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vendredi 28 décembre 2012

Un curieux personnage, le sieur Goughon, notaire royal à Beaumont



         Il y a bien longtemps, alors que je fréquentais la Bibliothèque municipale de Clermont, j'eus l'occasion d'y lire un opuscule daté de 1767, intitulé "Mémoire en défense pour Jean Goughon, Notaire Royal et Procureur Fiscal à Beaumont", concernant un curieux procès (cote A 10800). L'intéressé était accusé de subornation de témoin, de déplacement de borne et d'avoir incendié une grange appartenant au sieur Champflour.
         Le Sieur Champflour d'Allagnat appartenait à une famille de robe clermontoise récemment anoblie. Potentat local, il nourrissait une haine profonde envers Goughon, car il convoitait une terre dont ce dernier avait hérité de ses parents. Le mémoire rédigé pour la défense du sieur Goughon relate les péripéties de cette affaire et présente des faits qui sont bien évidemment de nature à discréditer le nommé Champflour : entre-autres, la récupération « musclée » d'un chien qu'il prétendait lui appartenir, chez un particulier où l'on s'introduisit nuitamment, par effraction, ledit particulier étant sorti « nud en chemise », se voyant « le mousqueton sur la poitrine » !
         Je note que ces affaires faisaient suite à une autre, tout aussi curieuse, dont on trouve le dossier aux Archives Départementales, Série B, justice seigneuriale de Beaumont : il s'agit d'un vol de dindons perpétré chez ce même Goughon en 1757, qui motiva une procédure menée à sa requête contre les trois personnes ayant tué ses dindons !
         Les péripéties rapportées dans le mémoire de 1767 commencèrent dès 1752 : il fut accusé par les nommés Herbault et Cohendy d'avoir arraché et déplacé nuitamment une borne marquant la limite de l'une de ses propriétés. Il fut avéré que ses accusateurs, manifestement à la solde de Champflour, l'avaient eux-mêmes déplacée !


         Champflour habitait le château du Petit Allagnat, à l'entrée est du bourg, alors que Goughon demeurait à l'extrémité ouest... La Révolution vint opportunément venger Goughon de toutes les misères endurées, car Champflour fut surveillé et se fit très discret, alors que Goughon, notaire, se porta acquéreur des biens de l'abbaye. Il partagea les bâtiments conventuels en de nombreux lots pour les transformer en logement et fit tracer de nouvelles rues dans le clos abbatial de Las Verias pour y faire construire des maisons. On peut voir là un précurseur de nos promoteurs immobiliers...
         Ce mémoire évoque ensuite l'affaire de l'incendie de la grange du sieur Champflour, et cela prend un tour rocambolesque...
         En effet, on assiste à une série de rebondissements judiciaires, chacune des parties, produisant ses témoins, et étant accusées tour à tour de subornation. Il apparaît, tout au long des procédures, que les juges furent pour le moins complaisants à l'égard de Champflour qui était d'ailleurs apparenté à certains d'entre eux !...
         Goughon ayant été pris au corps, « les deux huissiers qui l'accompagnaient après son interrogatoire frappèrent inutilement à deux différentes portes de la prison sans pouvoir s'en procurer l'ouverture. N'ayant pris aucune précautions pour prévenir la fuite de leur prisonnier, il profita de leur négligence, leur souhaita le bon soir, et se retira à Beaumont » !... Les huissiers furent mis à l'amende.
         Il en profita pour mettre tous ses papiers (y compris ses minutes notariales) et surtout les pièces du procès à l'abri dans le château d'Aubière.
         Il décida ensuite de se rendre à Paris et fit étape à l'abbaye de Sainte-Menehould, près de Moulins, où il apprit qu'on avait perquisitionné chez lui et interrogé sa femme. Craignant que l'endroit où étaient cachés ses papiers fut découvert (il y avait des quittances sous signature privée du sieur Champflour...), il demanda conseil à l'Abbesse, à des religieuses et à l'aumônier : on le déguisa avec le manteau et le capuchon de l'aumônier.et il parti à l'aube (le 18 mars 1760), dans cet équipage avec Étienne Bouchet, valet de l'abbaye (tiens, un Beaumontois !) ; les deux compagnons chevauchèrent par des chemins de traverse jusqu'au Mayet où ils passèrent la nuit. Le lendemain, ils dînèrent à Riom à l'auberge du « Lion d'Or » (cette enseigne existe toujours...).
         A Montferrand, curieusement, il acheta « les ustensiles nécessaires pour se procurer du feu pendant la route. Cette précaution lui était nécessaire soit pour allumer sa pipe dont il faisait un usage très fréquent, soit pour se procurer de la lumière pour la recherche de ses papiers à Obière [lire : Aubière] ». Il eut beau s'envelopper dans son manteau, il fut reconnu. Ayant soupé avec Bouchet à Montferrand, ils prirent tous les deux le chemin d'Aubière, où Goughon avait déclaré se rendre. Arrivé sous un noyer, il demanda au valet de l’attendre car, dit-il, les chemins étaient trop mauvais pour qu'il pût continuer à cheval… Il laissa au valet sa redingote et son capuchon, partit à pied, et revint au bout d'une demi-heure. En fait, expliquera-t-il plus tard, arrivé à Aubière, il ne put pénétrer dans le château dont les portes étaient fermées et dut rebrousser chemin.
         Au moment où il rejoignait Bouchet, il y eut une grande lueur provoquée par l'incendie et Bouchet précisera qu'« il pouvait distinguer les échalas dans les champs ».
         Enfin, « les deux compagnons de voyage remontés à cheval, allèrent coucher à Riom, où ils arrivèrent environ une heure après minuit. Le lendemain, ils couchèrent au Mayet, et le surlendemain à Sainte-Menehould où le sieur Goughon séjourna deux jours, d'où il vint à Paris ».
         Naturellement, Champflour accusa Goughon d'avoir mis le feu à sa grange.

         J'ajoute que ces faits se passaient à Beaumont à une époque où l'atmosphère était déjà bien détestable, avec un procès assez sordide qui opposait les religieuses de l'abbaye à leur abbesse, Marie-Françoise de Lantilhac, que l'on trouve rapporté dans d'autres mémoires, que l'on trouve également à la bibliothèque de Clermont (A10542, 10542-1, 10589, 10589-15,10589-17).

Rapporté par Jacques Pageix

1 commentaire:

  1. La photo est celle du château d'Allagnat, près de Ceyssat.
    Le Château du Petit Allagnat , résidence beaumontoise de Champflour, était situé à la sortie de Beaumont (Place d'Armes), à l'emplacement de l'actuel CFPA. Il a été malencontreusement démoli vers 1970. C'était une bâtisse assez simple, datant à mon avis du XVIe siècle, avec une fontaine renaissance (le châtelain avait fait aménager une conduite particulière pour alimenter sa fontaine. J'ai des photos de ce château prise par "La Montagne" avant sa destruction.

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