C’est le 1er août 1914 vers 15
heures que parvint le télégramme donnant ordre de mobilisation générale à la
mairie d’Aubière.
A ce moment-là, Eugène Martin moissonne le
blé à Pérignat. Il nous raconte comment il a vécu ces moments dans ces carnets
de guerre. Voici l’extrait du 2 août 1914.
2
août 1914
Après une semaine d’inquiétude, pendant
laquelle on devinait à la lecture des journaux la rupture probable des
pourparlers engagés entre les puissances en faveur du maintien de la paix, la
mobilisation est décidée et l’ordre lancé, le samedi 1er août.
Le 1er jour de la mobilisation
est le dimanche 2 août à partir de minuit. C’est à 4 heures du soir qu’est
connue en province cette nouvelle, j’étais ce jour en train de moissonner le
blé à Pérignat. Pendant toute la matinée, nombre considérable d’automobiles
passaient sur la route d’une allure inaccoutumière (1). Dans les champs, les
paysans ne causaient que des événements des jours derniers et avec une
tristesse partagée s’entretenaient constamment d’une guerre possible. Et
pourtant, ils se refusaient toujours à croire à une chose pareille et ils
espéraient toujours un arrangement pacifique. J’étais de ceux-là, non je ne
croyais pas qu’un monarque (2) puisse prendre sur lui la responsabilité de tant
de massacres, de tant de ruines, de tant d’existences brisées.
Extrait du manuscrit des carnets de guerre d'Eugène Martin |
À 3 heures, des cyclistes arrivant de
Clermont apportent la nouvelle et en causent bruyamment. À 4 heures, la
nouvelle est officielle et la sonnerie des cloches, que l’on entend au loin,
nous en témoigne suffisamment. Tout de suite après, les gens de Pérignat
l’affirment, l’ordre est affiché à la mairie. Plus de doute. Cette fois c’est
bien vrai. Je suis pris d’une violente émotion mais je me ressaisis et je me
promets alors d’être fort et courageux pour ne pas alarmer ma famille. Et
pourtant, ce soir-là, nous ne sommes pas pressés de rentrer à la maison, mon
beau-père (3), mon père (4) et moi, car nous pensons que ce ne sera pas gai
là-bas.
Nous arrivons à la nuit, toute la famille
est réunie, on s’embrasse muettement sans rien dire mais on se comprend bien et
les larmes sillonnent les visages. Mais il faut se résoudre.
Le dimanche de bonne heure, Antonin Roche
(5) vient à la maison. On en avait bien causé ensemble et cette guerre, que
nous regardions comme impossible, nous paraît maintenant inévitable. L’ami
Mazin vient immédiatement après, c’est que nous devons aller faire ensemble une
période de 17 jours le lundi au 16ème d’artillerie et notre bonne
camaraderie, de nos deux ans de service actif, nous contraint à souhaiter de
faire la campagne également ensemble. Nos souhaits ne se réaliseront pas. La
journée se passe en visite, maintenant chez l’un, plus tard chez l’autre, nous
allons, les mobilisés amis, nous dire au revoir et bon courage.
D’après mon ordre de mobilisation, je dois
me rendre à Aubière [au] Champ Voisin,
le 3ème jour avant 7 heures, pour la réquisition des chevaux. Donc
mardi 7 heures, j’appelle l’inséparable Mazin, qui a le même ordre que moi, et
nous nous présentons au lieu désigné. De toute la matinée, rien à faire, on
nous paye notre indemnité de route (des vivres pour 2 jours, ce qui nous fait 6
francs) et puis, dans la grange de Gioux, nous attendons les ordres. Le travail
de réquisition n’est pas compliqué. Quand les paysans ont présenté leur cheval
à la commission qui accepte, nous prenons le cheval, le menons matriculer à la
forge et puis allons nous aligner, tous les uns à côté des autres, sur la route
de Beaumont. C’est là que nous resterons jusqu’au soir, mais nous avons pu nous
échapper pour pouvoir aller dîner à la maison.
À la nuit, nous attachons les chevaux à la
corde dans le Champs Voisin et l’adjudant, commandant le détachement, nous
renvoie après nous avoir dit de rejoindre chacun notre poste désigné sur le
livret militaire. Nous devons, Mazin et moi, aller rejoindre notre corps, 16ème
d’artillerie, à Clermont-Ferrand, quartier Desaix. Mais dame, nous allons chez
nous souper, nous passerons la nuit et nous irons demain.
Les
carnets de guerre d’Eugène Martin ont été retranscrits par Catherine
Vidal-Chevalérias, petite-fille d’Eugène Martin, avec l’autorisation de ses
petits-enfants : Jean Roche, Annie Roche, Françoise Courtadon, Jean-Pierre
Fauve, Jacques Fauve et Jacqueline Actis.
Ils
ont été publiés dans le numéro 66 de Racines Aubiéroises, revue du cercle
généalogique et historique d’Aubière, en juin 2010.
Notes :
(1)
– Lire : inaccoutumée.
(2)
– Guillaume II, empereur d’Allemagne en
1914.
(3)
– Antonin Cougout (1860-1933).
(4)
– François Martin (1855-1921).
(5)
– Antonin Roche (1882-1968), père de Lucien
Roche.
©
- Cercle généalogique et historique d’Aubière
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