Un jugement du bailli Thoury nous rappelait, dans un
précédent billet d’il y a quelques mois, que les Aubiérois étaient obligés de
faire cuire leurs pâtes dans les deux fours banaux du seigneur. Nous étions
alors en 1780.
Depuis que nous en avons des traces écrites, c’est-à-dire
depuis le XVème siècle, les Aubiérois, syndic et consuls en tête,
ont toujours défendu âprement leurs intérêts face à l’autorité seigneuriale.
Cette obligation de cuire dans le four banal, les modalités de gestion du four
et le coût supporté par la population ont été l’objet de multiples procès et
délibérations jusqu’à la Révolution de 1789. Quelques explications s’imposent.
Un four banal |
Nous ne reprendrons pas tous les textes qui font référence
au four banal à Aubière. Nous nous contenterons de citer ceux qui modifient le
fonctionnement de cette « banalité ».
Banal, se disait des choses assujetties à une redevance au seigneur, pour
l’usage public et obligatoire qu’on en faisait : moulin banal, four banal…
Le four banal était donc un des nombreux privilèges qu’avait le seigneur
de percevoir une redevance, avec obligation d’utilisation de ce four pour toute
cuisson de pain, de la part des particuliers.
Dans les “Cahiers d’histoire” (1), nous trouvons une étude : “Le four banal, en France, sous l’Ancien
Régime”, dont voici quelques extraits :
[Page 63] - Bâtiment trapu, massif,
le four de village pouvait défier le temps ; il est vraisemblable que, de
réfections en réfections, il n’a pas, au cours des siècles, subi de transformations
morphologiques radicales : Voûte en berceau, murs épais, parfois de près
d’un mètre, ne s’élevant guère au-dessus du sol, couverture de terre tassée sur
l’extrados de la voûte et, surtout, de larges et lourdes lauzes chevauchantes,
cheminée monumentale et porte étroite et basse, tels en étaient les parties
constituantes.
Matériellement, il est évident que
rien ne distingue un “four banal” d’un four communal ; ils sont l’un et
l’autre “servis” par un fournier, qui, sous la forme d’une part de pâte, de la
braise et parfois d’une somme d’argent, par tourte cuite, prélève un droit au
profit du propriétaire de l’installation...
Les fours communs, sont souvent,
dans le langage commun, nommés banaux, c’est alors qu’ils appartiennent à une
communauté d’habitants qui les a acquis, à titre onéreux, de son seigneur, et
qui, comme son ayant-cause, s’est substituée à ses droits.
Les habitants sont alors obligés de
cuire leur pain à ce four, et il leur est rigoureusement interdit, comme
lorsqu’il existe un four banal seigneurial, de faire construire un four
individuel ; il arrive aussi qu’une communauté d’habitants tienne à cens
un four collectif d’un seigneur ayant droit de banalité - (Chabrol :
Coutumes d’Auvergne III. page 459) - ainsi certains fours communs ou communaux
sont aussi des fours banaux, mais, par une sorte de novation de fours banaux,
non seigneuriaux, gérés par les collectivités villageoises.
La première mention du four banal d’Aubière date du 21 avril 1496, une
transaction entre Louis, seigneur d’Aubière, et les habitants et manans du lieu au sujet de ces droits
seigneuriaux, relatifs au « four bannier ». (2) Extraits :
[6]- Aussi disoit ledit seigneur que, par autre
droict seigneurial,
il avoit
un four bannier aud.
lieu d’Aubière, auquel lesd.
habitans
estoyent tenus de cuyre leur paste et luy payer le
droict
de fournage, ou à ses adcenseurs, commis et depputez,
c’est
assavoir d’ung sextier de blé converty en paste, une
coupe de
paste, et de plus plus et de moings, et en oultre
fournir
et bailher la fournilhe nécessaire pour chauffer led.
four (…)
et sans
ce que iceulx habitans ne aucun d’eulx puissent
ou leur
soit leu ne permis de faire aucun four en ladicte
justice
pour cuire ledict pain et paste, ne cuire ailleurs
que
audict four bannier dudict seigneur sans congie
et licence
d’icelluy seigneur tenir… (3)
En 1633, le 8 août, les Consuls d’Aubière pour l’année - Anthoine Noellet
et Blaise Chossidon - dans un procès-verbal,
établi par le bailly de la seigneurie d’Aubière, Henry Gasper, ont « dit et remontré » que « le four bannal dudit lieu, appartenant à feu
Noble François d’Aubière, seigneur et baron dudit lieu, a besoing de grandes et
nécessaires répparacions » et lui ont exposé l’état des lieux et les
travaux de réfection à faire. Le bailly en a donc dressé procès-verbal et
ordonné l’exécution.
Dès le début du XVIIIème siècle, le four est affermé au Corps
commun des habitants pour 240 livres par an. En 1751, le 28 juillet, à la
lecture de la note 6, rédigée par les auteurs des Droits seigneuriaux à
Aubière, on remarque que « le
seigneur afferme son four à Antoine Janon, syndic de la paroisse et agissant
pour le Corps commun, pour 2 années,
commençant à la Noël 1751, moyennant 360 livres par an.
A la Noël 1753, ce bail est
prolongé, par tacite reconduction, mais, par délibération du 19 mai 1755, les
habitants décident de ne plus en payer la ferme qu’à raison de 260 livres par
an. Contre quoi la Dame d’Aubière, héritière de son mari, décédé dans
l’intervalle, proteste. (4)
Le 19 juin 1762, la même Dame
afferme le four banal à Michel Noellet, agissant pour le Corps commun,
moyennant 400 livres par an. Pour défaut de paiement du fermage, elle fait
assigner les fermiers, le 8 août 1763, devant la Sénéchaussée de Clermont, qui
condamne les Consuls, en leur qualité, à payer les arrérages dus (9 août 1764). (5)
Le 12 avril 1786, Pierre André,
seigneur d’Aubière, afferme “les 2 fours banaux d’Obière” à Jean Ranvier,
boucher, moyennant 400 livres par an, d’une part (Archives Départementales du
Puy-de-Dôme C bis, Clermont, contrôle, reg. 286, fol.7 V°) et “un four et
bâttiments", à Aubière, au même Ranvier, moyennant 200 livres par an,
d’autre part (ibid. fol.10 V°).
Un four banal était à l’ouest de la
Place des Ramacles (désignation d’arbitres, 5 messidor An X [24 juin 1802], exploit, 11 juin
1800, Archives Départementales du Puy-de-Dôme cote provisoire 0 03, Aubière,
liasse 1). »
Le quartier de la Halle à Aubière Plan cadastral de 1831 (Archives départementales du Puy-de-Dôme) |
La situation de l’ancien et premier four a toujours été indiquée à
l’intérieur des murs et au quartier de la Halle. On se souvient, qu’en 1790,
suite à l’incendie de sa maison au quartier du Château, Antoine Bourcheix et sa
famille avaient été relogés provisoirement par Jean-Baptiste André, fils aîné
du baron d’Aubière, dans la chambre au-dessus du four banal au quartier de la
Halle. Un texte plus récent, de 1847, le situe ainsi : « …la voûte de l’ancien four communal et la
grange du nommé Bayle, qui sont adjacentes, et dont les eaux s’écoulent sur le
mur de l’église… » Il s’agit, bien sûr, de l’ancienne église. (6)
Le four banal des Ramacles Plan cadastral de 1831 (Archives départementales du Puy-de-Dôme) |
Le 30 1784, on apprenait par un délibératoire l’existence d’un second
four, le four des Ramacles, construit depuis peu d’années (vraisemblablement
entre 1775 et 1780, comme on peut le déduire d’un délibératoire de 1788 qui lui
donne 10 ans). Ce four neuf, dit de la
Remacle, est décrit dans l’inventaire des biens de la famille André du 29
messidor an VI (17 juillet 1798). Il est dit que ce « four neuf » est
composé au rez-de-chaussée, de deux fours et de deux pétrins. L’un de ces deux
fours devait servir à « cuire le pain by ». Notons que fait partie de
ce bâtiment, une grange et un corps de bâtiment divisé en 2 pièces au
rez-de-chaussée, et répétition au-dessus. L’une des pièces du rez-de-chaussée
sert de buanderie et la seconde d’atelier pour un charron.
Plus on « gratte », plus les fours se multiplient !
Deux fours au quartier de la Halle, plus deux fours aux Ramacles, cela fait
quatre ! Les banalités du baron d’Aubière, avec en plus les trois moulins,
devaient être très lucratives…
Notes :
(1) - Cahiers d’histoire, t XXII - 1977. 1, par Comité historique du Centre Est
- p.61-70.
(2) –
« Les droits seigneuriaux à Aubière », recueil de documents, relatifs
aux contestations dont ils furent l’objet, P.F. Fournier et A. Vergnette, Revue
d’Auvergne, 1928.
(3) –
Fournilhe : (du latin furnus,
four), branchages, ramilles propres à chauffer les fours.
(4) – Cette « Dame d’Aubière » est Marie Le
Court, veuve de Jean André d’Aubière, décédé le 28 novembre 1754 (Archives
Départementales du Puy-de-Dôme 1 C 1918, n°2). Les fourniers sont alors Antoine
Berain, François Terringaud et Antoine Benay.
(5) - Archives Départementales du Puy-de-Dôme 1 C 1918
n°4.
(6) - Un second four est repéré au quartier de la Halle,
dans l’inventaire des biens de la famille André en 1798 : « Autre four, cy devant banal, dans le dit
lieu d'Aubière, quartier de la Halle, composé d'une grande pièce voûtée, au
rez-de-chaussée, d'une chambre au premier et grenier supérieur joignant la
maison de Michel Noellet d'orient, le passage de Louise Randanne, veuve de Jean
Blanc, de midy, la place de la Halle d'occident et le passage pour le dit four
de Nord ». Ce four, « cy
devant banal » est situé ici à l’est de la place de la Halle,
contrairement au premier, situé au sud.
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière (Pierre
Bourcheix)
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