Le ban des vendanges fut mal supporté par nos ancêtres, que ce
soit à Beaumont ou à Aubière. A Beaumont, au fil des siècles, les élus, puis
les consuls, intentèrent de nombreux procès à l'abbaye. Ce fut le cas notamment
à partie de 1495, où les habitants intentèrent le procès, évoqué dans le billet
précédent, au sujet des droits seigneuriaux qui incluait notamment le ban des
vendanges...
Dans un mémoire tiré du fonds de l'abbaye de
Beaumont, établi pour l'abbesse Marie de la Forest, on lit que « les habitants, sans qu'aucuns griefs ne leur
ait été faits par les religieuses, se portèrent appelants car il voulaient que
les pans (bans) ne fussent ordonnez a
leur volonté », « droictz
que lesdits habitans malicieusement s'estoient efforcez rendre litigieux »,
alors « qu'elles (les
religieuses) avoient accoustumé bailler
et decerner jour de vendanges et ordonner quelz pans et quartiers se
vendangeoient au dit lieu ne quant ne comment et ce sur le rapport de douze
preudhommes dudit beaumont » (1).
Le préambule du mémoire en réponse que
fit rédiger Marie de la Forest soulignait que « Les religieuses sont dames en toute justice haulte moyenne et basse
dudit lieu de beaumont et est ladite abbaye de beaumont une belle ancienne et
notable abbaye de fondation royale en laquelle y a costidiennement grand nombre
de notables religieuses faisans et continuans nuyt et jour divin service pour
la sustentation desquelles et support des charges de ladite abbaye il y a bien
petite fondation et encores tendent lesdits habitans appellans qui sont leurs
subjectz par force de contradictions formelles et voyes indirectes mectre a
mendicité lesdites povres religieuses et leur faire perdre les droictz de leur
dite abbaye dont elles ont accoustumé journellement avoir et tirer leur povre
vie » (…) « Voyant lesdites
Religieuses que soubz couleur dudit appel s'il estoit différé de passer oultre
à ladite provision elles estoient destituées de tous leurs droitz et en voye de
mendicité et mourir de faim » !...
Précisons que ce mémoire fut rédigé à
l'issue d'une enquête diligentée par la sénéchaussée qui dépêcha des
commissaires à Beaumont, au cours du mois de Mars 1494. Une dizaine de
Beaumontois jugés suffisamment sages, « aigés et de bonne mémoire »
furent ainsi interrogés sur les droits seigneuriaux en vigueur à Beaumont, afin
d’établir l’ancienneté de ces privilèges et de confirmer qui devait en
bénéficier. L’un de ces témoins avait tout de même 80 ans, ce qui devait
probablement constituer une exception à cette époque où l'on atteignait
difficilement la quarantaine, pourvu que l'on ait échappé à la mortalité
infantile et aux épidémies (la peste, que l'on trouve bien présente notamment
autour de 1500 et qui réapparaît de manière récurrente, d'après les archives,
décimait les populations). Il est émouvant de lire les témoignages de ces vieux
Beaumontois nés à l'époque des chevauchées de Jeanne d'Arc !
Pour
mémoire, il y eut aussi à cette époque plusieurs tremblements de terre assez
violents... Mais nous y reviendrons une autre fois.
Certes,
si l'on peut comprendre que la nature un peu vexatoire pour eux de cette
prérogative abbatiale ait pu motiver leur attitude hostile, on peut penser
néanmoins que les habitants exagéraient quelque peu quand ils voulaient
s'approprier le ban des vendanges, car, à l'époque, comme on l'a vu, l'abbesse
ne faisait décréter les bans par ses officiers qu'après avoir consulté les
habitants par l'intermédiaire des douze « personnaiges idoynes et
saiges » qu'elle convoquait auparavant en son parloir...
En fait, cette vindicte des habitants concernant le ban des
vendanges s'inscrivait dans un ensemble de contestations à l'égard de tous les
droits seigneuriaux, tels que le fournage, le chevrotage, le courtage et le
droit de… noce. Il existe d'ailleurs dans les archives abbatiales un document
assez savoureux sur un litige survenu entre un Beaumontois, fraîchement marié,
et l'abbesse qui voulait naturellement faire respecter son droit de noce ;
le marié avança pour sa part des arguments (ma foi assez convaincants) pour
éviter de s'en acquitter.
Ces litiges étaient similaires à ceux que l’on
retrouve pour les droits seigneuriaux à Aubière à la même époque (2).
Au Moyen Âge, la justice abbatiale
jugeaient pêle-mêle lors de ses assises des infractions au ban des vendanges,
des grappillages, l'absence de soins de la part des vendangeurs qui n'avaient
pas remis en état les chemins et leurs abords après le passage des chars, etc.
Sur le site de la BNF, Gallica, j'ai trouvé par hasard un arrêt
de cassation prononcé en faveur de vignerons Beaumontois qui avait été
verbalisés lors des vendanges de 1832 pour non respect des bans publiés.
Cet arrêt
(voir le texte ci-après) concernait manifestement
des viticulteurs dont les vignes vendangées étaient situées sur le territoire
de la commune de Clermont comme les
Liondars et/ou les Rivaux, et qui
furent donc verbalisés par les autorités de police de cette ville... On
en retient l'impression que les Beaumontois du XIXe siècle
considéraient probablement le ban des vendanges pour une contrainte, tout comme
leurs ancêtres du XVe siècle...
Vendanges à Beaumont (Collection Pageix) |
BULLETIN DES ARRÊTS
DE LA COUR DE CASSATION
RENDUS EN MATIERE
CRIMINELLE
Année 1833
PARIS
DE L'IMPRIMERIE
ROYALE
M DCCC XXXIV
BULLETIN DES ARRÊTS
DE LA COUR DE CASSATION
MATIERE CRIMNELLE,
N°1
(N°25.) ANNULATION,
sur le pourvoi du Commissaire de police remplissant les fonctions du ministère
public près le Tribunal de simple police de Clermont-Ferrand, département du
Puy-de-Dôme, d'un jugement rendu par ce Tribunal, le 25 octobre dernier, en
faveur des nommés Faye, Bernard, Cohendy, Pageix et autres.
Du 31 Janvier 1833
Les faits de la
cause ; et les motifs qui ont déterminé la Cour à prononcer cette
annulation sont suffisamment expliqués dans l'arrêt dont la teneur suit :
Ouï le rapport
fait par M. de Crouseilhes, conseiller, et les conclusions de M. Parant, avocat
général ;
Vu l'arrêté du
maire de Clermont-Ferrand, portant règlement pour les bans de vendange, à la
date du 3 octobre 1832 ;
Vu l'article 475
du Code pénal, paragraphe 1er ;
Attendu que le
règlement dont il s'agit dans l'espèce portait à l'un des objets confiés à
l'autorité municipale, et formellement rappelé par l'article 475, paragraphe
1er du Code pénal ;
Attendu que d'après
les termes de l'arrêté et la délibération du conseil municipal qui lui sert de
base, il est facultatif de vendanger la veille des jours indiqués pour chaque
territoire, et que le samedi est considéré comme la veille du lundi ;
Attendu que c'est
seulement relativement au lundi que l'on dispose dans cet arrêté que l'avant-veille
sera considérée comme la veille ; que cette disposition tout
exceptionnelle ne peut être étendue au-delà de ces termes ; en telle sorte
que pour les autres jours de la semaine l'avant-veille soit considérée
comme la veille ; et attendu qu'il est reconnu et constaté que les
inculpés avaient vendangé le dimanche dans un territoire qui, d'après le
règlement, devait être vendangé le mardi ;
Attendu que
lesdits inculpés ont été renvoyés de la plainte, sur le motif qu'ils avaient pu
vendanger le dimanche avant-veille du mardi ; par la même raison
qui avait fait permettre de considérer le samedi comme veille du lundi ;
Et attendu, dès
lors, que ce jugement a méconnu les dispositions du règlement du 3
octobre ; qu'en ne prononçant point contre les contrevenants la peine
portée par l'article 475, paragraphe 1er, du Code pénal, il a violé cet
article ;
Par ces motifs,
LA COUR casse le jugement du tribunal de police de Clermont-Ferrand, en date du
25 octobre 1832 ;
Et pour être
statué, conformément à la loi, sur les faits résultant du procès-verbal du 14
octobre dernier, renvoie la cause et les inculpés, Michel Faye, Jean Bernard,
Guillaume Cohendy, Jean Cohendy, Jacques Pageix vieux, Jacques Pageix jeune et
Costes par devant le tribunal de police de Montferrand :
Ordonne, &c.
– Fait et prononcé, &c. --Chambre criminelle.
Nota. LA COUR a rendu a la même
audience, et sur le pourvoi du même commissaire de police, un second arrêt qui
casse par les mêmes motifs, le jugement rendu le même jour, 25 octobre 1832,
par le tribunal de simple police de Clermont-Ferrand, en faveur des nommés Daury,
Tartarat, Jargaille, Renard, Bayse, Bayeron, Bonnefoy, Rabassy et Falateux
(Falateuf).
Notes :
(1) - Fonds de l'abbaye de
Beaumont, registre d’enquête de 1494, 50H38.
(2) - Voir les transactions entre le
seigneur d'Aubière et les habitants. Pierre-F. Fournier et Antoine Vergnette. Les droits seigneuriaux à Aubière in
Revue d'Auvergne Tome 42-N°1, 1928.
©
Jacques Pageix, 2012
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