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mercredi 6 novembre 2013

Droit écrit - Droit coutumier



Dans son article Entre Aubière et Montferrand, Pierre Bourcheix nous a longuement parlé des rapports étroits existant entre les Montferrandais et les Aubiérois ; ces rapports se retrouvent dans beaucoup d’actes officiels, baux, contrats de mariages, ventes ou testaments, mais les signataires ou rédacteurs de ces documents avaient parfois la tâche compliquée par l’existence de juridictions différentes régissant des localités parfois voisines. En effet, une partie de la Province était régie par le droit écrit, comme les anciennes justices d’église, le reste l’était par le droit de la Coutume d’Auvergne, rédigée en 1510, qui s’appliquait aux justices laïques, avec souvent quelques nuances, héritées de coutumes locales, ce qui rendait la vie difficile aux juges, en cas de litiges, particulièrement. A Aubière, c’était encore moins simple quand le seigneur prônait le droit coutumier et qu’à l’inverse les Aubiérois se réclamaient du droit écrit…


Il y avait d’importantes différences entre ces deux codes légaux concernant, en particulier, la dévolution des biens provenant des successions et, curieusement, la majorité des enfants était à la puberté en droit écrit et à 25 ans en droit coutumier. Ceci entraînait parfois des situations que l’on peut qualifier d’extravagantes, comme à Cournon.

Le cas de Cournon
Au Moyen-Âge, Cournon avait 2 seigneurs et 2 paroisses. La paroisse Saint-Martin dépendait de l’évêque de Clermont et la paroisse Saint-Hilaire dépendait d’un seigneur laïc. Le premier obéissant au droit écrit, le second au droit coutumier. En 1694, l’évêque de Clermont, Mgr Bochard de Sarron, vendit ce qui lui appartenait à M. Saulnier, sans modification juridique. Comble de bizarrerie, les deux seigneurs se partageaient le territoire de Cournon, non dans l’espace, mais dans le temps.
Les habitants de Cournon qui naissaient pendant les mois pairs, étaient soumis au droit écrit ceux des mois impairs, étaient soumis au droit coutumier. De même quelque soit la position de leur logis par rapport aux deux églises du village, ceux qui naissaient pendant certains mois appartenaient à la paroisse Saint-Martin, les autres, à la paroisse Saint-Hilaire. Tout ceci est expliqué en 4 volumes, dans l’ouvrage de M. Chabrol, paru vers 1780, intitulé "Coutumes locales de Haute et Basse Auvergne". Voici ce que l’on peut lire dans le Tome IV, page 219, consacré aux particularités de Cournon :
« Si un mineur acquiert la puberté sous les mois de Coutume, il doit rester en tutelle, si elle survient sous les mois de Droit écrit, il est sensé être émancipé, mais dans le cas qu’il y eut deux enfants, dont l’un acquiert la puberté dans les mois pairs, et l’autre dans les mois impairs, l’un serait en tutelle et l’autre émancipé. Si c’est l’aîné dont la puberté tombe sous les mois de Coutume, alors le cadet pourrait être hors de tutelle, onze ans avant que l’aîné en sorte, mais si, à la mort du père, les enfants sont tous en puberté, leur nommerait-on un tuteur ou un curateur. Suivant la distinction du mois où le père décède, l’usage est de se conformer à la Coutume pour les tutelles. Elles ne finissent qu’à 25 ans si le père des mineurs meurt dans les mois de droit écrit et qu’on émancipe les enfants, on ne prend pas de "lettre de chancellerie", mais on les demande si le père meurt dans les mois de Coutume. Enfin, lorsque l’âge d’émancipation ne survient qu’après la mort du père, on obtient ou l’on se dispense d’obtenir des "lettres de bénéfice d’âge", suivant les mois où l’émancipation se fait ».

Les coutumes d'Auvergne
(Bibliothèque Pierre Bourcheix)

Entre Aubière et Montferrand, ces points de droit étaient moins compliqués, mais parfois assez subtils (Montferrand, page 364).
Montferrand, jusqu’en 1731, à la création de l’appellation de Clermont-Ferrand, ne se régit plus par la Coutume d’Auvergne, mais depuis 1748, par le droit écrit.

À Aubière
La justice d’Aubière est située en bas pays et maintient le seigneur du dit lieu et icelle d’être situé en pays coutumier et se régit par les us et coutumes d’icelluy ; et les habitants, au contraire que la dite justice se régit en droit écrit. Il est bien difficile de savoir sous quel régime les habitants se considéraient à la fin du XVIIIème siècle (Aubière, page 69)

Les coutumes d'Auvergne
Le cas d'Aubière
(Bibliothèque Pierre Bourcheix)

Un cas concret
J’en ai trouvé l’exemple dans des documents personnels concernant mon ancêtre Jean BAYLE. Celui-ci avait épousé, le 3 novembre 1774, Étiennette LACOMBE, âgée de 20 ans, fille de Gaspard, vacher de Montferrand, et de Jeanne BLANC. Le contrat de mariage, passé devant Me Chassegay, le 29 janvier 1774, stipulait qu’elle apportait, en dot, 300 livres, plus trois vignes, l’une dans la justice d’Aubière et les deux autres dans la Justice de Pérignat et qu’ensuite elle n’avait plus à compter sur la succession de ses parents.
Son destin fut triste. Le 25 septembre 1775 elle mit au monde une fille, Anne, et le 29 novembre 1776, un garçon, François, mais elle mourut en le mettant au monde, et son fils décéda le même jour. Sa fille survécut quelques mois et s’éteignit à son tour, le 3 août 1777. Jean Bayle, se remaria le 3 février 1778, avec Marie Roche, mon ancêtre. Mais il est encore question de la succession d’Étiennette Lacombe en 1793, date où ses frère et sœurs : autre Étiennette Lacombe épouse de Pierre Bonheur, Antoinette Lacombe, épouse de Antoine Chosson, Louise Lacombe, épouse de Henri Rigaud, et Martin Lacombe, leur frère, attaqueront en justice leur ex-beau-frère pour réclamer une vigne, située dans une justice, non précisée dans le document, dépendant de la Coutume, dont il conservait l‘usufruit malgré le décès de ses 2 enfants et de son remariage.

Jean BAYLE demanda conseil à un certain Bergier, expert, dont la qualification n’est pas précisée et voici ce que ce dernier répondit, en lui donnant raison :
« Jean BAILE, assigné en désistement d’une parcelle de vigne, faisant partie de la dot de sa première femme, située en pays coutumier, est dans le cas de soutenir les demandeurs non recevables dans leur demande qu’on a présenté dans le fait. Jean BAYLE avoit épousé en 1ères noces Étiennette LACOMBE à laquelle il avait été constitué par son contrat de mariage du 29 janvier 1774, une somme de 300 livres et divers héritages futurs en sont situés en partie en droit écrit, partie en Coutume.
Étiennette LACOMBE mourut peu d’années après son mariage et laissa deux enfants qui lui survivèrent mais qui moururent eux-mêmes au bout de quelque temps.
Leur ayeul et leur ayeule maternelle sont vivants. Alors BAYLE remit ce qu’il avait reçu des 300 livres et les héritages dotaux à sa femme, situés en droit écrit, comme étant rentrés, à ses beau-père et belle-mère, par droit de retour. L’héritage situé en Coutume fut le seul qu’il retint, en vertu de l’article 49, titre 14 de la Coutume qui défère au père l’usufruit des biens matériels de ses enfants et veut que le dit usufruit dure nonobstant que l’enfant trépasse, le père vivant.
Aujourd’huy, ses beaux-frères et belles-sœurs revendiquent ce même héritage situé en Coutume. BAYLE est en droit de les soutenir non recevables, fondé sur son usufruit qui ne s’éteindra qu’à sa mort.
Si on lui oppose qu’il a convolé en seconde noce sans inventaire conservatif, à ce, répondra, avec le dernier commentateur et la jurisprudence que le défaut d’inventaire conservatif ne peut être opposé que par les enfants eux-mêmes et non par des héritiers collatéraux tels que ses adversaires.
Pour conseil, à Clermont-Ferrand le 16 avril 1793 ». Signé : Bergier

Il est remarquable que ce document, daté de 1793, donc à une période où la Révolution est bien installée en France, et que celle-ci n’ayant pas eu le temps de légiférer entre le droit écrit et le droit coutumier, a appliqué les Codes de l’Ancien Régime.
Je n’ai pas les conclusions du procès, si celui-ci a eu lieu, mais il est évident qu’il a fallu attendre le Code Napoléon le 30 Ventôse an XII (21 mars 1804) pour que la législation française et même européenne à cette époque-là, soit partout appliquée.

Notes généalogiques
Étiennette Lacombe était montferrandaise par son père, mais aubiéroise par sa mère.
Le contrat de mariage de ses parents a été établi par Me Girard, à Aubière, le 25 septembre 1749 (E 44 400). On y apprend que Gaspard Lacombe, veuf de Gabrielle Bourra, est fils de feu Henry marié à Gilberte Bosson, et Jeanne Blanc est fille de feu Antoine et de Marguerite Fineyre.
Une étude un peu plus approfondie de la famille de Jean Bayle nous apprend que l’aînée des sœurs de ce dernier avait épousé Pierre Blanc, le 5 février 1760, fils d’Antoine et Marguerite Fineyre. Ce Pierre Blanc est donc à la fois l’oncle et le beau-frère d’Étiennette Lacombe.

© - Cercle généalogique et historique d’Aubière - Marie-José Chapeau.






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