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jeudi 25 octobre 2012

Des bienfaits du vin d’Auvergne au XIXème siècle



Complément à l'étude des vendanges à Beaumont et à Aubière

« Sur la viticulture et la vinification du département du Puy-de-Dôme. Rapport à son Excellence M. Rouher, ministre de l'agriculture du commerce et des travaux publics »
par le docteur Jules Guyot
In 8 broché de 88 p. A Paris à l'imprimerie Impériale, 1863

Extraits :

P. 4 : « Le vin est un aliment positif et sérieux ; il est indispensable au corps, à l'intelligence et au cœur de tout homme civilisé, de tout homme qui aspire à la vraie civilisation, c'est à dire à cette civilisation qui associe les hommes dans un esprit de service, de secours et d'affection mutuels, sans autre égoïsme, sans autre antagonisme que ceux de verser chacun, dans l'accroissement du trésor commun, le plus de force, le plus d'activité, le plus d'intelligence, le plus de dévouement, le plus d'abnégation possible de la personnalité.
Le vin, pour l'état physique du corps, remplace avantageusement la moitié du pain, c'est à dire qu'un homme adulte, ayant pour nourriture journalière deux livres de pain et deux bouteilles de vin, produira plus de travail effectif que le même homme se nourrissant avec quatre livres de pain et une bouteille de bière, ou avec deux bouteilles de bière et deux livres de pain.
Sous le rapport hygiénique, le vin, employé aux repas et comme boisson alimentaire, conjurera les fièvres endémiques, la pellagre, le crétinisme ; l'eau ni les autres boissons ne le conjureront pas. Ces résultats sont acquis et bien établis pour les fièvres, la pellagre, le crétinisme, parce que l'attention des médecins s'est portée sur les effets du vin à l'égard de ces maladies ; mais il est une foule d'autres maladies qui sont évitées ou guéries par l'usage alimentaire du vin.
Sous le rapport moral, intellectuel et spirituel, l'usage alimentaire du vin est l'inspirateur du cœur, de l'intelligence et de l'esprit ; l'histoire profane et l'histoire sacrée, l'histoire ancienne et moderne montrent cette vérité dans tout son éclat.
Celui qui boit le vin à ses repas est ouvert, franc et généreux ; celui qui boit de la bière est concentré, froid et personnel... »
Les vins rouges du département du Puy-de-Dôme (…) sont très alimentaires, très facile à digérer : ils fortifient le corps, lui impriment une activité remarquable ; ils ne troublent point le sommeil, ils n'exaltent point le cerveau, et pourtant ils donnent au cœur une grande énergie, et à l'esprit la franchise et la lucidité ».

P. 8 : « Les vins du Puy-de-Dôme sont d'une consommation très agréable, à laquelle on s'attache promptement ; ce n'est point à tort que Julien a dit que les vins de Chanturgue, le meilleurs cru des environs de Clermont, pouvait acquérir toutes les qualités (…). Je suis entièrement de son avis, non-seulement pour les vins de Chanturgue, mais pour ceux de la côte de Serre, de Dallet, de Mezel, de Saint-Bonnet, du Broc, de Châteaugay, de Saint-Maurice, de Monton, de Montjuzet, des Roches, de Buffevent, etc. Je ne suis pas moins fondé à déclarer que les vignes y sont cultivées avec une rare intelligence ».


P. 15 : « Plantation des vignes : Lorsque le sol est convenablement préparé,  la plantation de la vigne se fait le plus généralement par boutures, tantôt constituées par des sarments portant un peu de vieux bois à leur base, et alors les boutures prennent le nom de maillots, tantôt formées de simples sarments sans couronne inférieure ni vieux bois. Les vignerons ont grand soin de choisir  les boutures parmi les sarments qui ont porté fruit l'année précédente ».

P.42 : « Dans les grands vignobles du Puy-de-Dôme, on emploie, par hectare, au moins 20000 échalas de 2 m à 2 m, 35 de longueur, en saule, peuplier et sapin. Ces échalas coûtent de 30 à 50 francs le mille, en moyenne 40 francs ; ce qui constitue une avance de 800 francs et un entretien d'au moins 1/8, c'est à dire de 100 francs par an et par hectare. L'arrachage annuel des échalas et leur mise en meule, le renouvellement de leur pointe chaque année, leur mise en place à chaque printemps et leur assemblage par un lien d'osier à leur sommet, constituent des dépenses et un emploi du temps considérables ».

P. 49 : L'épamprage, le retroussage et le liage : l'épamprage comprend le pinçage (sur les bourgeons primitifs), l'ébourgeonnage ou émandronage (suppression des gourmands et bourgeons stériles) celui-ci précède le relevage des pampres et leur liage à l'échalas avec un lien de paille, le rognage (taille) et l'effeuillage (suppression des feuilles qui cachent le raisin).

P. 70 : Maladie des vignes : on ne parle que de l'oïdium, le phylloxéra n'étant pas encore apparu. On évoque aussi la brande.

P. 73-74 : « Vendanges et vinification : L'époque de la vendange dans le Puy-de-Dôme varie, suivant les années chaudes ou froides, de fin septembre à fin octobre. Le jour précis de ce grand acte, qui reste toujours une fête pour les populations vigneronnes de l'Auvergne, est encore aujourd'hui fixé par un ban dans chaque commune. Mais, dit M. Baudet-Lafarge, ce ban tend à perdre de ses rigueurs, et plus d'un maire rapporte son arrêté, si des temps contraires, une gelée intempestive, viennent jeter l'alarme parmi ses administrés. Dans les environs de Riom, selon M. Simonnet, les bans des vendanges ne fixaient pas seulement le jour de l'ouverture dans une commune, mais le jour de l'ouverture de cette vendange dans les divers quartiers du terroir ; en sorte que le propriétaire qui possédait une petite vigne dans chaque quartier ne pouvait faire sa vendange qu'à des intervalles de plusieurs jours, et compléter sa cuvée qu'en une ou deux semaines. Cette aggravation de la tradition féodale du ban de vendange, qui certainement n'avait pour objet, comme le ban lui-même, que de faciliter les opérations de prélèvements successifs des agents seigneuriaux, a été abandonné par les municipalités depuis peu de temps seulement. Je souhaite que la coutume des bans de vendange et des droits de grappillage disparaisse entièrement avec la vaine-pâture ».

P. 80-81 : « Tous ceux que j'ai goûté en cave ou sortant de cave, à Beaumont, à Aubière, à Buffevent, à Saint-Bonnet, à Mezel, à Riom, etc. étaient vraiment d'une excellente et très agréable consommation »

P. 82 :  « On fait aussi des vins de paille fort bons avec des grappes choisies et mises sur la paille en un lieu sec et chaud, par exemple dans les greniers, jusqu'en décembre et même jusqu'en mars et avril. M. Faye, maire de Beaumont, nous a fait goûter au concours un vin de paille offert à l'Empereur lors de son passage en Auvergne : ce vin était délicieux ; il avait été pressé seulement le 4 avril ».
« Les vins rouges d'Auvergne, comme je l'ai dit en commençant ce rapport, sont essentiellement digestifs, alimentaires et sains ; leur usage ne fatigue en aucune façon le système nerveux et ne troublent la tête que par un grand excès : ils sont hygiéniques au plus haut degré. Dans les marais d'Auvergne, me disait M. Talon, maire de Riom, il existait des maladies endémiques, des fièvres intermittentes, des goitres ; toutes ces affections ont disparu depuis que les habitants de ces contrées malsaines y boivent habituellement nos vins à leurs repas.
Ces vins entretiennent dans les populations une grande énergie physique et morale, une grande franchise de relations et une cordialité hospitalière évidente. J'ai pu  me convaincre directement de l'action des vins sur le moral et le physique des habitants du Puy-de-Dôme, non seulement par le bon accueil, par l'observation des actes et des conversations des propriétaires, mais encore par les paroles, les œuvres et les manifestations sympathiques des plus simples vignerons ; je citerai un seul fait à ce sujet.
M. Jaloustre et moi, après avoir parcouru les vignes de Beaumont en compagnie de M. Costes, grand propriétaire, de M. Vignol, adjoint, et de plusieurs bons vignerons, voulant arriver à Aubière, dont nous étions voisins, nous avons résisté aux instances hospitalières qui nous étaient faites, et nous sommes arrivés parfaitement inconnus dans cette dernière commune. C'était le dimanche 3 mai ; pressés de réparer nos forces par quelques aliments, nous avons pénétré dans l'unique salle de l'auberge du pays, où se trouvait sept ou huit tables ; autour étaient assis autant de groupes de vignerons déjeunant, selon leur coutume, avec leur propres vins, tirés de leur cave, et n'ayant pour tout vase à boire que chacun leur tasse d'argent. Les conversations étaient vives et gaies ; notre arrivée n'y dérangea rien. A quelques renseignements demandés par nous, il fut répondu avec obligeance, et chacun nous offrit bientôt de partager son vin avec nous ; nous en goûtâmes volontiers, et ces vins étaient droits, veloutés et fort agréables. Après notre légère restauration, les vignerons nous offrirent de nous accompagner aux vignes et de nous donner tous les renseignements que nous pourrions désirer, ce qui fut fait avec une cordialité parfaite, et je puis dire que jamais je n'ai suivi un cours pratique aussi net et aussi complet d'une viticulture locale.
Ce n'est qu'après notre excursion et notre enquête ainsi faite, sans que nous fussions connus ni recommandés, que nous sommes allés faire visite à M. Daumas, maire d'Aubière, auquel nous avons raconté notre aventure, qu'il trouva toute simple pour le pays qu'il administre.
La commune d'Aubière compte quatre mille habitants, tous vignerons ou de famille vigneronne ; leur énergie et leur puissance de travail est telle qu'ils occupent non seulement leur vignes, mais les deux tiers de celles de Clermont, et qu'ils prennent, en outre, pour les planter en vignes, des terres maigres et presque délaissées à plus de huit kilomètres de leur habitation. Ceux qui ne savent pas jusqu'où peut s'élever la somme de travail manuel de l'homme soutenu par l'usage d'un vin salutaire peuvent venir étudier cette question à Aubière et je puis dire dans tous les vignobles de Puy-de-Dôme : là ils comprendront que la plus puissante machine, la plus intelligente et la plus efficace en agriculture, c'est la machine humaine, convenablement alimentée et entraînée.
J'exprimais à M. Jaloustre mon étonnement et ma satisfaction de la conduite des vignerons d'Aubière envers deux étrangers, envers deux inconnus, et M. Jaloustre me répondit : Vous n'auriez rien vu de pareil si, au lieu de boire du vin, ces hommes buvaient de la bière ».

La vigne joue un des rôles les plus importants dans l'agriculture du Puy-de-Dôme.
Sur les 795.000 hectares qui constituent sa superficie totale, la statistique de 1852 en accuse 28.000 en vignes ; mais depuis cette époque une grande activité s'est portée sur cette culture, qui paraît s'être étendue d'un quatorzième au moins, et d'après l'opinion exprimée par des hommes compétents, à Clermont, Riom et Issoire, on reste au-dessous de la vérité en portant son étendue à 30.000 hectares.
Sur ces 30.000 hectares, beaucoup ont une valeur vénale de 25.000 francs ; très peu descendraient à un prix de vente inférieur à 5000 francs. La moyenne valeur d'un hectare de vigne, dans les trois arrondissements de Clermont, Riom et Issoire, est bien de 15000 francs. Le capital représenté par la vigne dans le Puy-de-Dôme serait donc aujourd'hui de 450 millions.
La moyenne production est de 45 hectolitres à l'hectare au moins, et le prix moyen des six dernières années est supérieur à 25 francs l'hectolitre. Le produit brut de chaque hectare de vigne serait donc de 1125 francs, et la production brute totale du département de plus de 33 millions de francs.
La dépense de culture, d'entretien et de vendange pour chaque hectare varie de 250 à 300 francs, ce qui donne, pour les 30.000 hectares, 8 millions de frais et 24 millions de revenu net, ou 5 ½ p.% du capital. Mais, pour les propriétaires laborieux et intelligents, le produit est bien plus élevé ; car le rendement des vignes de Beaumont, d'Aubière et de plusieurs autres vignobles est de vingt pots à l'œuvrée de 4 ares, ou de 75 hectolitres à l'hectare : voilà ce qui explique l'enthousiasme des travailleurs pour la vigne, car ils en tirent un parti bien au-dessus de la moyenne.

P. 86 : « Il n'est d'ailleurs aucune culture qui, même dans les plaines si fertiles de la Limagne, puisse donner un produit brut s'élevant à la moitié de celui de la vigne. Si l'on prend dans leur ensemble les 414.000 hectares de cultures de ferme, comprenant les cultures fruitières, potagères, prairies artificielles, chanvres et lins, racines, etc. et qu'on ajoute un quart en sus à la valeur de leurs produits depuis  1852, ce qui est exagéré, on trouve que le rendement brut moyen par hectare est de 192 francs. Les prairies naturelles considérées à part n'atteignent pas 200 francs de rendement par hectare ; enfin l'analyse la plus détaillée n'indique ni les racines, ni dans les plantes oléagineuses, ni dans les plantes textiles, ni dans les fruits, aucun produit qui s'approche de la moitié de celui de la vigne.
Quelques vignes sont données à ferme, un peu plus sont exploitées à mi-fruits, mais la plus grande partie des vignes est exploitée directement par les propriétaires : les unes par des ouvriers à la journée ou à prix fait ; les autres par les mains des propriétaires eux-mêmes, avec ou sans aide à la journée.
J'ai engagé et j'engage les propriétaires qui font cultiver à prix fait, par des pères de famille fixés dans le pays surtout, à leur accorder, sans autre engagement que la parole du maître et sans autre droit pour le vigneron que le contentement de celui qui l'emploie, un prix par hectolitre de vin récolté, 1 fr. 50 cent. Par hectolitre par exemple, ou bien un dixième de la récolte ; le propriétaire acquerra par cette prime tout l'intérêt et tous les soins de son ouvrier ; il l'attachera à la culture par l'émotion du drame rural : il le fera participer à ses joies dans les grandes récoltes, à ses chagrins dans les mauvaises ; en un mot il établira une sympathie, un lien solide et durable entre la propriété et le travail des champs.
Déjà plusieurs propriétaires ont suivi cette voie, et chacun d'eux que je connais m'a déclaré qu'il tirait de ce bienfait une grande satisfaction et un grand profit.

Ce qui m'a le plus frappé dans le Puy-de-Dôme et dans observations du concours de Clermont, c'est que ce département marche plus et mieux sur ses propres inspirations et par sa propre tradition, que sur les errements nouveaux et étrangers dans lesquels on a voulu le faire avancer ; il a gardé ses assolements, ses cultures à bras, ses animaux, ses instruments, sa confiance dans la petite propriété et dans les ressources que son énergique et intelligente population sait en tirer ; il ne se refuse à adopter aucun progrès réel, aucune amélioration évidente . C'est ainsi que M. Baudet-Lafarge a vu accueillir ses découvertes, ses essais et ses conseils pour les marnages ; c'est ainsi que le paysan adopte les meilleures limites dans le morcellement, dont il sait tout le prix relativement au travail humain, et tout le danger seulement à un émiettement extrême ; c'est ainsi que le colonage, ou les cultures sous l'œil et avec le concours des capitaux du propriétaire, commence à s'étendre, et c'est sur ce principe que le marquis de Pierre a établi toute une colonie, qui produit beaucoup là où la terre ne produisait presque rien, et fait vivre un grand nombre de colons là où était le désert absolu.

Je ne terminerai point ce rapport, Monsieur le Ministre, sans signaler à votre Excellence, en preuve de l'esprit et de l'originalité progressive de l'agriculture du département que je viens de visiter, deux excellents ouvrages d'agriculture : l'un, de M. Jaloustre, professeur d'agriculture à l'École normale de Clermont, chef de division à la préfecture, intitulé : Cours d'agriculture pratique, d'horticulture et d'arboriculture ; l'autre, intitulé : Agriculture du département du Puy-de-Dôme, par la Société centrale d'agriculture de ce département, sous la direction de M. Baudet-Lafarge, son secrétaire général. La vigne et la vinification y sont traitées de main de maître, et j'avoue humblement qu'ils disent plus et mieux que moi, dans beaucoup moins de mots, tout ce que j'ai voulu dire d'utile et de bon dans ce compte rendu, trop long, d'une trop courte visite dans le département du Puy-de-Dôme.
         J'ai l'honneur d'être, avec respect,
                   Monsieur le ministre,
                            De Votre Excellence,
                                      Le très-humble et très obéissant serviteur,
                                                        Dr Jules Guyot


Texte transmis par Jacques Pageix


2 commentaires:

  1. Quelques remarques sur le "Rapport Guyot":
    -P.42: la signification des "baues", terme utilisé par Joseph Pageix dans son ouvrage sur Beaumont, se trouve ici explicité: il s'agissait bien de déterrer les échalas à l'approche de l'hiver et de les mettre en meule pour passer l'hiver.
    P.82: Chez mes grands parents et arrières grands parents, à Beaumont, on faisait du vin de paille. J'en ai goûté enfant et c'était une bénédiction pour le palais...
    De cette visite de l'Empereur: mon arrière grand mère a laissé une longue lettre où elle raconte cette visite. J'ai aussi une illustration qui représente la scène du passage de N III sous l'arc de triomphe dressé pour la circonstance. Il est en calèche avec le duc de Morny et Rouher, et boit dans le tassou en argent qui lui est offert par la municipalité.
    M. Jaloustre: s'agit-il d' Elie Jaloustre, également historien, et auteur notamment d' un ouvrage sur Gerzat? Ce Jaloustre-là était un cousin germain de mon arrière grand mère de Gerzat?
    Jacques Pageix

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  2. Oui, Jacques, je pense qu'il s'agit de l'historien Elie Jaloustre.

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