(1783-1791)
En 1783, plusieurs personnes, de passage dans l’église d’Aubière, constatent la présence
inhabituelle et suspecte de plusieurs hauts personnages de la paroisse autour
du banc-coffre des consuls renfermant les archives rassemblées par les
paroissiens et leurs édiles depuis des temps immémoriaux.
Ce fait troublant alimente aussitôt les conversations,
mais aucun évènement officiel ne vient mentionner et mettre sur la place
publique ce « scandale ». Bientôt, on finit par oublier l’incident.
Pour terminer, le dernier interrogatoire,
celui de Jean Cohendy, le consul, puis l’analyse… en attendant d’autres
révélations.
Du 10 janvier 1791
Interrogatoire de Jean Cohendy dit Mallet (1) :
Interrogé s’il est de sa connaissance que dans l’année 1783,
le sieur André et le sieur Desribes ne vinrent pas chercher pendant deux fois
consécutives Michel Gioux, maréchal, pour enfoncer le coffre de la commune,
placé dans l’église d’Aubière :
Il se souvient qu’en sortant un jour de ladite année,
d’entendre la messe du vicaire, des femmes qu’il rencontra luy dirent qu’on
enfonçait le coffre de la commune ; qu’il retourna à l’église et qu’il vit
effectivement le nommé Gioux, maréchal, qui enfonçait le coffre ; que le
nommé Desribes était présent et que des femmes lui dirent que le sieur André
était sorti de l’église avant que lui, répondant, y entra.
Interrogé s’il vit emporter par le sieur André ou par le
sieur Desribes les papiers qui étaient dans ledit coffre :
A répondu qu’il ne vit pas emporter lesdits papiers, mais
que les femmes lui dirent que le nommé André Quiento [ou Tiennon ?], qui
travaille continuellement au cy-devant château d’Aubière, avait emporté lesdits
papiers.
Interrogé s’il sait par les ordres de qui ce particulier
emporta lesdits papiers :
A répondu qu’il ne le sait pas mais que ce ne pouvait être
que par les ordres du cy-devant seigneur, puisque la commune n’était pas
intéressée à la distraction ou l’enlèvement desdits papiers.
Lecture faite de l’interrogatoire, ledit Jean Cohendy a
ajouté que le coffre de la commune était fermé à cinq serrures et qu’elles
furent brisées toutes cinq.
*
A la lecture de ces témoignages, il apparaît quelques
contradictions.
Le coffre qui se trouve dans l’église possède 5 serrures. En
1783, il y a 4 consuls en exercice et un syndic, chacun possédant une clé du
banc-coffre (2). Le banc est verrouillé par deux cadenas ou un cadenas à double
serrure ; à l’intérieur, trois compartiments fermés chacun par une
serrure. La présence de tous les consuls et du syndic est donc indispensable
pour accéder aux papiers contenus dans les compartiments.
Qui est présent ?
- Seul Desribes, régisseur du seigneur André, mentionne la présence des cinq porteurs de clé (3). Il dit aussi que toutes les clés ne purent être trouvées, et de ce fait, il est fait appel au maréchal Michel Gioux. Il dit encore que le coffre étant mal fermé, il n’a pas été nécessaire de briser les serrures. Alors, pourquoi faire appel au maréchal ?
- Jean Cohendy, consul, est présent pour 8 témoins sur 11 (les témoins n°1 et 6 ne le cite pas ; lui-même dit qu’il n’a pas assisté à l’ouverture du coffre) (4). Lorsqu’il revient, Jean Cohendy constate qu’il n’y a plus personne, que le coffre a été fracturé : toutes les serrures sont brisées ! Ce Cohendy a-t-il de gros problèmes de mémoire ou alors voudrait-il se laver de tout soupçon ?…
- Le baron Pierre André, seigneur d’Aubière, est mentionné par six témoins. Jean Cohendy dit que le sieur André était sorti lorsqu’il revient à l’église, encore selon les dires des femmes. On peut s’étonner d’ailleurs que le baron n’ait pas été entendu… (5)
- Et, bien sûr, le maréchal Michel Gioux. Selon ses dires, le coffre aux 5 serrures a bien été fracturé et les papiers enlevés par le sieur André et son régisseur Desribes. Le syndic et les consuls n’arrivent que lorsqu’il quitte l’église. Le seigneur et Desribes sont déjà partis.
Notons que Michel Gioux confirme les dires de Cohendy sur
deux points : le coffre a été fracturé et donc les serrures brisées, et
lorsque le consul entre dans l’église, le mal est fait et il ne rencontre
personne. Même pas Michel Gioux ?... Mais où sont les autres consuls et le
syndic, mentionnés par le maréchal ?
Les papiers ont-ils
été emportés ?
Quatre témoins l’affirment. Desribes le nie : ils ont
tout remis en place avant de quitter l’église. Jean Cohendy n’a rien vu mais dit
que des femmes auraient vu un certain Tiennon s’en aller avec des papiers.
Une serrure du banc-coffre des consuls |
Six ans après les faits, on peut comprendre que les
témoignages soient quelque peu contradictoires et faussés par l’ancienneté de
l’évènement. De plus, si l’interrogatoire de Desribes n’est pas précisément
daté, celui de Cohendy a lieu seulement en 1791 !
Rien dans les archives communales ne laisse présager qu’une
faute ait été commise et par qui. L’affaire semble avoir été classée…
Cependant, dès 1790, le sieur Pierre André, baron d’Aubière,
s’adresse au Directoire du District de Clermont pour réclamer le paiement de la
dîme dont il prétend être bénéficiaire par les habitants d’Aubière. Les
papiers, soustraits du coffre des consuls, lui donneraient-ils raison ?
Le Directoire du District de Clermont, dès le 20 août 1790,
demande au Conseil général de la Commune d’Aubière de délibérer sur cette
demande. Le maire d’Aubière, le notaire Girard, que l’on connaît comme étant un
farouche opposant au baron André, fait traîner les choses. Le 18 octobre 1790,
le Directoire réitère sa demande auprès des municipaux aubiérois.
Le 10 novembre 1790, sur convocation du nommé Baile,
procureur de la Commune d’Aubière, le Conseil général de la Commune se réunit
pour faire « des observations sur le
rapport des experts qui fixe l’indemnité prétendue due au sieur Pierre André, a
raison du défaut de paiement d’une prétendue dixme inféodée qu’il percevait sur
les habitants du lieu d’Aubière ».
Le Conseil général de la Commune décide donc que : « considérant que pour faire des observations
justes et fixes, il est d’un préalable qu’il connaisse les droits constitués
par les titres du sieur André, ensemble le contenu de son contrat
d’acquisition, pour vérifier jusqu’où s’étendent ses prétentions et sur quel
fond ils peuvent frapper, a arrêté de demander au sieur André avant tout
préalable, communication et copies de tous les titres en vertu desquels il veut
réclamer l’indemnité qui prétend lui être due, et en express le contrat
d’acquisition faite de la terre par lui ou ses prédécesseurs ».
Le 26 septembre 1791, le Directoire du District de Clermont
envoie une ordonnance aux municipaux d’Aubière : « Messieurs, Monsieur André a remis au
secrétariat du District les titres établissant le droit de Dixme pour lequel il
réclame une indemnité ; nous joignons ici l’ordre du Département en vertu
duquel vous voudrez bien différer le moins possible votre examen parce qu’il
importe à la Constitution de ne faire aucun mécontent qui le soit avec justice.
Et rien ne serait plus opposé aux intentions de l’Assemblée Nationale que
d’user de délais, surtout lorsque, comme dans le cas particulier, ils ont été
portés très loin ».
Si le maire Girard doutait de la détermination du sieur
André et de sa possibilité de prouver ses prétentions, il en est pour ses
frais.
Le 19 novembre 1791, le Directoire du Département « autorisent les officiers municipaux de la
paroisse d’Aubière à prendre communication au Directoire du District de
Clermont et sans déplacer des titres concernant la dixme du sieur André pour,
par la ditte Municipalité, fournir es mains des administrateurs dudit district
leurs observations sur le rapport des experts qui ont fait l’estimation de
laditte dixme ».
Le Conseil général de la Commune d’Aubière se réunit le
dimanche 20 novembre 1791 et décide « d’autoriser
le procureur de la Commune de ce lieu d’Aubière à se pourvoir pardevant
Messieurs du Tribunal du District de Clermont-Ferrand pour obtenir ordonnance
afin de compulser les registres du contrôle de Clermont, et tous autres, et
pour avoir connaissance même copie des relations de tous actes qui peuvent
avoir été [illisible] par le sieur
André relatifs à la perception et afferme de la dixme dépendante de la cy
devant seigneurie d’Aubière ».
Les choses se précipitent.
Nous n’aurons malheureusement rien de plus, faute de
documents… (6)
Mais, avec le Journal
économique de Jean-Baptiste André, peut-être aurons-nous le fin mot de
l’histoire et, sans aucun doute, un autre son de cloche… ?
Notes :
(1) – Jean Cohendy, dit Mallet (ou dit Canotte), né en 1725, fils d’Etienne
et Jacquette Tartarat, marié le 17 janvier 1747 à Amable Noëllet. Il fut consul
de la paroisse d’Aubière en 1771 et 1783.
(2) – Jean Cohendy, Guillaume Noellet, Guillaume Arnaud, Antoine Blanc et le
syndic : Antoine Noellet.
(3) – Seul, le témoin n°9 ne cite pas le régisseur. D’ailleurs ce témoin,
Gilberte Chatanier, n’a vu que Jean Cohendy et un certain André Tiennon,
domestique au château.
(4) – Comment ? Mais je n’ai rien fait, je n’ai rien vu, je n’étais même
pas là !, semble-t-il dire… Tout ce qu’il sait, il ne l’a appris que par
des femmes ! Bref, c’est tout dire !...
(5) - Le Journal économique de J-B André nous apprend que son père a
également été interrogé, après Desribes et Cohendy en 1791. Il n’en reste
aucune trace dans les documents retrouvés dans les archives communales.
(6) - L'épisode 20, paragraphe 6, du Journal économique de Jean-Baptiste André, nous donne cependant une des conclusions du procès.
Sources : Archives communales d'Aubière.
© Cercle généalogique et historique d’Aubière – Pierre Bourcheix
Voir le Journal
économique de Jean-Baptiste André : Épisode 16
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire