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vendredi 18 mai 2012

La propreté des rues



Les billets du docteur Kyslaw – 2

Kyslaw, prononcez « qui s’lave ». C’est le pseudonyme que se donnait le bon docteur Casati qui n’avait pas de cabinet médical à Aubière, mais qui était malgré tout soucieux de la santé de ses concitoyens aubiérois et aimait prodiguer des conseils par l’intermédiaire du Bulletin paroissial d’Aubière, dans les années 1908-1913.
Nous allons, au fil des mois prochains, vous distiller quelques-uns de ses billets.

Aujourd’hui, un ch’ti du Nord donne la leçon à l’Auvergnat…

Février 1909
Le Bulletin, qui est un aimable "pince sans rire", faisait dernièrement une discrète allusion à l’état peu réjouissant des rues de certaine petite ville que vous connaissez bien. Il citait le proverbe chinois "Si chacun nettoyait devant sa porte les rues seraient propres". À plus forte raison si chacun ne salissait pas devant sa porte... On se demande vraiment si chacun, non content de la saleté naturelle des rues, ne s’ingénie pas à les rendre encore plus hideuses et inaccessibles en y déversant les ordures les plus inimaginables. Ce ne sont pas des rues, ce sont des égouts, et il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre ce que cette extraordinaire façon de procéder est pernicieuse et malsaine pour la santé publique (odeurs pestilentielles, puits souillés, etc...) en même temps que néfaste pour le porte-monnaie des habitants, car le touriste et le promeneur, éléments de richesse, se détourne avec dédain.
Précisément voici l’hiver, avec « son manteau de vent, de froidure et de pluie » la boue est devenue reine. Pourquoi ne pas s’insurger contre sa crasseuse tyrannie ? Pacifique et bienfaisante révolution qu’un peu de bonne volonté commune suffirait à accomplir.
Dans le train qui m’emmène, et où j’écris hâtivement ces quelques réflexions, j’ai rencontré un ancien camarade habitant le Nord, et qui fuit les brouillards de son pays, pour les cieux plus aimables de la Côte d’azur. Je ne manquai pas de le railler sur les brumes de son pays et de lui opposer les attraits irrésistibles de ma belle Auvergne, qui, non contente d’être séduisante l’été, a l’ambition de devenir un centre de tourisme pour les sports d’hiver et les cures d’altitude.
Comme je lui vantais aussi la beauté de son ciel aux aspects si variés, la pureté de l’air et la rareté des brouillards : « Vous avez la mémoire des yeux, me dit-il, mais pas celle de l’odorat ». Interloqué, ahuri, je le laissai continuer « Votre Auvergne, que je connais bien pour l’avoir parcourue en tous sens, est sans doute un des pays les plus attrayants qui soient ; mais elle n’est pas hospitalière ». Pour le coup, je sursautai d’indignation et la statue de Vercingétorix elle-même, si elle eût entendu ces paroles eût louché d’inquiétante façon.

Le fumier dans les rues...
Il y a cent ans, cela aurait pu être Aubière
(Il y avait déjà l'électricité en 1910)

Mai 1909 - « Je sais, je sais, ajouta mon ami, vous êtes accueillants, très accueillants, en Auvergne. Vos villages eux-mêmes sont si coquets, si riants, perchés si gentiment, qu’ils vous invitent aussi et semblent dire : “Voyez comme nous sommes jolis, venez nous rendre visite et nous admirer de plus près”. Comment ne pas se laisser séduire ». On approche et voici que peu à peu l’enchantement disparaît, le charme fait place à la plus cruelle déception : c’est le nez qui parle ! Pas pour longtemps, car, vite on le cache dans son mouchoir. Quels effluves ! Quelle peste ! Des ordures, du fumier partout, dans les rues, autour des maisons, contre les murs, et c’est à croire que les tas de fumier font un concours de hauteur, sous les artistiques balcons en fer forgé ; çà et là de petites mares croupissantes qui lancent leurs prolongements jusque dans les maisons ; des déchets animaux et végétaux de toutes sortes, des débris de repas - et autre chose aussi, que je n’ose pas dire - comme dans la chanson.
Vous ne savez pas où poser les pieds, votre tête, elle-même n’est pas en sureté et vous vous croyez au XIIIème siècle, du temps où le bon roi Saint-Louis « se rendant à matines » reçut sur son chef, le contenu d’un orinal « qu’un escholier laissa tomber dans la rue ».
La vieille légende qui le raconte ajoute que le bon roi, au lieu de le punir, lui fit accorder la prébende de Saint-Quentin-en-Vermandois « pour ce qu’il estoit coustumier de soy lever à ceste heure pour étudier ». Mais s’il fallait accorder une prébende à tous ceux de vos compatriotes qui en font autant en plein jour, plusieurs planètes comme la Terre n’y suffiraient pas !
Enfin, pataugeant, suffocant, affolé, vous tentez de vous précipiter n’importe où pour vous abriter. Justement, voici une porte ouverte. Vous essayez d’entrer. Halte-là ! On ne passe pas ! C’est un planton de service, sous forme de tas d’immondices juste sur le seuil qui vous hurle cela... à plein nez ! Défense d’entrer ! Ce n’est pas inscrit sur la porte, même en espéranto et cependant les étrangers de toutes nations et de toutes langues, comprennent.
Et vous appelez cela de l’hospitalité ! Voyons ! Vous n’êtes pas sérieux ! Citez-moi une seule bourgade en Flandre, en Artois ou en Normandie qui vous ait produit la même impression !

Juin 1909 - Ce violent réquisitoire contre un pays que j’aime m’humilia profondément. Je me creusais la tête pour y chercher une réponse péremptoire, mais ce fut en vain. Hélas ! oui, mon ami avait raison et j’eus beau essayer de riposter en lui demandant si c’était parce que nous venions de passer en gare d’Avignon qu’il se croyait permis, lui, l’homme calme par excellence, d’emprunter l’exagération méridionale ; je fus obligé de convenir qu’il disait vrai.
En vain lui exposai-je que les conditions climatiques et géographiques n’étaient pas les mêmes, ni les conditions de travail et de culture « En effet, dit-il, les conditions sont différentes, car chez nous il pleut neuf jours sur dix, nos paysans travaillent dans les terres à moitié détrempées : ils ont plus de bestiaux que les vôtres ; nous avons en plus mines et usines qui occasionnent dans nos rues un roulage excessif ; la fumée et la poussière de charbon nous envahissent, enfin notre sol n’est pas accidenté comme le vôtre et nous n’avons pas vos jolis torrents et vos couzes pour laver nos bourgs. Ce sont donc bien nos villes et nos villages et non les vôtres qui auraient des raisons d’être malpropres et malodorants, si tant est que l’on puisse excuser la saleté ».

J’allais m’avouer vaincu. Soudain je songeai à un dernier argument, décisif celui-là, pensai-je, qui allait enfin me sauver. : « Il n’y a pas de quoi être si fier ! m’écriai-je, vous êtes riches, voilà tout. Avec de l’argent on fait de la bonne voirie. Tandis que nos communes n’ont pas d’argent, ou si peu pour la voirie ».
« Encore une erreur ! fit-il, les services publics de la voirie ne sont ni mieux ni plus mal faits chez nous que chez vous. D’ailleurs vous savez comme moi qu’en tout pays ce qui est administratif se fait mal, notamment la voirie. Seulement nous y suppléons individuellement. C’est l’initiative individuelle qui fait à peu près toute la besogne. D’abord nous évitons de salir nos rues et les déchets de chaque maison, au lieu d’être jetés devant la porte, sont placés dans un récipient spécial que possède même la plus pauvre maison de la plus humble bourgade. Chaque matin on jette ces détritus dans les charrettes ou les brouettes qui s’en vont aux champs, un coup de raclette ou de balai et chacun charge aussi la boue ou les poussières de rue qui se trouvent devant sa maison : ça dure bien deux minutes ; ça fertilise les champs. On en a tellement l’habitude qu’on le fait sans y penser. Et voilà comment les rues sont propres. C’est simple comme bonjour. Chacun y met du sien de la bonne volonté et tout le monde y gagne ».
Je restai rêveur, songeant au charme captivant et ensorceleur de nos gracieux villages d’Auvergne, si leurs habitants en faisaient autant.


Nota : Parution de ces textes dans le Bulletin paroissial d’Aubière des mois de février, mai et juin 1909.



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