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mercredi 26 février 2014

Les Sœurs de la Charité d’Aubière_02



Installée à Aubière depuis 1711, les sœurs de la Charité de Nevers ont vendu les fossés du bourg d’Aubière, qu’on leur avait offert en 1726, aux Aubiérois à partir de 1736. La présence et l’œuvre des deux religieuses soignantes durant toutes ces années ont donné satisfaction à l’ensemble des Aubiérois. Mais la Révolution survient et la municipalité, avec à sa tête le notaire Girard, veut chasser les religieuses…
Les sœurs vont se défendre et iront jusqu’à faire intervenir l’Assemblée Constituante ! En vain.

Le Maire Amable Girard adopte les idées révolutionnaires, et, en 1791, commence à trouver les religieuses indésirables, puis les attaques contre elles se précisent. Elles ripostent au coup par coup et se défendent de leur mieux ; puis, lorsque, en 1792, elles sont obligées de quitter Aubière, elles tentent de discuter avec la municipalité pour obtenir le maximum. Il existe, aux Archives départementales du Puy-de-Dôme, toute une série de documents concernant ces évènements, mais je vais me contenter d’en donner les passages les plus anecdotiques et caractéristiques.


En avril 1791, les deux religieuses, Julie Sarraza, supérieure, et Rosalie Barry, trouvant leurs ressources insuffisantes, écrivent aux Administrateurs du département pour les supplier de les aider, sans solliciter la pitié publique. Le Directoire du District de Clermont répond qu’il est à souhaiter qu’elles soient conservées dans ce lieu, mais, en attendant les déterminations de l’Assemblée Nationale sur les secours de la Charité, il ne peut rien proposer.
Le 21 mai 1791, l’Assemblée Nationale publie un rapport sur le fait que les Religieuses de la Charité de Nevers s’étaient plaintes des mauvais traitements et des outrages dont elles étaient l’objet dans certains lieux où elles exerçaient leur mission, et avaient demandé la protection du roi. L’Assemblée Nationale demandait aux autorités de punir ces délits.
Le 16 juin 1791, la municipalité d’Aubière les accuse de tenir des propos anti-révolutionnaires. Le Maire se présente chez elles en leur reprochant les faits suivants : “La femme d’Antoine Planche (dit “le roy”) et fille d’Antoine Arnaud, avait été chez les Sœurs pour demander des secours pour la femme du dit Antoine Arnaud, et leur avait dit qu’elle avait été administrée par Vergne, curé actuel du dit lieu. La Sœur lui a répondu “C’est donc la femme à ton père à qui on a porté Dieu. J’ai entendu sonner la cloche et j’en ai été si effrayée, que si l’on m’eut donné un coup de lancette dans le cœur, l’on ne m’aurait pas fait saigner, et si cette pauvre femme a reçu Dieu du nouveau curé elle est damnée et il eut mieux valu lui donner un coup de maillet sur la tête et la jeter dans un fossé”.
Sœur Julie a nié avoir tenu ces propos et a ajouté qu’elle s’était proposée de partir. [Il est possible qu’elle n’ait pas prononcé exactement cette phrase, mais étant donné que le Pape avait condamné la Constitution Civile du Clergé, pour elle, les sacrements délivrés par un curé constitutionnel n’étaient pas valables]. Les officiers municipaux déclarèrent qu’ils acceptaient sa proposition et délibérèrent sur les sujets qui pourraient conserver à la dite Commune, pour l’éducation et le soulagement des pauvres et procédèrent immédiatement à l’inventaire de leur mobilier. Mais la Sœur Julie, est bien décidée à rester. Courant juin elle écrit à la municipalité, pour se plaindre qu’elles étaient insultées dans les rues lorsqu’elles sortaient, que l’on avait cassé leur porte, et réclamer la protection à laquelle a droit chaque citoyen. N’ayant aucune réponse, elle s’adresse au District du Directoire du Puy-de-Dôme qui ne réagit pas non plus.
Courant juillet, les Aubiérois présentent aux élus locaux une pétition demandant le maintien des religieuses à Aubière, comportant une quarantaine de signatures. Le curé constitutionnel Vergne, se sentant visé, écrit une lettre à ce propos dont le destinataire n’est pas précisé.

Lettre du curé Vergne

Ce 9 aoust l’an troisième de la Liberté

Monsieur,
On doit vous présenter une pétition revêtue de plusieurs signatures pour s’opposer au départ des Sœurs. Connaissant votre amour pour la paix, votre zèle pour le maintient de la Constitution et votre vigilance à éloigner tout ce qui peut en empêcher l’exécution, je me crois obligé de vous prévenir que cette pétition n’est que l’ouvrage et le vœux de quelques femmes factieuses et fanatiques, et quoiqu’elle soit revêtue des signatures de quelques citoyens, il est bon de vous en méfier parce que plusieurs peuvent avoir été contrefaites. Pour vous prouver que ce n’est que l’ouvrage de quelques femmes, ou peut-être celui des Sœurs même, c’est que la pétition a été portée pour être signée chez plusieurs citoyens qui l’ont rejetée, par une dame Noellet, qui est à la tête de la bande factieuse et calotinocratique.
L’on m’a dit qu’un Sieur Courtes, communaliste, l’a signée, mais ce n’est pas cette signature qui doit donner du poids en ce que c’est un homme que l’on fait mouvoir comme une machine, et qui, d’ailleurs, est dans le cas des réfractaires puisqu’il a refusé constamment d’acquitter les fondations et de célébrer les offices avec moi. Pour le nommé Montel, municipal, qu’on dit l’avoir signé, il mérite une petite correction puisqu’il a agi contre la délibération prise par la municipalité ; ce dont il a bien connaissance et qu’il a approuvé plusieurs fois.
Voilà les faits qui demandent que vous suspendiez votre jugement sur la légitimité de la pétition jusqu’à ce que vous ayez pris des renseignements.
Quant à ces braves filles de Dieu, je suis plus intéressé que personne à ce qu’elles ne partent pas ; mais je puis vous dire que le mal qu’elles font, ou qu’elles vont faire par leur conduite et par leurs discours, l’emporte infiniment au-dessus de toutes les maladies qu’elles peuvent avoir guéries pendant leur vie.
Elles ont porté la bêtise jusqu’à demander aux jeunes filles qu’elles enseignent quel étoit l’évêque qu’elles reconnaissoient et ont donné des marques d’improbation à celles qui disoient que c’étoit Mgr Perrier.
La municipalité a un procès-verbal des propos qu’elles ont tenu : elles ont scandalisé le peuple dans l’église par leur conduite aristocratique, elles ont tenu des assemblées, en un mot, le paysan qui se laisse conduire par les Sœurs ne sait encore à quoi s’en tenir en voyant ces braves filles si fortement attachées à l’ancien clergé.
D’après cela, Monsieur, quel que soit votre jugement pour leur sort, je m’y soumettrai volontiers, mais si elles restent dans l’endroit, sans vouloir se conformer à nous, et pour prêcher publiquement que je ne suis, ni ne peut être reconnu pour le curé et que je n’ai aucune juridiction dans la paroisse, comme l’ayant reçu d’un homme qui n’en voit pas lui-même, je vous préviens que je leur ferai sentir le poids de ma juridiction et que je les vexerai jusqu’à ce que je les aurai forcé à se retirer et à quitter une place qu’elles remplissent fort mal, puisque, comme vous le savez, elles ne visitent les malades que pour les envoyer à l’hôpital ou pour leur conseiller d’appeler un médecin ; vous avouerez, Monsieur, que c’est manger votre chandelle par les deux bouts ; enfin, Monsieur, nous sommes dans un temps où nous n’avons pas besoin de payer des gens pour nous nuire, nous avons d’ailleurs d’autres ennemis.
Quant à ce qu’elles doivent emporter, je crois qu’elles n’ont droit à autre chose qu’à leur trousseau qu’elles sont censées avoir porté en venant, car lorsqu’elles changeoient de maison elles n’emportoient rien que cela. D’ailleurs nous avons besoin de tout puisque nous sommes dans l’intention de les remplacer. Si toutefois elles ne veulent pas de moi parce que j’ai fait un serment que je me ferai gloire de maintenir et de renouveler toutes les fois que le Bien Public l’exigera, et c’est pour le prouver que je ne veux pas permettre ce schisme qui porte tous les jours des coups les plus funestes à notre Constitution.

Veuillez bien me croire, en attendant, Monsieur,
Votre serviteur et frère
Vergne, curé d’Aubière



L’année 1792 ne voit pas d’amélioration de leur situation. La Révolution est bien installée, le roi a, de nouveau, de moins en moins d’influence, et la royauté sera abolie au mois d’août.
Le 4 avril 1792, les Sœurs de la Charité de Nevers écrivent aux Administrateurs du District du Puy-de-Dôme, qu’étant sur le point de partir d’Aubière, elles ont fait prévenir les officiers municipaux pour leur remette les meubles et effets mobiliers qu’elles avaient reçu en 1710 et énoncés dans l’inventaire qui en a été fait ; mais les officiers municipaux réclament ceux qui ont été acquis depuis et les autorisent à emmener seulement les hardes à leur usage.
Le 23, les Administrateurs du District demandent à la municipalité d’accéder à leur demande, mais le 25, la réponse de la municipalité est cinglante et refuse absolument de leur laisser emmener des meubles.


Réponse des officiers municipaux d’Aubière
Au Mémoire des Sœurs Julie Sarraza et Rozalie Barry

Les Sœurs Sarraza et Barry ont formé demandes au Tribunal du District de Clermont contre la Commune d’Aubière, de tout le mobilier qui se trouve dans l’hospice dudit lieu, autre néanmoins, que celui qui était porté en un inventaire fait l’année 1710.
Le Tribunal du District a renvoyé cette demande au Département. Le Département, d’après l’avis du Directoire du District de cette ville de Clermont, a invité les officiers municipaux du dit lieu d’Aubière à remettre et faire remettre tout le mobilier réclamé par les Sœurs.
Les officiers municipaux d’Aubière, persuadés que l’Arrêté du Département avoit été rendu sur un faux exposé de la part des Sœurs, et convaincus de la témérité de leurs prétentions, ont cru devoir se refuser à l’invitation du Département et ne point délivrer le mobilier réclamé par les Sœurs jusqu’à ce qu’ils auroient été entendus.
Les Sœurs ont renouvelé leur même demande au Tribunal du Département contre la Commune d’Aubière. Le Tribunal a renvoyé pour la seconde fois les Sœurs à se pourvoir au Département pour l’exécution de son Arrêté.
Les Sœurs viennent de présenter de nouveau leur Mémoire au Département, à l’insu de la Commune d’Aubière qui n’a reçu aucune copie de la sentence du Tribunal du Département, rendue en dernier lieu et qui n’a pas non plus connaissance de ce dernier Mémoire.
Le Département, néanmoins, vient de nommer un Commissaire pris dans le District, à l’effet de faire faire la délivrance du mobilier réclamé par les Sœurs, autre que celui porté en l’inventaire de 1710, sans que la Commune ait été instruite de rien à cet égard, ce Mémoire ne lui ayant point été communiqué.
La Commune s’empresse donc de répondre aux prétentions des Sœurs, du temps qu’il est encore temps, et expose qu’étant chargées, par leur état, du soulagement des pauvres et de l’instruction de la jeunesse dans le lieu d’Aubière, les Sœurs jugent à propos d’abdiquer cet état de bienfaisance, sans d’autres motifs que ceux dérivant d’une coalition avec les Ennemis de la Chose Publique et pour faire cause commune avec eux.
Cette conduite ne peut qu’être réprouvée de la part de toutes les personnes qui aiment la Constitution, et plus particulièrement de la part des Corps Administratifs.
Cependant les Sœurs (Sarraza et Barry) viennent vous exhiber (?) leur perfidie et vous demandent une récompense qui ne tend à rien moins qu’à rendre leur remplacement difficile et à enlever aux pauvres du lieu d’Aubière les ressources de pourvoir, à l’avenir, à leur soulagement, ainsi que pour l’instruction de la jeunesse, pour augmenter leur perte.
Elles osent demander à être autorisées à expolier l’hospice d’Aubière et emporter la majeure partie des meubles.
Cette simple exposition suffirait sans doute pour rejeter une pétition aussi indécente que contraire aux droits de l’humanité, mais si l’on examine plus particulièrement cette prétention, l’on ne voit pas qu’elles puissent invoquer en leur faveur aucun droit, titres ni qualité pour s’approprier le mobilier qui est un patrimoine et une propriété des pauvres, destiné pour leur soulagement et pour l’instruction de la jeunesse, confié à la garde des personnes qui s’acquittent de ce devoir aussi utile que précieux pour la Société.
Vainement prétendraient-elles que ce mobilier a été augmenté considérablement, on leur répondra qu’il est un accroissement du patrimoine des pauvres, parce qu’il est constant et de notoriété publique que ce mobilier est le fruit des générosités et des bienfaits des habitants d’Aubière ; lorsqu’il s’agit de faire du linge, les jeunes filles et femmes se sont réunies, le chanvre a été acheté aux dépens du produit des quêtes et des générosités de toutes espèces, comme vin et bled, et il en a été de même à l’égard des autres meubles.
Il résulte donc que ce mobilier n’appartient point aux parties adverses et qu’il est, au contraire, un dépôt sacré qu’il n’est pas permis d’expolier sans nuire essentiellement à l’humanité.
En cet état il n’est pas permis de penser qu’aucune des authorités constituées puisse authoriser l’enlèvement de ce mobilier en faveur des Sœurs qui n’y ont contribué pour rien et qui sont de simples dépositaires ou gouvernantes de l’hospice d’Aubière.
Mais quoiqu’il soit établi depuis 1710 et que depuis plusieurs personnes l’ayent successivement administré, il n’est jamais venu en idée à celles qui ont jugé à propos de cesser leur service du dit hospice, d’en enlever les meubles. S’il en était ainsi cet hospice se trouverait expolié au caprice et volonté des personnes à qui l’administration en serait confiée et les habitants d’Aubière se trouveraient exposés à le meubler autant de fois qu’il se trouverait des personnes plus jalouses de leurs intérêts personnels que de leur devoir à remplir leur état. Ce qui a été pratiqué doit être continué.
Aujourd’huy l’hospice d’Aubière est abandonné par les Sœurs. Il sera pourvu prochainement à leur remplacement. Cela ne sera pas difficile, aussi point de regrets. Lorsqu’un soldat abandonne son poste, il ne saurait être regretté ni récompensé.
Enfin les réclamations des sœurs ne pourraient tout au plus avoir lieu que pour le mobilier qu’elles établiraient avoir acheté des deniers provenant de leur patrimoine, soit en linge ou autrement, et non pour le mobilier qui a pu être fait dans la Maison même depuis qu’elles y sont, quand même ce serait par le fruit de leur économie, et sur cet effet cette Maison était, en 1710, comme on l’a déjà dit, garnie de mobilier. L’inventaire qui fut dressé à cette époque en fait encore foi.
Ce mobilier a été conservé ou plutôt renouvelé, depuis cette époque par les différentes Sœurs qui se sont succédées et notamment par la Sœur Paul, décédée depuis environ dix ans. C’est cependant ce même mobilier que les Sœurs actuelles ont trouvé à leur entrée dans cette Maison, à la même époque de dix ans, dont elles voudraient aujourd’huy s’emparer.
Mais elles sont sans titres ni qualités pour retirer un mobilier qui ne leur a jamais appartenu. Dans la supposition même qu’il fut le fruit des économies des Sœurs qui les ont précédées, parce que ces économies dérivent et des revenus attachés à cette Maison, et des générosités de plusieurs habitants et autres propriétaires de la dite paroisse, c’est-à-dire que ces meubles et linges n’ont jamais été aux différentes Sœurs qui se sont succédées, mais à la Maison de la Charité, de sorte qu’il en doit être de même de celui que les réclamantes ont pu faire depuis leur entrée aux dépens de leur économie, parce que le fruit de cette économie appartient nécessairement aux pauvres et non à elles. Tous les profits que peuvent faire les administrateurs, par leur économie et leurs grandes attentions, appartiennent et tournent toujours au profit des administrés et jamais envers les administrateurs.
Il en serait autrement, comme on l’a déjà dit, si les Sœurs avaient fait quelque chose aux dépens de leur patrimoine.
La Commune d’Aubière a consulté Mr Tixier, homme de loi, sur la demande des Sœurs. Ce jurisconsulte a décidé, sans hésiter et sans faire aucun doute, que les Sœurs ne pouvaient exiger autre chose que les habits, chemises et autre linge à leur usage personnel, et que tout le surplus du mobilier appartenait essentiellement aux pauvres.
Messieurs les Administrateurs du Département voudront bien prendre lecture du procès-verbal cy-joint, dressé par les officiers municipaux contre les Sœurs, sous la date du 16 juin de l’année dernière.

Les Sœurs quittèrent alors la Commune et on ignore ce qu’elles sont devenues.

Quant aux fossés du bourg, les Aubiérois vont-ils les récupérer ? Réponse dans le 3ème volet…


Sources : Archives départementales du Puy-de-Dôme
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière  (M-J. C.)

Vers Volet 1

Vers Volet 3


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