Saga des Bayle – Volet 2
Sept ans après le décès de leur
père, Géraud Bayle, en 1772, et l’inventaire de ses biens qui suivit, l’entente
des cinq fils, liés par contrat, avec leur mère, Anne Taillandier, bat de l’aile.
L’un meurt, un second profite de son remariage pour quitter la maison familiale.
Au bord de la rupture, les trois autres préfèrent signer un nouvel accord avec
leur mère devant notaires.
Le 7 août 1779, ces notaires nous
expliquent tout…
« Par devant les notaires royaux soussignés ont été
présents Thomas Bayle jeune, François et Jean Baile, tous laboureurs habitants
du lieu d’Aubière d’une part ; et Anne Taillandier, veuve de Géraud Baile,
mère des dits Thomas, François et Jean Baile, habitant du même lieu d’Aubière,
d’autre part.
Les dites parties ont dit qu’elles étaient au point de voir
s’élever entre elles des contestations sérieuses, et, désirant les prévenir,
elles ont fait pour l’intelligence de leurs conventions cy après exprimées, l’exposé
qui suit :
Géraud Baile et la dite Taillandier ont eu cinq enfants
mâles, sçavoir : Thomas Baile aîné, Martin Baile, Thomas Baile jeune,
François Baile et Jean Baile.
Par le contrat de mariage de Thomas Baile aîné, passé devant
Girard aîné, notaire, en 1765, ils instituèrent leurs héritiers éventuels
conjointement et par égale portion avec leurs autres quatre enfants mâles, sous
la réserve de jouissance de leurs biens en faveur du survivant d’eux dont ils
se firent une donation mutuelle.
Martin Baile fut marié en 1767 ; son contrat contient
une semblable institution.
François Baile fut marié en 1772. Son contrat contient aussi
une institution contractuelle en faveur, conjointement avec ses frères et
Jeanne Baile sa nièce, fille de Martin Baile, qui était alors décédé ;
cette institution est faite aux mêmes charges, clauses ci-dessus énoncées en
celluy de Thomas Baile aîné.
Les deux autres enfants de Géraud Baile, qui sont Jean et
Thomas jeune, n’ont été mariés qu’après la mort de leur père.
Jean Baile se marie en premières noces avec Étiennette
Lacombe.
Par leur contrat de mariage du 20 février 1774, passé devant
maître Chassigny, notaire à Montferrand, il fut institué héritier contractuel
par Anne Taillandier, sa mère, conjointement et par portion égale avec ses
autres fils sans pouvoir en avantager plus l’un que l’autre. Il n’est point
parler dans cette institution de Jeanne Baile, fille à deffunt Martin, parce qu’elle
était alors décédée. Il est remarquable que ce contrat de mariage contient une
clause qui ne se trouve dans aucune des autres, et il est dit que la dite
Taillandier recevrait les futurs époux et épouse en sa maison et compagnie, les
nourrirait et entretiendrait, eux et leurs enfants, moyennant leurs travaux et
industrie, et cependant qu’ils pourraient compatir ensemble sans qu’ils
puissent faire pendant cette compatibilité aucun proffit particulier, pas même
des revenus de la femme du dit Jean Baile qui appartiendront à la dite
Taillandier.
Thomas jeune n’a été marié qu’en 1775. Son contrat de
mariage est du 10 février de la dite année. Il contient aussi institution et
héritier en faveur dudit Thomas Baile de la part d’Anne Taillandier pour lui
succéder conjointement et pour égales parties avec François, Jean et autre
Thomas Baile, ses enfants mâles.
Enfin, Jean Baile a passé à de secondes noces après le décès
de sa première femme, et, par son contrat du 18 février 1778, Anne Taillandier,
sa mère, s’est bornée à une simple autorisation, sans rappeler ny l’institution
portée par le premier ny la promesse de nourrir et entretenir ledit Jean Baile
et ses enfants en leur rapportant ses travaux, industrie et revenus des biens
de sa femme. Le contrat est absolument muet sur tous ces points.
Après le décès de Géraud Baile, arrivé sur la fin de 1772,
Anne Taillandier sa veuve jouit de tous les biens de la succession, sous le
prétexte que l’usufruit luy en était assuré par le contrat de mariage de Thomas
Baile aîné et de François Baile, tous ses enfants demeurant à sa compagnie et
travaillant sous ses ordres. Jusqu’en 1775 au mois de janvier, que Thomas Baile
l’aîné se retira à son particulier[1], Anne
Taillandier luy délivra certain mobilier de la succession paternelle et la
jouissance de trois œuvres de vigne ou environ dans la justice de ce lieu d’Aubière,
terroir de Cézot.
Quant aux dits Thomas Baille jeune, François et Jean Baile, ils
n’ont point encore quitté la compagnie de leur mère, qui n’a pas cessé de jouir
de leurs biens paternels, lesquels ils ont toujours travaillé pour elle en
vivant dans sa maison.
Il est à observer que pendant leur cohabitation avec leur
mère, ils ont été chargés, comme facteurs ou commissionnaires des MMrs de
Paris, dans l’emplette des fruits, ce qui leur a procuré des bénéfices
considérables, lesquels ils ont fait fructifier encore par le commerce. Les
proffits les ont mis à même de faire quelques acquisitions, entre autres de la
portion revenant à Jeanne Baile, leur nièce, dans la succession de Géraud
Baile, leur père, et ayeul, laquelle ils ont acquit de Gilberte Finayre, leur
belle-sœur, qui avait succédé à Jeanne Baile, sa fille, par contrat du 27 avril
1775, moyennant la somme de mille cent livres et d’une terre d’entour neuf
quartonnées, située terroir de las Planas, au prix de neuf cent livres.
Thomas Baile l’aîné est entré dans ces deux acquisitions
conjointement avec ses autres frères et tous ensemble ont payé 850 livres, sur
le prix des droits successifs de Jeanne Baile, et 500 livres sur le prix de la
terre de las Planas dont Thomas Baile l’aîné a le tiers à luy seul.
D’un autre côté, après le décès d’Étiennette Lacombe, première
femme audit Jean Baile, ledit Jean Baile, François et Thomas Baile le jeune ont
remboursé la somme de 120 livres sur celle de 150 qui avait été reçue par la
dite Taillandier sur la dot de la dite Lacombe.
Les mêmes trois frères ont acheté une terre d’une éminée
dans la justice de Cournon, au prix de 200 livres, qui a été payée. Enfin, ils ont
acquis de Mr Guerrier de Bezance deux journaux de terre ou entour, situés
justice d’Aubière, terroir de las Varennas, moyennant la somme de 1.800 livres,
dont il n’a été payé encore que celle de 1.000 livres. Enfin, ils ont également
payé les « hoyaux courts » des dites acquisitions.
En cet état de choses, les parties allaient entrer en
contestation sur ce que les dits Jean et Thomas Baile jeune prétendaient
demander compte à leur mère des jouissances de leurs biens paternels, depuis le
décès de Géraud Baile, soutenant, mal à propos, que leur mère, en prêteur
usufruitier, attendu que les seuls titres qu’elle a pour l’usufruit des dits
biens sont les contrats de mariage de Thomas et François Baile, dans lesquels
Géraud Baile a fait de cet usufruit une charge des institutions contractuelles,
par lui faite en faveur de ses enfants. Mais comme les institutions
contractuelles, portées par ces contrats, n’ont saisis que les contractants, et
qu’elles étaient nulles relativement aux autres, ils soutenaient que sa charge
d’usufruit ne pouvait grever que les portions valablement instituées suivant sa
mort ; que celui qui n’est pas gratifié valablement ne peut être grevé, et
que la validité de la disposition subordonnée dépend toujours de la validité de
la disposition principale.
Anne Taillandier aurait répondu en premier lieu que, si elle
a jouy des biens de son mary, ce n’a été que pour employer les revenus au
paiement des charges à la nourriture et à l’entretien de ses enfants et de leur
famille, et qu’ainsy, en supposant qu’elle n’eut pas le droit de jouir par
usufruit de la totalité de ces biens, il y aurait toujours de la mauvaise grâce
de la part de ses enfants, qui soutiennent leur portion exempte d’usufruit, à
la quereller pour des jouissances dont ils ont profité.
Elle aurait ajouté, à l’égard de Jean Baile, que son contrat
de mariage, en premières noces, du 29 février 1774, l’assujettissant à
rapporter ses travaux, industrie et revenus dans sa maison sans pouvoir faire
aucun proffit particulier, non seulement sa demande de restitution de
jouissance des biens de son père était déplacée mais qu’elle est en droit de
lui demander le rapport des sommes qu’il a employées en acquisitions depuis le
contrat de mariage qui lui interdisait tout profit particulier.
Les dits Baile, de leur côté, auraient répliqué que, s’ils
ont été nourris et entretenus avec leur femme et leurs enfants dans la maison
de leur mère, les travaux ont bien compensé cette nourriture et entretien. A l’égard
de Jean Baile, il aurait répondu en son particulier, que la clause de son
premier contrat de mariage, que sa mère lui oppose, est une erreur glissée dans
le contrat contre l’intention commune des parties, bien clairement manifeste.
Dans le contrat de tous ses autres frères, où les proffits ne leur sont point
interdits, qu’il n’y a pas d’apparence que sa mère ait voulu le traiter
différemment que ses autres enfants, et que cette vérité se confirme par son
dernier contrat de mariage, tout à fait différent du premier. Les parties
auraient encore ajouté réciproquement différents autres moyens, mais désirent
perpétuer entre elles la paix et l’union et se rendre mutuellement justice par
des voies de conciliations amiables ; elles ont traité et transigé ainsy
qu’il suit :
[Note de l’auteur :
j’ai choisi, parmi les conclusions de ce traité, celles qui me paraissent les
plus intéressantes pour montrer comment pouvait s’organiser l’exploitation des
terres, conjointement entre les trois frères.]
Article 1 – La dite Anne Taillandier
se départ et désiste envers les dits Thomas Baile jeune, François et Jean
Baile, acceptant, de tous les droits d’usufruit qu’elle pourrait avoir ou
prétendre sur les biens de la succession de deffunt Géraud Baile, son mary, ou
partie d’yceux à quelques titres que ce soit conçut, encore que le dit Thomas
Baile jeune, François et Jean Baile eurent, jouissent et disposent comme de
leur chose propre, à commencer leur jouissance pour la récolte de l’année
actuelle, cueillie ou à cueillir, à charge par eux de payer les cens, rentes,
tailles et autres impositions et redevances.
Article 3 –
Les dits Baile frères quittent et déchargent la dite Taillandier, leur mère, de
toute restitution que certains d’eux auraient pu prétendre contre elle des
jouissances de leurs biens paternels ou de ceux de leur femme sous la condition
expresse, acceptée par la dite Taillandier, que le dit Jean Baile demeure
quitte et déchargé de toutes recherches et répétitions pour raison des
acquisitions qu’il a faites, nonobstant la clause de son contrat de mariage du
20 janvier 1774, pour laquelle il était dit qu’il ne pourrait faire aucun
proffit particulier, laquelle demeure comme non avenue, tant pour le passé que
pour l’avenir.
Article 5 – Les
parties continueront d’habiter ensemble pendant tout le temps qu’elles pourront
compatir, et pendant tout le dit temps, les dits Baile comparants jouiront des
biens de la dite Taillandier, leur mère, à la charge pour eux d’acquitter les
cens, tailles et rentes, et de la nourrir, loger, entretenir, et lui payer
chaque année la somme de 12 livres de pension pour ses menus plaisirs. Le cas d’incompatibilité
arrivant, la dite Taillandier reprendra la jouissance de tous ses biens et en
outre il luy sera payé annuellement une pension viagère et (alimentaire) de 3
septiers de bled seygle et 36 livres argent, moitié de six en six mois et par
avance, laquelle prendra cours du jour de l’incompatibilité, arrivée avec
convention, que dans le cas si l’un ou plusieurs de ses enfants se retireront
de sa compagnie, ils seront tenus de payer leur part proportionnelle de la dite
pension, et y celluy d’entre eux avec qui elle continuera de vivre.
Article 6 – Au
moyen des accords et arrangements cy-dessus, l’administration de la maison
étant désormais à la charge des dits Baile comparants, les épargnes et proffits
et pertes qui pourront se faire seront pour leur compte.
Article 8 –
Les parties, en conséquences des présentes, se tiennent mutuellement et réciproquement
quitte de tous les objets sur lesquels ont toutes et dépendances déclarants que
toutes les conventions exprimées en ces présentes, qu’elles ont mutuellement
acceptées, ont été convenues en accord, l’une en considération de l’autre, et
qu’en conséquence, elles sont toutes mutuellement dépendantes l’une de l’autre
sans préjudice de leurs autres droits qu’elles se réservent réciproquement.
Fait à Aubière, étude de Girard, l’un des notaires
soussignés, le 9 août 1779 avant midi. »
© Cercle généalogique et historique d’Aubière (Marie-José
Chapeau)
[1] - Thomas Baile aîné, veuf de Marguerite Villevaud, s’est
remarié cette anné 1775 avec Charlotte Roche, veuve de François Planche, et a
quitté la communauté pour s’occuper des biens de sa nouvelle épouse.
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