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mercredi 4 juillet 2012

Le coffre des consuls_03


(1783-1791)

En 1783, plusieurs personnes, de passage dans l’église d’Aubière, constatent la présence inhabituelle et suspecte de plusieurs hauts personnages de la paroisse autour du banc-coffre des consuls renfermant les archives rassemblées par les paroissiens et leurs édiles depuis des temps immémoriaux.
Ce fait troublant alimente aussitôt les conversations, mais aucun évènement officiel ne vient mentionner et mettre sur la place publique ce « scandale ». Bientôt, on finit par oublier l’incident.

Pour terminer, le dernier interrogatoire, celui de Jean Cohendy, le consul, puis l’analyse… en attendant d’autres révélations.

Du 10 janvier 1791

Interrogatoire de Jean Cohendy dit Mallet (1) :
Interrogé s’il est de sa connaissance que dans l’année 1783, le sieur André et le sieur Desribes ne vinrent pas chercher pendant deux fois consécutives Michel Gioux, maréchal, pour enfoncer le coffre de la commune, placé dans l’église d’Aubière :
Il se souvient qu’en sortant un jour de ladite année, d’entendre la messe du vicaire, des femmes qu’il rencontra luy dirent qu’on enfonçait le coffre de la commune ; qu’il retourna à l’église et qu’il vit effectivement le nommé Gioux, maréchal, qui enfonçait le coffre ; que le nommé Desribes était présent et que des femmes lui dirent que le sieur André était sorti de l’église avant que lui, répondant, y entra.

Interrogé s’il vit emporter par le sieur André ou par le sieur Desribes les papiers qui étaient dans ledit coffre :
A répondu qu’il ne vit pas emporter lesdits papiers, mais que les femmes lui dirent que le nommé André Quiento [ou Tiennon ?], qui travaille continuellement au cy-devant château d’Aubière, avait emporté lesdits papiers.

Interrogé s’il sait par les ordres de qui ce particulier emporta lesdits papiers :
A répondu qu’il ne le sait pas mais que ce ne pouvait être que par les ordres du cy-devant seigneur, puisque la commune n’était pas intéressée à la distraction ou l’enlèvement desdits papiers.
Lecture faite de l’interrogatoire, ledit Jean Cohendy a ajouté que le coffre de la commune était fermé à cinq serrures et qu’elles furent brisées toutes cinq.

*

A la lecture de ces témoignages, il apparaît quelques contradictions.
Le coffre qui se trouve dans l’église possède 5 serrures. En 1783, il y a 4 consuls en exercice et un syndic, chacun possédant une clé du banc-coffre (2). Le banc est verrouillé par deux cadenas ou un cadenas à double serrure ; à l’intérieur, trois compartiments fermés chacun par une serrure. La présence de tous les consuls et du syndic est donc indispensable pour accéder aux papiers contenus dans les compartiments.

Qui est présent ?
  • Seul Desribes, régisseur du seigneur André, mentionne la présence des cinq porteurs de clé (3). Il dit aussi que toutes les clés ne purent être trouvées, et de ce fait, il est fait appel au maréchal Michel Gioux. Il dit encore que le coffre étant mal fermé, il n’a pas été nécessaire de briser les serrures. Alors, pourquoi faire appel au maréchal ?
  • Jean Cohendy, consul, est présent pour 8 témoins sur 11 (les témoins n°1 et 6 ne le cite pas ; lui-même dit qu’il n’a pas assisté à l’ouverture du coffre) (4). Lorsqu’il revient, Jean Cohendy constate qu’il n’y a plus personne, que le coffre a été fracturé : toutes les serrures sont brisées ! Ce Cohendy a-t-il de gros problèmes de mémoire ou alors voudrait-il se laver de tout soupçon ?…
  • Le baron Pierre André, seigneur d’Aubière, est mentionné par six témoins. Jean Cohendy dit que le sieur André était sorti lorsqu’il revient à l’église, encore selon les dires des femmes. On peut s’étonner d’ailleurs que le baron n’ait pas été entendu… (5)
  • Et, bien sûr, le maréchal Michel Gioux. Selon ses dires, le coffre aux 5 serrures a bien été fracturé et les papiers enlevés par le sieur André et son régisseur Desribes. Le syndic et les consuls n’arrivent que lorsqu’il quitte l’église. Le seigneur et Desribes sont déjà partis.

Notons que Michel Gioux confirme les dires de Cohendy sur deux points : le coffre a été fracturé et donc les serrures brisées, et lorsque le consul entre dans l’église, le mal est fait et il ne rencontre personne. Même pas Michel Gioux ?... Mais où sont les autres consuls et le syndic, mentionnés par le maréchal ?

Les papiers ont-ils été emportés ?
Quatre témoins l’affirment. Desribes le nie : ils ont tout remis en place avant de quitter l’église. Jean Cohendy n’a rien vu mais dit que des femmes auraient vu un certain Tiennon s’en aller avec des papiers.

Une serrure du banc-coffre des consuls

Six ans après les faits, on peut comprendre que les témoignages soient quelque peu contradictoires et faussés par l’ancienneté de l’évènement. De plus, si l’interrogatoire de Desribes n’est pas précisément daté, celui de Cohendy a lieu seulement en 1791 !
Rien dans les archives communales ne laisse présager qu’une faute ait été commise et par qui. L’affaire semble avoir été classée…

Cependant, dès 1790, le sieur Pierre André, baron d’Aubière, s’adresse au Directoire du District de Clermont pour réclamer le paiement de la dîme dont il prétend être bénéficiaire par les habitants d’Aubière. Les papiers, soustraits du coffre des consuls, lui donneraient-ils raison ?

Le Directoire du District de Clermont, dès le 20 août 1790, demande au Conseil général de la Commune d’Aubière de délibérer sur cette demande. Le maire d’Aubière, le notaire Girard, que l’on connaît comme étant un farouche opposant au baron André, fait traîner les choses. Le 18 octobre 1790, le Directoire réitère sa demande auprès des municipaux aubiérois.

Le 10 novembre 1790, sur convocation du nommé Baile, procureur de la Commune d’Aubière, le Conseil général de la Commune se réunit pour faire « des observations sur le rapport des experts qui fixe l’indemnité prétendue due au sieur Pierre André, a raison du défaut de paiement d’une prétendue dixme inféodée qu’il percevait sur les habitants du lieu d’Aubière ».
Le Conseil général de la Commune décide donc que : « considérant que pour faire des observations justes et fixes, il est d’un préalable qu’il connaisse les droits constitués par les titres du sieur André, ensemble le contenu de son contrat d’acquisition, pour vérifier jusqu’où s’étendent ses prétentions et sur quel fond ils peuvent frapper, a arrêté de demander au sieur André avant tout préalable, communication et copies de tous les titres en vertu desquels il veut réclamer l’indemnité qui prétend lui être due, et en express le contrat d’acquisition faite de la terre par lui ou ses prédécesseurs ».

Le 26 septembre 1791, le Directoire du District de Clermont envoie une ordonnance aux municipaux d’Aubière : « Messieurs, Monsieur André a remis au secrétariat du District les titres établissant le droit de Dixme pour lequel il réclame une indemnité ; nous joignons ici l’ordre du Département en vertu duquel vous voudrez bien différer le moins possible votre examen parce qu’il importe à la Constitution de ne faire aucun mécontent qui le soit avec justice. Et rien ne serait plus opposé aux intentions de l’Assemblée Nationale que d’user de délais, surtout lorsque, comme dans le cas particulier, ils ont été portés très loin ».
Si le maire Girard doutait de la détermination du sieur André et de sa possibilité de prouver ses prétentions, il en est pour ses frais.

Le 19 novembre 1791, le Directoire du Département « autorisent les officiers municipaux de la paroisse d’Aubière à prendre communication au Directoire du District de Clermont et sans déplacer des titres concernant la dixme du sieur André pour, par la ditte Municipalité, fournir es mains des administrateurs dudit district leurs observations sur le rapport des experts qui ont fait l’estimation de laditte dixme ».

Le Conseil général de la Commune d’Aubière se réunit le dimanche 20 novembre 1791 et décide « d’autoriser le procureur de la Commune de ce lieu d’Aubière à se pourvoir pardevant Messieurs du Tribunal du District de Clermont-Ferrand pour obtenir ordonnance afin de compulser les registres du contrôle de Clermont, et tous autres, et pour avoir connaissance même copie des relations de tous actes qui peuvent avoir été [illisible] par le sieur André relatifs à la perception et afferme de la dixme dépendante de la cy devant seigneurie d’Aubière ».
Les choses se précipitent.
Nous n’aurons malheureusement rien de plus, faute de documents… (6)

Mais, avec le Journal économique de Jean-Baptiste André, peut-être aurons-nous le fin mot de l’histoire et, sans aucun doute, un autre son de cloche… ?


Notes :
(1) – Jean Cohendy, dit Mallet (ou dit Canotte), né en 1725, fils d’Etienne et Jacquette Tartarat, marié le 17 janvier 1747 à Amable Noëllet. Il fut consul de la paroisse d’Aubière en 1771 et 1783.
(2) – Jean Cohendy, Guillaume Noellet, Guillaume Arnaud, Antoine Blanc et le syndic : Antoine Noellet.
(3) – Seul, le témoin n°9 ne cite pas le régisseur. D’ailleurs ce témoin, Gilberte Chatanier, n’a vu que Jean Cohendy et un certain André Tiennon, domestique au château.
(4) – Comment ? Mais je n’ai rien fait, je n’ai rien vu, je n’étais même pas là !, semble-t-il dire… Tout ce qu’il sait, il ne l’a appris que par des femmes ! Bref, c’est tout dire !...
(5) - Le Journal économique de J-B André nous apprend que son père a également été interrogé, après Desribes et Cohendy en 1791. Il n’en reste aucune trace dans les documents retrouvés dans les archives communales.
(6) -  L'épisode 20, paragraphe 6, du Journal économique de Jean-Baptiste André, nous donne cependant une des conclusions du procès.

Sources : Archives communales d'Aubière.

© Cercle généalogique et historique d’Aubière – Pierre Bourcheix




Voir le Journal économique de Jean-Baptiste André : Épisode 16


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