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vendredi 21 septembre 2012

Saint Verny, patron des vignerons



Dans son ouvrage « Beaumont », mon grand oncle Joseph Pageix regrettait la disparition à Beaumont de la coutume des processions, « cet acte de foi solennel de tout un village » qui mobilisait les habitants des deux anciennes paroisses (Saint Pierre et Notre Dame de la rivière, qui avaient conservé leurs rites propres). Ces processions étaient l'objet de minutieux préparatifs qui impliquaient les bailes des confréries visées et les fabriciens (autrefois luminiers) des deux églises.

Saint Verny de Beaumont

Joseph Pageix évoquait notamment la procession de Saint Verny en ces termes :
« Procession de Saint Verny, patron des vignerons, le dimanche suivant immédiatement le 20 Mai, date à laquelle tout bon disciple du Saint ne devait plus avoir un lien d’osier à faire à ses vignes. Il n’était pas toujours facile d’être exact à ce terme, surtout quand la saison avait été rude, à cette époque où pas un seul échalas ne passait l’hiver planté dans la terre. Nos pères l’arrachaient quand les premières gelées avaient dépouillé la vigne de ses feuilles. Ils le rassemblaient soigneusement en baues, où il serait à l’abri de l’humidité et de la pourriture, et le replantaient au printemps. Et il était de coutume de dire que, de la croix qui lui était dédiée au terroir de la Penderie*, où l’on portait sa statue enguirlandée de magnifiques pampres verts, Saint Verny embrassant d’un coup d’œil tout son domaine voyait toutes les baues encore debout des retardataires, et ne manquait pas de mettre ceux-ci à l’amende. Mais, comme il était bon saint, et qu’il connaissait fort bien les choses de la terre- car la légende locale nous apprend qu’avant que le bon Dieu l’appelât au rang qu’il occupe dans son Paradis, Saint Verny était tout simplement un brave homme de vigneron qui avait saintement accompli sa tâche journalière tout au long de sa vie- donc, comme il connaissait bien les choses de la terre, comme il avait sans doute lui-même senti se réveiller ses douleurs quand , le fesoul pointu en main, le dos courbé vers la terre, il recevait sans broncher les giboulées de Mars et d’Avril ; comme il avait éprouvé aussi que, ayant planté l’échalas des semaines durant, alors que n’existait pas le sabot à crochet, ses mains calleuses garnies d’échardes et striées de crevasses saignantes n’étaient guère agiles à tourner les liens d’osier ; comme il savait tout cela, il paraît qu’il accordait sans trop se faire prier un délai de huit jours aux retardataires.
« Ne croyez-vous pas, bon Saint Verny, qu’il est préférable pour vous de ne plus sortir de votre église Saint Pierre où vous parviennent à peine les bruits et le langage du dehors que vous ne reconnaîtriez plus pour ceux qui vous étaient familiers ? Que diriez-vous si l’on vous promenait à nouveau sur les sentiers de votre jeunesse ? Arrivant au sommet de votre coteau de la Penderie (1), quel coup recevriez-vous au cœur en ne voyant plus votre croix !lorsque revenu de cette émotion, vous ouvririez les yeux pour inspecter comme autrefois votre apanage : « Ciel, diriez-vous, pas une seule baue ! tout est échalassé alentour ; c’est bien, mais, là-bas, que manque-t-il que j’avais coutume de voir ? Ah ! mes noyers, mes grands arbres, mes vergers fleuries ! Et plus loin, plus loin qu’est-ce donc ? On dirait des blés murs ! Des blés ! à la cime de la côte des Cheix de Chaumontel et de Champblanc (2) ! et des blés murs en cette saison ! Et les vignes alors que sont-elles devenues ? C’est impossible : ce doit être quelque nouvelle culture d’invention diabolique ! Vite, rentrons, je ne reconnais plus mon horizon »-Oui, rentrons, bon saint Verny, car si quelqu’un vous chuchotait à l’oreille que maintenant on taille aussi bien en Novembre qu’en Mars avec un outil appelé sécateur qui ne ressemble point du tout à votre serpe ; que la joie que vous avez ressentie tout à l’heure en ne voyant pas une baue à l’horizon était due non pas à ce que le vigneron est plus vaillant qu’en votre temps, mais bien à ce qu’il ne déchalasse plus en hiver, et se contente au printemps d’enfoncer un peu plus chaque année l’échalas dans la terre jusqu’à ce qu’il disparaisse presque en entier ; que l’on promène à travers les vignes des chevaux traînant quelque infernale machine de fer en jurant et sacrant à chaque échalas brisé ; que l’on peint les vignes en vert pendant l’été ; qu’on les arrache pour ne plus les replanter ; que, ce que votre vue devenue basse vous donnait l’illusion d’être du blé mur au mois de Mai, est tout simplement du vigoureux chiendent dont les pousses successives sèchent là depuis des années ; que les caves où vous aimiez sans doute à aller boire la tassée chez tel ou tel de vos vieux camarades, sont en partie vides de leurs jolies rangées de pièces sur lesquelles, en passant, vous ne manquiez pas de frapper deux petits coups avec le doigt replié, pour juger de leur état intérieur, comme fait le médecin qui ausculte un malade ; que dans quelques années, vous n’aurez plus de raison d’être, car il n’y aura plus ni vignes ni vignerons dans votre cher Beaumont devenu faubourg d’une grande ville industrielle, ; si on vous disait tout cela, et bien d’autre choses encore, vous mourriez à nouveau, mais de chagrin cette fois ».

Procession de la Saint-Verny. L'une des nombreuses vignettes dessinées par Marcelle Russias pour illustrer le récit de Joseph Pageix. Marcelle Marguerite Jeanne Baptistine Russias naquit à Beaumont en 1902 (fille de Pierre Russias, épicier à Beaumont et de Marie Fauverteix). Marcelle Russias faisait partie des 9 femmes de la chorale qu'il avait créée à Beaumont.
Joseph Pageix évoquait aussi, avec la même nostalgie, les banquets de la Saint-Verny :
« Quand le gros travail de printemps était terminé, les vignes échalassées, le sol écorché d’abord au fesoul pointu – que le progrès devait remplacer plus tard par le fesoul à cornes – puis nettoyé pour de bon au fesoul plat, les prés bien abreuvés, toutes les semences en terre nos vieux vignerons avaient l’habitude de fêter leur saint patron, non seulement en une solennité religieuse pieusement célébrée, mais encore en de formidables banquets : les banquets de la Saint-Verny. Au jour convenu,  ils se réunissaient par quartiers et dressaient de longues files de tables de fortune en plein air, à même la rue. Certes, ces festins n’avaient rien de commun avec nos cérémonieux dîners modernes : On ne connaissait point l’étiquette, cette belle invention qui met comme un carcan sur les épaules des gens de la terre, quand d’aventure une circonstance les oblige à aller à quelque cérémonie dans le monde, eux, habitués à se mettre à l’aise dans le travail, et n’ayant jamais su faire des courbettes que le fesoul en mains devant leurs ceps de vigne. L’étiquette, qui veut que vous vous teniez à table lles coudes au corps comme à la parade ; que vous avaliez votre soupe  -non, votre consommé- en évitant soigneusement la bruyante aspiration pourtant si commode que l’on entend à la table du paysan, que vous vous gardiez bien surtout de faire un « chabrot », ce régal du vigneron, qui consiste à arroser largement de bon vin son bouillon. L’étiquette qui vous oblige à parler bas à des voisins que l’on vous impose sous prétexte de faire faire connaissance, et que n’intéressent point les choses de la terre ; à sourire entre vos dents, car le rire est défendu ; à boire à petites gorgées, sous peine de passer pour un goujat, le vin dont on a parcimonieusement couvert le fond de votre verre, pour laisser sans doute la place à l’eau qu’il est de bon ton d’y ajouter, etc, etc…l’étiquette qui en un mot vous coupe radicalement l’appétit et la gaîté. Ah non ! elle n’avait pas cours au banquet de la Saint Verny ! Le verre était plein et large était la rasade, et les langues déliées, et le rire franc, et robuste l’appétit. En guise de cavalière, chaque convive s’approchait de la table en donnant le bras à un énorme bousset ; un autre à un panier de vieilles bouteilles semblables en leur robe de bourre à de vénérables douairières en costume de velours. En guise de révérence, c’étaient de solides poignées de mains à faire évanouir de douleur nos pâles mondains d’aujourd’hui, et de formidables tapes d’amitié sur les épaules ; et l’on se plaçait à la bonne franquette : on se connaissait tous si bien ! et l’on se comprenait de même. On trinquait à tout propos, et le choc des verres , le claquement des langues indispensable pour bien apprécier un vin, le bruit des fourchettes, celui des conversations et des rires vous faisaient une joyeuse musique traduisant la bonne humeur de tous. Et quand chacun avait vidé pas mal de ces vieux pichets de bois cerclés de cuivre qui marquaient aussi bien que les carafes de cristal ; quand de puissantes voix avaient longuement fait trembler les vitres voisines avec de gaillardes chansons, quand tous avaient consciencieusement avalé, en guise de liqueur de marque, un « canard » tiré de quelque vieille bouteille d’eau de vie ayant peut-être vingt ans de grenier – témoins ses nombreuses brisques de toiles d’araignée – alors on songeait à se séparer, le corps bien lesté, prêt pour le rude coup de collier du lendemain, et l’âme toute ensoleillée par cette soirée de franche amitié ».
« Si un convive, un peu moins résistant, éprouvait quelque difficulté à se lever de son banc, et après avoir réfléchi un moment sur la direction à prendre, tachait de regagner sa demeure en cherchant quelque peu l’appui des murailles, personne ne songeait à s’en offusquer, pas même le bon Saint Verny qui du haut du ciel devait plutôt considérer d’un œil attendri ce fidèle conservateur des antiques traditions ; pas même le Bon Dieu contre qui on aurait pu invoquer le grief d’avoir créé si bon le vin de Beaumont, et le vigneron si amoureux de sa vigne et de son produit. Du reste, je ne sache pas qu’en aucun des quatre saints Évangiles, il se puisse découvrir le moindre passage dans lequel Notre Seigneur ordonne de « baptiser » le jus de la vigne. On l’y voit changer l’eau claire en vin bel et bon, mais de vin bel et bon en faire de l’eau rougie : jamais ! Ce qui prouve amplement que si tel il l’a créé c’est pour que tel il soit bu ; et c’était bien ainsi que le comprenaient nos aïeux.
Le dernier banquet de la Saint Verny a eu lieu en 1869. Celui de 1870 dont les préparatifs étaient faits fut empêché par la déclaration de guerre (3) ».

Menu du banquet de la Saint-Verny du 10 juin 1906
écrit et illustré par mon grand père Pierre Pageix.
  
Du bandier au garde champêtre
Au Moyen Âge et au XVIe siècle, pour les assister dans leurs fonctions, les élus étaient entourés d’agents rémunérés. Celui qui semble avoir tenu un rôle d'homme à tout faire - au moins à leurs yeux - était le bandier ou gastier. Au moment des vendanges, sont rôle essentiel était de garder les vignes afin d'en éloigner les prédateurs de toutes plumes et ...de tous poils.
Bien plus tard, au XIXe siècle, la commune embaucha un garde champêtre (4). La loi ne pesait pas toujours uniquement sur nos vignerons, comme le montre ce cas assez cocasse où le garde-champêtre de Beaumont fut lui-même pris en défaut, mais pour une toute autre raison, comme le montre le compte rendu de la séance du conseil municipal du 31 mars 1871, où il est indiqué qu'« à la suite des vendanges (donc celles de 1870), le garde-champêtre a fait une quête de vin à son profit. Cette manœuvre constitue un abus immoral entravant la liberté de ses fonctions ».
Du coup, que fit-on pour prévenir de futurs abus ? On augmenta son traitement « qui passa de 450 à 550 francs, payables le 31 décembre de chaque année ! » On peut comprendre cette attitude clémente de la part du conseil municipal, car la faute était somme-toute assez vénielle et l'on remarquera que la date coïncidait à quelque chose près avec la fin de cette malheureuse guerre franco-prussienne...


Notes :
(1) Terroir le plus élevé de la commune situé à l’extrémité ouest de la rue Nationale. L’origine de ce terme est une appendaria, petite exploitation avec bâtiments, jardin et parcelles de culture (cf G. Fournier « Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le Haut Moyen Âge »).
(2) Terroirs situés au sud de la commune, sur les premières pentes de Montrognon.
(3) : Je pense que les banquets de la Saint Verny se perpétuèrent, peut-être sous une forme plus modeste. Le menu du 10 juin 1906 dessiné par mon grand père Pierre Pageix (frère de Joseph) l’atteste.
(4) - Au début des années 1950, la commune de Beaumont disposait encore d'un garde champêtre qui exerçait aussi les fonctions de crieur public. Je me souviens de ce grand type à moustaches coiffé d'un képi aux armes de la ville, et dont les avis à la population étaient ponctués par de formidables roulements de tambour !

© Jacques Pageix, 2012


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