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jeudi 6 mars 2014

On rase la cure et le « trou » du curé



Avec la séparation des Églises et de l’État, à partir de 1905, l’église d’Aubière et les bâtiments dépendant de la paroisse, comme la cure ou presbytère, sont devenus propriété de l’État, représenté par la commune.
Pour l’amélioration de la circulation en centre bourg et notamment autour de l’église, l’administration communale décide en 1912 d’engager les démarches qui aboutiront à la démolition de la cure et autres maisons accolées à l’église.
Coïncidence terrifiante après coup : ces travaux seront exécutés durant l’été 1914 ; comme si le centre d’Aubière avait été bombardé juste avant la déclaration de guerre !

Église d'Aubière au début du XX° siècle
Accolé à l'église, le presbytère.
Sous la terrasse, l'entrée d'un passage, éclairé par une lampe :
le "trou" du curé ! (*)

Au printemps 1912 s’est installée à la mairie d’Aubière une nouvelle municipalité avec à sa tête le maire Jean Noëllet-Dégironde, dit le Rapide. Comme son sobriquet l’indique, il prend rapidement des décisions pour une campagne d’aménagements dans le quartier de la Halle et de l’église. Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits des délibérations du Conseil municipal, en 1912, 1913 et 1914, ainsi que des réactions des prêtres desservant la paroisse.

Délibération du 14 août 1912

L'an mille neuf cent douze, le quatorze août à deux heures du soir les membres du conseil municipal de la commune d'Aubière se sont réunis à la Mairie en session ordinaire sous la présidence de Monsieur Noëllet-Dégironde, maire. […]

Presbytère
Dénonciation du bail, démolition
Un certain nombre de conseillers municipaux ayant demandé communication du bail intervenu en 1909 entre le Maire d'Aubière et le Desservant relativement au presbytère, Monsieur le Maire donne lecture du dit document. Il s'ensuit que le bail a été conclu pour une période de neuf années, avec la faculté pour le Conseil de le dénoncer six mois avant l'échéance par simple lettre recommandée adressée au Desservant par M. le Maire. Le Conseil, vu l’exiguïté des rues avoisinant l’Église et l'absence de débouché pour toutes les rues y aboutissant ; vu l'état de délabrement dans lequel se trouve la halle, qui est un sérieux obstacle à la circulation sur la rue peut-être la plus fréquentée ; considérant que sa démolition et son changement s'impose a bref délai ; considérant l'importance que prend de jour en jour le marché qui se tient sur la place de la Halle. Ayant également le souci du dégagement des abords de l'église qui est un bâtiment communal, désirant simplement exécuter la plus belle opération de voirie qui puisse se réaliser actuellement dans la commune en démolissant l'ancien immeuble loué comme presbytère et en laissant tout le terrain disponible comme place et voie publique.

Cadastre de 1831
La même configuration a été adoptée
depuis la reconstruction de l'église en 1855 :
Le passage longe l'église, sous la cure, à partir de la place de la Halle.
Il devient aérien sur la façade ouest de l'église.

Délibération du 28 mai 1913

L'an mil neuf cent treize le vingt mai à huit heures du matin, les membres du Conseil Municipal de la Commune d'Aubière se sont réunis à la Mairie en session ordinaire sous la présidence de Monsieur Noëllet-Dégironde, maire. […]

Démolition du presbytère
Mise en adjudication
Monsieur le Maire soumet à l'approbation du Conseil le dossier relatif à la démolition de l'ancien presbytère, toute la surface du terrain devant ensuite être livrée a la voie publique par application du plan d'alignement de la Commune. Le dossier comprend:
1° Le détail estimatif établi par Monsieur Gioux, expert géomètre à Aubière.
2° Le cahier des charges établi également par le dit Monsieur Gioux.
Le Conseil après avoir pris une ample et entière connaissance du dossier relatif à la démolition de l'ancien presbytère, autorise Monsieur le Maire à faire procéder à l'adjudication publique des travaux pour la dite démolition. Il décide en outre en conformité avec le plan d'alignement que toute la surface de terrain devenue vacante sera incorporée à la voie publique et destinée à agrandir la Place dite de la Halle.

Délibération du 21 février 1914

L'an mil neuf cent quatorze, le vingt et un Février, le Conseil Municipal de la Commune d'Aubière étant assemblé en session ordinaire de Février au lieu habituel de ses séances après convocation légale sous la Présidence de Monsieur Noëllet Degironde Maire. .....

Démolition du presbytère.
Traité avec Monsieur Fourreau entrepreneur à Clermont Ferrand.
Monsieur le Maire soumet à l'approbation du Conseil le dossier relatif a la démolition de l'ancien presbytère dont toute la surface, doit être incorporé à la voie publique pour l'agrandissement de la Place de la Halle, une certaine partie de cet immeuble étant d'ailleurs frappé d'alignement.
1° Le détail estimatif établi par Monsieur Gioux expert géomètre à Aubière.
2° Le cahier des charges également établi par le sieur Gioux.
L'adjudication du 1er Novembre 1913, qui ne devait pas être inférieure à cinq cents francs n'ayant donné aucun résultat. Monsieur le Président demande au Conseil de vouloir bien l'autoriser de passer un traité de gré a gré avec Mr Fourreau entrepreneur à Clermont Ferrand, moyennant une somme de deux cent quatre vingt francs que l'entrepreneur versera dans la Caisse du Receveur Municipal avant le commencement des travaux suivant les clauses conditions et responsabilités stipulés au cahier des charges.
Monsieur Fourreau s'engage en outre à payer les frais de timbre d'expédition ainsi que les droits d'enregistrement auquel le présent marché donne lieu.
Le Conseil après en avoir délibéré autorise Monsieur le Maire à passer dans les conditions énoncées ci dessus un traité de gré à gré avec Monsieur Fourreau entrepreneur à Clermont Ferrand pour la démolition de l'immeuble dit de l'ancien presbytère.

États des lieux
Le cinq mars 1913, on procède à l’état des lieux des maisons Besse et Fonteix qui jouxtent la cure, et qui doivent également être rasées. Pour l’exemple, voici celui de la maison Fonteix.



L'état des lieux de la Maison Fonteix
(Archives communales d'Aubière)


Adieu de Monsieur le curé Bréchard à l'ancien presbytère (juin 1913)
Il fait référence, vous vous en doutez, à la séparation des Églises et de l’État.

... (Certains) défendent même de s'en rendre acquéreur en en versant le prix à moins que ce ne soit pour le rendre à son propriétaire légitime.
Que les uns et les autres ne s'abritent pas derrière le prestige de la loi. Oui, la loi est respectable quand elle est juste, conforme au droit naturel, votée pour le bien général. Mais une loi votée par haine politique, par passion antireligieuse ne mérite que le mépris des honnêtes gens. Ceux-ci à tout propos doivent s'insurger contre elle et en demander l'abrogation. C'est dire que celui qui accepte de l'État un tel don sera possesseur légal : il ne sera pas le vrai propriétaire de Biens enlevés à leur maître.
Si maintenant ceux qu'on dépossède doivent céder à la force ils n'en gardent pas moins le pouvoir de protester contre les dénis de justice dont ils sont victimes ; de revendiquer leurs droits méconnus ; de rappeler aux électeurs et aux élus qu'en cette affaire leur responsabilité se trouve gravement engagée ; et même enfin, au défaut de la justice humaine, d'en appeler à la justice de Dieu.
Je n'ajoute qu'un mot : quand vous lirez ces réflexions le clergé d'Aubière n'occupera plus ce vieux presbytère où vécurent ces prêtres qui ont laissé parmi vous des souvenirs impérissables :
M. Parrique, pour ne citer que ceux du dernier siècle, qui pour fuir la persécution de 1793, avait émigré en Suisse ;
M. Fredet qui vit la construction et la consécration de l'église ;
M. Teilhol, que plusieurs d’entre vous ont connu ;
M. le chanoine Teytard, dont vous admirez, la belle vieillesse ;
enfin cette pléiade de jeunes auxiliaires dont la liste occuperait une place trop considérable.
Désormais nous habiterons, rue Saint Loup, la maison Théringaud. C'est là que je vous attends, chers amis, et que je serai très heureux de vous accueillir et de m'entretenir avec vous de vos joies et de vos peines, de vos intérêts matériels et spirituels. Signé : F. X. BRÉCHARD, curé d'Aubière (Extrait du Bulletin paroissial d'Aubière - Juin 1913 - Pages 4, 5 et 6)

Place de l'église en 1915
La cure a disparue.
Le mur de l'église en porte encore les traces.

Dommages collatéraux à la démolition
Lettre du curé d’Aubière au Préfet du 12 novembre 1914 :
Monsieur le Préfet, Le presbytère d’Aubière étant devenu propriété communale a été démoli au cours de l’été dernier, et pendant les travaux de cette démolition, un vitrail de notre église a été brisé par quelques pierres tombées mal à propos. Il porte en son milieu une ouverture d’environ 30 centimètres sur 25 et d’autres à côté de moindre importance.
Il en résulte depuis la mauvaise saison des courants d’air dont se plaignent avec raison les paroissiens qui fréquentent l’église. Ne pouvant moi-même répondre à ces plaintes, j’ai par deux fois, en date du 24 septembre et du 5 novembre, prié Monsieur le maire de vouloir bien faire réparer le vitrail au moins à titre provisoire. Je n’ai reçu aucune réponse. Et c’est pourquoi je me permets, Monsieur le Préfet, de recourir à votre haute autorité.
Je ne sais si c’est à la commune ou à l’entrepreneur de la démolition qu’incombe la charge de la réparation, mais il me semble bien naturel de la demander, notre église ne pouvant demeurer avec une fenêtre ainsi ouverte pendant la mauvaise saison.
[…] Signé : Desolmes, curé d’Aubière.

Cinq jours plus tard, le Préfet fit suivre la lettre au maire d’Aubière, lui demandant de donner une suite favorable à la requête du curé. Nous osons croire que le vitrail fut réparé dans les semaines suivantes.

La halle ne fut détruite, quant à elle, seulement quelque temps avant le début de la guerre de 1939-1945.

Note :
(*) - Le "trou" du curé : à Aubière, tout passage abrité, par une maison ou un rempart, est appelé "trou" (Trou de l'Homme, Trou du Roudet...).

Sources : Archives communales d’Aubière et Archives départementales du Puy-de-Dôme.

© - Cercle généalogique et historique d’Aubière.


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