordinaire d’accusation s’étant prononcé favorablement à l’accusation contre le dit Chirol, le 18 février, le Substitut du Procureur général impérial, près la Cour de Justice Criminelle  du département du Puy-de-Dôme, requiert « qu’il soit, par Mosnier, le Directeur du jury, décerné ordonnance de prise de corps contre le dit Chirol, percepteur des Contributions de la Commune d’Aubière, dont les prénoms, âge et signalement sont inconnus, et dénommé dans le dit acte. »[1]

La déclaration du jury, à nous remise ce jourd’huy par le Chef des dits jurés, porte qu’il y a lieu à l’accusation mentionnée au dit acte, après avis, vu les réquisitions écrites du Substitut et mises à la suite et après la déclaration des jurés en date de ce même jour, Ordonnons, en vertu de l’article 258 du Code des délits et des peines, que le dit Chirol, percepteur à vie de la Commune d’Aubière, prénoms, âge et signalement inconnus, sera pris au corps et conduit directement en la maison de Justice près la Cour de Justice Criminelle du département du Puy-de-Dôme, séant à Riom.
Mandons et ordonnons de mettre à exécution la présente ordonnance dont sera laissé copie au dit Chirol, et qui sera nottifiée à la requête du Substitut et conformément aux lois, tant à la Mairie de Clermont-Ferrand où le jury d’accusation a été tenu, qu’à celle d’Aubière, où le dit Chirol était domicilié.
Mandons et ordonnons à tous huissiers, sur ce requis, de mettre la dite Ordonnance à exécution, à nos procureurs généraux et à nos procureurs près les tribunaux de première instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique, de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis, en foy de quoy la présente Ordonnance a été signée par le Directeur du jury et scellée du sceau du Tribunal.
A Clermont-Ferrand, 28 février dix huit cent six.

***

Questions soumises à la décision du jury ordinaire de jugement sur l’accusation portée contre Chirol :
-1- Est-il constant qu’il a été détourné, par le percepteur de la Commune d’Aubière, sur les exercices des années 13 et 14, un somme de 3.435 f 07 ?
REPONSE : Il est constant.
-2- Chirol était-il percepteur de la dite Commune, pour les années 13 et 14 ?
REPONSE : Chirol était.
-3- Est-il convaincu d’avoir détourné la dite somme de 3.435 f 07 ?
REPONSE : Il est convaincu.
-4- Était-il comptable de cette somme ?
REPONSE : Il était comptable.
-5- A-t-il agi dans des intentions criminelles ?
REPONSE : Il a agi.
                                      Signé le chef du jury ordinaire.


A la suite de ce jugement :
Procès-verbal de proclamation et affiche de l’Ordonnance qui déchoit du titre de "citoyen français" :
Aujourd’huy 18 avril 1806, Je, Blaize Poupan, huissier au Tribunal du département du Puy-de-Dôme, résidant à Riom, soussigné, à la diligence et requête du Commissaire du Directoire exécutif, en exercice près le dit Tribunal civil, ai proclamé à son de Quesse, l’Ordonnance rendue par le Président du sus dit Tribunal le 17 avril 1806 contre le nommé François CHIROL, percepteur à vie de la Commune d’Aubière, y habitant, portant déchéance du susnommé accusé du titre de citoyen français, laquelle j’ai affichée et notiffiée à la porte du domicile dudit accusé et de son domicile par lui élu, où je me suis à cet effet transporté ; de tout quoy j’ai dressé le présent procès-verbal, que j’ai signé les dits jour et an.
Poupan

Vu par moi, maire de la Commune d’Aubière, ce 18 avril 1806,         Girard

Carnet de reçus de Chirol de l'an 8
(Archives privées)

Recherche d’identité
Le détournement des deniers publics n’est pas un fait nouveau. Nous connaissons de multiples exemples avant et après 1806 et jusqu’à nos jours. Je ne chercherai donc pas à comprendre les raisons qui ont poussé le percepteur Chirol à commettre ce délit. En revanche, ce qui excite ma curiosité, c’est que le dit Chirol reste pour nous, comme pour la justice de l’époque, un inconnu !
« le dit Chirol dont les prénoms, âge et signalement sont inconnus »
Cela paraît inconcevable, vous en conviendrez. Comment une administration aussi sérieuse et sensible que le Trésor public (ou équivalent en 1806) peut-elle louer les services d’un individu sans connaître pour le moins son nom et son prénom ? Une enquête est cependant diligentée, puisque l’ordonnance du 18 avril 1806 stipule qu’il s’agit de François Chirol. Rassuré sur ce point, je cherche à situer plus précisément le personnage.
« Comptable » des deniers publics qu’il perçoit, François Chirol est vraisemblablement quelqu’un de relativement important au sein de la population aubiéroise et dont la situation est bien assise.
Les Chirol, vivants en 1806, ne sont heureusement pas nombreux à Aubière. Quatre sont prénommés François :
  • Antoine François Chirol, laboureur et charron, consul en 1776 et 1788. Né vers 1734, il est marié à Jeanne Bouchaudy, et meurt le 5 novembre 1809 à Aubière.
  • François Antoine Chirol, charron, fils du précédent. Né le 6 mai 1760 à Aubière, il se marie le 11 janvier 1780 à Charlotte Boudet. Il meurt le 12 juillet 1808 à Aubière.
  • François Chirol, frère du précédent. Né le 22 août 1762 à Aubière. On perd sa trace aussitôt.
  • Le quatrième est le fils de François Antoine et de Charlotte Boudet, né vers 1790. Trop jeune pour être l’individu que je recherche.

Le premier, comme le second, correspond parfaitement au profil du personnage recherché. Mais son premier prénom est Antoine et non François. Je penche donc pour son fils. François Antoine a certainement bénéficié de la notoriété de son père, consul à deux reprises en 1776 et 1788. Il peut donc exercer la même fonction sous un autre titre : percepteur des Contributions, non plus élu pour un an, mais nommé à vie.
Pour autant, tenons-nous-là la véritable identité du percepteur indélicat ? Même si mes présomptions sont fortes, je me garderai bien de l’affirmer.

La signature du percepteur masqué
Cependant, le percepteur François Chirol nous est bien connu. Sa signature apparaît au bas de nombreux documents que nous avons pu consulter.
On le rencontre pour la première fois sous la plume d’André Chapeau. Il s’agissait du testament mystique et secret de François Dégironde, juge de paix et franc-maçon. François Chirol, receveur des Contributions, signait le dépôt de ce testament, en date du 6 ventôse An XII.

Signature du percepteur Chirol
(Carnet de reçus - Archives privées)

De son côté, Marie-José Chapeau a retrouvé dans ses archives personnelles, un carnet de reçus de ses ancêtres Bayle, où figurent, entre autres, de nombreuses signatures de François Chirol. Nous publions ci-dessus une page de ce carnet.[2]

Pierre Bourcheix




[1] - Archives départementales du Puy-de-Dôme – TRA 122 (documents relevés par André Chapeau).
[2] - Dans la signature de Chirol, on remarque la représentation d’un visage masqué…


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