Installée à Aubière depuis 1711, les sœurs de la Charité de
Nevers ont vendu les fossés du bourg d’Aubière, qu’on leur avait offert en
1726, aux Aubiérois à partir de 1736. La présence et l’œuvre des deux
religieuses soignantes durant toutes ces années ont donné satisfaction à
l’ensemble des Aubiérois. Mais la Révolution survient et la municipalité, avec
à sa tête le notaire Girard, veut chasser les religieuses…
Les sœurs vont se défendre et iront jusqu’à faire intervenir
l’Assemblée Constituante ! En vain.
Le
Maire Amable Girard adopte les idées révolutionnaires, et, en 1791, commence à
trouver les religieuses indésirables, puis les attaques contre elles se
précisent. Elles ripostent au coup par coup et se défendent de leur
mieux ; puis, lorsque, en 1792, elles sont obligées de quitter Aubière,
elles tentent de discuter avec la municipalité pour obtenir le maximum. Il
existe, aux Archives départementales du Puy-de-Dôme, toute une série de
documents concernant ces évènements, mais je vais me contenter d’en donner les
passages les plus anecdotiques et caractéristiques.
En
avril 1791, les deux religieuses, Julie Sarraza, supérieure, et Rosalie Barry, trouvant
leurs ressources insuffisantes, écrivent aux Administrateurs du département
pour les supplier de les aider, sans solliciter la pitié publique. Le
Directoire du District de Clermont répond qu’il est à souhaiter qu’elles soient
conservées dans ce lieu, mais, en attendant les déterminations de l’Assemblée
Nationale sur les secours de la Charité, il ne peut rien proposer.
Le
21 mai 1791, l’Assemblée Nationale publie un rapport sur le fait que les
Religieuses de la Charité de Nevers s’étaient plaintes des mauvais traitements
et des outrages dont elles étaient l’objet dans certains lieux où elles
exerçaient leur mission, et avaient demandé la protection du roi. L’Assemblée
Nationale demandait aux autorités de punir ces délits.
Le
16 juin 1791, la municipalité d’Aubière les accuse de tenir des propos
anti-révolutionnaires. Le Maire se présente chez elles en leur reprochant les
faits suivants : “La femme d’Antoine Planche (dit “le roy”) et fille
d’Antoine Arnaud, avait été chez les Sœurs pour demander des secours pour la
femme du dit Antoine Arnaud, et leur avait dit qu’elle avait été administrée
par Vergne, curé actuel du dit lieu. La Sœur lui a répondu “C’est donc la femme
à ton père à qui on a porté Dieu. J’ai entendu sonner la cloche et j’en ai été
si effrayée, que si l’on m’eut donné un coup de lancette dans le cœur,
l’on ne m’aurait pas fait saigner, et si cette pauvre femme a reçu Dieu du
nouveau curé elle est damnée et il eut mieux valu lui donner un coup de maillet
sur la tête et la jeter dans un fossé”.
Sœur
Julie a nié avoir tenu ces propos et a ajouté qu’elle s’était proposée de
partir. [Il est possible qu’elle n’ait pas prononcé exactement cette phrase,
mais étant donné que le Pape avait condamné la Constitution Civile du Clergé,
pour elle, les sacrements délivrés par un curé constitutionnel n’étaient pas
valables]. Les officiers municipaux déclarèrent qu’ils acceptaient sa
proposition et délibérèrent sur les sujets qui pourraient conserver à la dite
Commune, pour l’éducation et le soulagement des pauvres et procédèrent
immédiatement à l’inventaire de leur mobilier. Mais la Sœur Julie, est bien
décidée à rester. Courant juin elle écrit à la municipalité, pour se
plaindre qu’elles étaient insultées dans les rues lorsqu’elles sortaient, que
l’on avait cassé leur porte, et réclamer la protection à laquelle a droit
chaque citoyen. N’ayant aucune réponse, elle s’adresse au District du
Directoire du Puy-de-Dôme qui ne réagit pas non plus.
Courant
juillet, les Aubiérois présentent aux élus locaux une pétition demandant le
maintien des religieuses à Aubière, comportant une quarantaine de signatures.
Le curé constitutionnel Vergne, se sentant visé, écrit une lettre à ce propos
dont le destinataire n’est pas précisé.
Lettre du curé Vergne
Ce 9 aoust l’an
troisième de la Liberté
Monsieur,
On doit vous
présenter une pétition revêtue de plusieurs signatures pour s’opposer au départ
des Sœurs. Connaissant votre amour pour la paix, votre zèle pour le maintient
de la Constitution et votre vigilance à éloigner tout ce qui peut en empêcher
l’exécution, je me crois obligé de vous prévenir que cette pétition n’est que
l’ouvrage et le vœux de quelques femmes factieuses et fanatiques, et
quoiqu’elle soit revêtue des signatures de quelques citoyens, il est bon de
vous en méfier parce que plusieurs peuvent avoir été contrefaites. Pour vous
prouver que ce n’est que l’ouvrage de quelques femmes, ou peut-être celui des
Sœurs même, c’est que la pétition a été portée pour être signée chez plusieurs
citoyens qui l’ont rejetée, par une dame Noellet, qui est à la tête de la bande
factieuse et calotinocratique.
L’on m’a dit qu’un
Sieur Courtes, communaliste, l’a signée, mais ce n’est pas cette signature qui
doit donner du poids en ce que c’est un homme que l’on fait mouvoir comme une
machine, et qui, d’ailleurs, est dans le cas des réfractaires puisqu’il a
refusé constamment d’acquitter les fondations et de célébrer les offices avec
moi. Pour le nommé Montel, municipal, qu’on dit l’avoir signé, il mérite une
petite correction puisqu’il a agi contre la délibération prise par la
municipalité ; ce dont il a bien connaissance et qu’il a approuvé
plusieurs fois.
Voilà les faits qui
demandent que vous suspendiez votre jugement sur la légitimité de la pétition
jusqu’à ce que vous ayez pris des renseignements.
Quant à ces braves
filles de Dieu, je suis plus intéressé que personne à ce qu’elles ne partent
pas ; mais je puis vous dire que le mal qu’elles font, ou qu’elles vont
faire par leur conduite et par leurs discours, l’emporte infiniment au-dessus
de toutes les maladies qu’elles peuvent avoir guéries pendant leur vie.
Elles ont porté la
bêtise jusqu’à demander aux jeunes filles qu’elles enseignent quel étoit
l’évêque qu’elles reconnaissoient et ont donné des marques d’improbation à
celles qui disoient que c’étoit Mgr Perrier.
La municipalité a
un procès-verbal des propos qu’elles ont tenu : elles ont scandalisé le
peuple dans l’église par leur conduite aristocratique, elles ont tenu des
assemblées, en un mot, le paysan qui se laisse conduire par les Sœurs ne sait
encore à quoi s’en tenir en voyant ces braves filles si fortement attachées à
l’ancien clergé.
D’après cela,
Monsieur, quel que soit votre jugement pour leur sort, je m’y soumettrai
volontiers, mais si elles restent dans l’endroit, sans vouloir se conformer à
nous, et pour prêcher publiquement que je ne suis, ni ne peut être reconnu pour
le curé et que je n’ai aucune juridiction dans la paroisse, comme l’ayant reçu
d’un homme qui n’en voit pas lui-même, je vous préviens que je leur ferai
sentir le poids de ma juridiction et que je les vexerai jusqu’à ce que je les
aurai forcé à se retirer et à quitter une place qu’elles remplissent fort mal,
puisque, comme vous le savez, elles ne visitent les malades que pour les
envoyer à l’hôpital ou pour leur conseiller d’appeler un médecin ; vous
avouerez, Monsieur, que c’est manger votre chandelle par les deux bouts ;
enfin, Monsieur, nous sommes dans un temps où nous n’avons pas besoin de payer
des gens pour nous nuire, nous avons d’ailleurs d’autres ennemis.
Quant à ce qu’elles
doivent emporter, je crois qu’elles n’ont droit à autre chose qu’à leur
trousseau qu’elles sont censées avoir porté en venant, car lorsqu’elles
changeoient de maison elles n’emportoient rien que cela. D’ailleurs nous avons
besoin de tout puisque nous sommes dans l’intention de les remplacer. Si
toutefois elles ne veulent pas de moi parce que j’ai fait un serment que je me
ferai gloire de maintenir et de renouveler toutes les fois que le Bien Public
l’exigera, et c’est pour le prouver que je ne veux pas permettre ce schisme qui porte tous les jours des
coups les plus funestes à notre Constitution.
Veuillez
bien me croire, en attendant, Monsieur,
Votre
serviteur et frère
Vergne,
curé d’Aubière
L’année
1792 ne voit pas d’amélioration de leur situation. La Révolution est bien
installée, le roi a, de nouveau, de moins en moins d’influence, et la royauté
sera abolie au mois d’août.
Le
4 avril 1792, les Sœurs de la Charité de Nevers écrivent aux Administrateurs du
District du Puy-de-Dôme, qu’étant sur le point de partir d’Aubière, elles ont
fait prévenir les officiers municipaux pour leur remette les meubles et effets
mobiliers qu’elles avaient reçu en 1710 et énoncés dans l’inventaire qui en a
été fait ; mais les officiers municipaux réclament ceux qui ont été acquis
depuis et les autorisent à emmener seulement les hardes à leur usage.
Le
23, les Administrateurs du District demandent à la municipalité d’accéder à leur
demande, mais le 25, la réponse de la municipalité est cinglante et refuse absolument
de leur laisser emmener des meubles.
Réponse des
officiers municipaux d’Aubière
Au Mémoire des
Sœurs Julie Sarraza et Rozalie Barry
Les Sœurs Sarraza
et Barry ont formé demandes au Tribunal du District de Clermont contre la
Commune d’Aubière, de tout le mobilier qui se trouve dans l’hospice dudit lieu,
autre néanmoins, que celui qui était porté en un inventaire fait l’année 1710.
Le Tribunal du
District a renvoyé cette demande au Département. Le Département, d’après l’avis
du Directoire du District de cette ville de Clermont, a invité les officiers
municipaux du dit lieu d’Aubière à remettre et faire remettre tout le mobilier
réclamé par les Sœurs.
Les officiers
municipaux d’Aubière, persuadés que l’Arrêté du Département avoit été rendu sur
un faux exposé de la part des Sœurs, et convaincus de la témérité de leurs
prétentions, ont cru devoir se refuser à l’invitation du Département et ne
point délivrer le mobilier réclamé par les Sœurs jusqu’à ce qu’ils auroient été
entendus.
Les Sœurs ont renouvelé
leur même demande au Tribunal du Département contre la Commune d’Aubière. Le
Tribunal a renvoyé pour la seconde fois les Sœurs à se pourvoir au Département
pour l’exécution de son Arrêté.
Les Sœurs viennent
de présenter de nouveau leur Mémoire au Département, à l’insu de la Commune
d’Aubière qui n’a reçu aucune copie de la sentence du Tribunal du Département,
rendue en dernier lieu et qui n’a pas non plus connaissance de ce dernier
Mémoire.
Le Département,
néanmoins, vient de nommer un Commissaire pris dans le District, à l’effet de
faire faire la délivrance du mobilier réclamé par les Sœurs, autre que celui
porté en l’inventaire de 1710, sans que la Commune ait été instruite de rien à
cet égard, ce Mémoire ne lui ayant point été communiqué.
La Commune
s’empresse donc de répondre aux prétentions des Sœurs, du temps qu’il est
encore temps, et expose qu’étant chargées, par leur état, du soulagement des
pauvres et de l’instruction de la jeunesse dans le lieu d’Aubière, les Sœurs
jugent à propos d’abdiquer cet état de bienfaisance, sans d’autres motifs que
ceux dérivant d’une coalition avec les Ennemis de la Chose Publique et pour
faire cause commune avec eux.
Cette conduite ne
peut qu’être réprouvée de la part de toutes les personnes qui aiment la Constitution,
et plus particulièrement de la part des Corps Administratifs.
Cependant les Sœurs
(Sarraza et Barry) viennent vous exhiber (?) leur perfidie et vous
demandent une récompense qui ne tend à rien moins qu’à rendre leur remplacement
difficile et à enlever aux pauvres du lieu d’Aubière les ressources de
pourvoir, à l’avenir, à leur soulagement, ainsi que pour l’instruction de la
jeunesse, pour augmenter leur perte.
Elles osent
demander à être autorisées à expolier l’hospice d’Aubière et emporter la majeure
partie des meubles.
Cette simple
exposition suffirait sans doute pour rejeter une pétition aussi indécente que
contraire aux droits de l’humanité, mais si l’on examine plus particulièrement
cette prétention, l’on ne voit pas qu’elles puissent invoquer en leur faveur
aucun droit, titres ni qualité pour s’approprier le mobilier qui est un
patrimoine et une propriété des pauvres, destiné pour leur soulagement et pour
l’instruction de la jeunesse, confié à la garde des personnes qui s’acquittent
de ce devoir aussi utile que précieux pour la Société.
Vainement
prétendraient-elles que ce mobilier a été augmenté considérablement, on leur
répondra qu’il est un accroissement du patrimoine des pauvres, parce qu’il est
constant et de notoriété publique que ce mobilier est le fruit des générosités
et des bienfaits des habitants d’Aubière ; lorsqu’il s’agit de faire du
linge, les jeunes filles et femmes se sont réunies, le chanvre a été acheté aux
dépens du produit des quêtes et des générosités de toutes espèces, comme vin et
bled, et il en a été de même à l’égard des autres meubles.
Il résulte donc que
ce mobilier n’appartient point aux parties adverses et qu’il est, au contraire,
un dépôt sacré qu’il n’est pas permis d’expolier sans nuire essentiellement à
l’humanité.
En cet état il
n’est pas permis de penser qu’aucune des authorités constituées puisse
authoriser l’enlèvement de ce mobilier en faveur des Sœurs qui n’y ont
contribué pour rien et qui sont de simples dépositaires ou gouvernantes de
l’hospice d’Aubière.
Mais quoiqu’il soit
établi depuis 1710 et que depuis plusieurs personnes l’ayent successivement
administré, il n’est jamais venu en idée à celles qui ont jugé à propos de
cesser leur service du dit hospice, d’en enlever les meubles. S’il en était
ainsi cet hospice se trouverait expolié au caprice et volonté des personnes à
qui l’administration en serait confiée et les habitants d’Aubière se
trouveraient exposés à le meubler autant de fois qu’il se trouverait des
personnes plus jalouses de leurs intérêts personnels que de leur devoir à
remplir leur état. Ce qui a été pratiqué doit être continué.
Aujourd’huy
l’hospice d’Aubière est abandonné par les Sœurs. Il sera pourvu prochainement à
leur remplacement. Cela ne sera pas difficile, aussi point de regrets. Lorsqu’un
soldat abandonne son poste, il ne saurait être regretté ni récompensé.
Enfin les
réclamations des sœurs ne pourraient tout au plus avoir lieu que pour le
mobilier qu’elles établiraient avoir acheté des deniers provenant de leur
patrimoine, soit en linge ou autrement, et non pour le mobilier qui a pu être
fait dans la Maison même depuis qu’elles y sont, quand même ce serait par le
fruit de leur économie, et sur cet effet cette Maison était, en 1710, comme on
l’a déjà dit, garnie de mobilier. L’inventaire qui fut dressé à cette époque en
fait encore foi.
Ce mobilier a été
conservé ou plutôt renouvelé, depuis cette époque par les différentes Sœurs qui
se sont succédées et notamment par la Sœur Paul, décédée depuis environ dix
ans. C’est cependant ce même mobilier que les Sœurs actuelles ont trouvé à leur
entrée dans cette Maison, à la même époque de dix ans, dont elles voudraient
aujourd’huy s’emparer.
Mais elles sont
sans titres ni qualités pour retirer un mobilier qui ne leur a jamais
appartenu. Dans la supposition même qu’il fut le fruit des économies des Sœurs
qui les ont précédées, parce que ces économies dérivent et des revenus attachés
à cette Maison, et des générosités de plusieurs habitants et autres
propriétaires de la dite paroisse, c’est-à-dire que ces meubles et linges n’ont
jamais été aux différentes Sœurs qui se sont succédées, mais à la Maison de la
Charité, de sorte qu’il en doit être de même de celui que les réclamantes ont
pu faire depuis leur entrée aux dépens de leur économie, parce que le fruit de
cette économie appartient nécessairement aux pauvres et non à elles. Tous les
profits que peuvent faire les administrateurs, par leur économie et leurs
grandes attentions, appartiennent et tournent toujours au profit des
administrés et jamais envers les administrateurs.
Il en serait
autrement, comme on l’a déjà dit, si les Sœurs avaient fait quelque chose aux
dépens de leur patrimoine.
La Commune
d’Aubière a consulté Mr Tixier, homme de loi, sur la demande des Sœurs. Ce
jurisconsulte a décidé, sans hésiter et sans faire aucun doute, que les Sœurs
ne pouvaient exiger autre chose que les habits, chemises et autre linge à leur
usage personnel, et que tout le surplus du mobilier appartenait essentiellement
aux pauvres.
Messieurs les
Administrateurs du Département voudront bien prendre lecture du procès-verbal
cy-joint, dressé par les officiers municipaux contre les Sœurs, sous la date du
16 juin de l’année dernière.
Les
Sœurs quittèrent alors la Commune et on ignore ce qu’elles sont devenues.
Quant aux fossés du bourg, les Aubiérois
vont-ils les récupérer ? Réponse dans le 3ème volet…
Sources : Archives départementales du Puy-de-Dôme
© - Cercle généalogique et
historique d’Aubière (M-J. C.)
Vers Volet 1
Vers Volet 3
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