Comme partout et comme souvent, l’eau est à la une des
préoccupations des hommes, hier comme aujourd’hui. À Aubière, comme nous l'avons vu pour l’eau potable, il en va de même pour l’irrigation des cultures
et des jardins. Le problème se complique quand six moulins se succèdent, en
moins de deux kilomètres, sur l’Artière ou ses biefs. Les difficultés se
multiplient tous les étés et, en particulier, en période de sècheresse. Circuit
au cœur des terroirs aubiérois.
Notre zone d’investigations (sur une
période allant de la fin du xvième
au milieu du xixème
siècle) s’étend dans les limites suivantes : à l’ouest, la rue de Pourliat
et la rue Henri-Barbusse ; à l’est, l’avenue de la Margeride et l’avenue
du Roussillon ; au nord, l’avenue du Mont-Mouchet, la rue Champvoisin, la
rue des Foisses et l’avenue Roger-Maerte ; enfin au sud, l’avenue
Nestor-Perret, la rue de Romagnat, la rue du Chambon et l’avenue Jean-Moulin.
Cette zone plane, d’abord marécageuse, a
peu à peu été comblée durant les derniers millénaires par les alluvions
drainées par l’Artière et par l’érosion de ses deux bordures au nord et au sud.
Elle a été sujette, régulièrement, à des inondations importantes et
meurtrières, qui semblent, aujourd’hui, avoir disparues, grâce aux efforts de
canalisation de l’Artière et à la réalisation de bassins d’orage en amont
d’Aubière.
Si, jusqu’au xviiième siècle, les droits d’eau se réglaient,
nous l’avons vu, entre le corps commun des habitants et le seigneur,
l’augmentation de la population et la parcellisation du territoire avec
l’émergence de nouveaux propriétaires, qu’ils soient locaux ou forains, vont
générer de nouvelles règles.
De Pourliat à la Garenne
Ces terroirs, traversés par le lit sinueux
de l’Artière, n’ont guère fait parler d’eux. Avant le xixème siècle, on y trouve essentiellement des
pâturages, des vergers et quelques terres à céréales. De rares vignes
s’enhardissent près du carrefour de la Pierre
piquée, en limite de la paroisse de Romagnat. Ces territoires sont en effet
moins gourmands d’eau que les jardins à
ortailles [1]
ou les chènevières [2]
que l’on trouvera en aval. Cependant, dans le haut de Pourliat, une rase d’irrigation s’échappe de la rive droite de
l’Artière, au-delà de sa première courbe, dès son entrée sur la commune
d’Aubière. Cette rase se démultiplie alors au gré des parcelles et des besoins.
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Pourliat et le moulin Dermain sur le cadastre de 1831 (Archives départementales du Puy-de-Dôme) |
Un peu plus loin, dans la courbe la plus
prononcée du ruisseau, se dresse le premier moulin d’Aubière : le Moulin Dermain. Son béal prend trois
courbes en amont, toujours rive droite, suit le ruisseau, actionne la roue du
moulin et se déverse dans l’Artière, enfermant ainsi le moulin dans la courbe.
En amont du moulin, une rase d’irrigation
puise l’eau du béal pour arroser les parcelles à l’ouest.
Au sud de Pourliat, la Gazelle, descendant
de Romagnat, arrose chichement les prairies. Ce ruisselet, si étroit qu’un
enfant le sauterait à pieds joints, se prélasse jusqu’à venir se jeter dans le
cours de l’Artière peu avant le pont de Beneilh [3],
au terroir du Pré Rougier,
où quelques chènevières apparaissent.
Le pont de Beneilh |
Les Ramacles, entre deux moulins
Après le passage du pont de Beneilh et peu
avant d’arriver aux Ramacles, nos aïeux bâtirent un barrage, encore visible
aujourd’hui. Celui-ci allait permettre le départ
d’un béal, rive gauche.
Ce béal actionnait d'abord un moulin,
dit Moulin de la Fontaine, situé
entre l’Artière et les fossés (entre [k] et [m] sur le plan de 1831 - Voir le Plan annoté d’Aubière ICI - Les lettres et les chiffres entre crochets [-] indiquent des emplacements sur le Plan d'Aubière annoté).
Il alimentait, à l’origine, les fossés
du bourg au niveau du quartier du Verger. Plus tard, du même coup, il apportait l'eau au lavoir dit de "la Garenne", le long des remparts, entre les rues Vercingétorix et Magenta, aujourd'hui. Sous l'Ancien Régime, le seigneur y avait une buanderie et un four banal.
Le tracé du béal longeant les Ramacles à
l’aspect nord (que l’on voit sur ce plan, et que nous appellerons béal des Ramacles), n’apparaît qu’après
le comblement des fossés et l’apparition des premières maisons adossées aux
remparts.
Le
quartier de la Fontaine. Il doit son nom à la fontaine, dite des Ramacles, située autrefois au point [o] du plan de
1831. Ce quartier occupait jadis l’emplacement du square Knox, limité au
nord par les fossés du bourg, et la Garenne,
à l’ouest. Il débordait plus ou moins sur la rive droite de l’Artière, selon
les appréciations fluctuantes de nos ancêtres, entre le terroir du Pré de l’Aire au sud-ouest, et le
terroir du Thieu à l’est.
Les berges de l’Artière, depuis le pont de
Beneilh [p] et jusqu’au pont des Ramacles [d], étaient plantées d’oseraies.
Au-delà, rive droite, des prairies, de nombreux jardins, des chènevières et
quelques constructions occupaient les territoires jusqu’à la voie commune, la
route de Romagnat [4].
Sur l’Artière, rive gauche, peu avant le
pont des Ramacles, une dérivation prenait la direction du quartier du Moulin
(autour du Moulin Chabozy Lafayette
ou moulin d’en-haut, qui était le
moulin du seigneur [4]. Ce moulin enjambe le bief). Cette méaude [5]
amenait l’eau au moulin avant de se déverser dans un bief qui partait des
fossés pour l’irrigation des jardins, à l’est, en contrebas du moulin [6],
à une époque où les constructions étaient beaucoup moins nombreuses que nous le
montre le plan de 1831. Cette méaude sera désactivée lorsque les fossés seront
comblés ; la roue du moulin sera alors actionnée par le béal des Ramacles,
rejoignant celui qui partait des fossés du bourg antérieurement.
Un règlement de
prise d’eau en 1750
« Fut présent Guillaume Degironde, fils de défunt Michel, vigneron
habitant du lieu d’Aubière, lequel, de gré, a vandu, ceddé, quitté, remis et
transporté, et par les présentes, vend pour toujours avec promesse de garantie
à Antoine Turgon, aussy vigneron, habitant du lieu d’Aubière, cy présent et
acceptant pour luy et les siens, à sçavoir la prize d’eau pour arroser une
vigerie qui est au-dessous de celle du vandeur, située hors les murs dudit lieu
d’Aubière et au quartier et terroir de La Trolias, ladite vigerie dudit
acquéreur joignant celle dudit vandeur et celle de Jean Delonchambon de midy,
la vigerie de Sébastien Bourché de jour et la grange de François Noilé de nuit.
La
prize d’eau à prendre depuis la rue qui est de côté de bise et entre la vigerie
de Jean Moins et celle dudit vandeur du côté de midy, où est placé le béal pour
l’arrosement desdites vigeries, lequel sera de la largeur de deux pieds pour
faciliter d’aller et venir pour la conduite de ladite eau.
La
présente vante faite et accordée entre les parties moyennant le prix et somme
de dix livres.
Fait
et passé à Aubière en l’étude du notaire, le trente et un mars mil sept cent
cinquante, en présence de Martin Lafont et de Pierre Noellet le jeune. »
Signé : Girard, notaire royal. [7]
© - Cercle généalogique et historique d’Aubière
(Pierre Bourcheix)
Crédit photo : Pierre Bourcheix
[1] - Jardin à
ortailles : jardin potager.
[2] - Chènevière :
terre à chanvre.
[3] - Ce sont dans ces
parages, traversés aujourd’hui par la rue des Mésanges, que nos ancêtres
vignerons ont transformé vers 1895 leurs jardins en pépinières à maillots.
C’est dans l’un d’eux, que prendra racines le fameux cépage hybride
« l’Incomparable », au moment où le phylloxéra détruisait notre
vignoble (voir le Cahier n°2 du Cercle généalogique et historique
d’Aubière : Aubière et le vin,
1997).
[4] - Le terrier de
Thiolier mentionne au xviième
siècle, les propriétés de noble Géraud de Crespat, seigneur de Ludesse, marié
en 1667 à Suzanne Pellissier, reçues de son père Jean : Au quartier de la Fontaine, sine du Thuel,
un ort à chanvre, des jardins et vergers, une maison, une estable, une grange
et une basse-cour, le tout confiné en parties par la grange d’Antoine Mallet,
la grange de messire François Nouellet, curé, la nugerade [verger planté de
noyers] des hoirs de Pierre Thévenon, la
cave d’Antoine et Guilhe Finayre, les jardins de maître Guerrier, et de Michel
et Etienne Desroche, la grange et le jardin d’Antoine Chabry (cartes 6,
6 bis et 6 ter du second cahier du terrier. Le Terrier de Thiolier a
été établi au xviiième
siècle, mais reprend les données des terriers précédents des xvième et xviième siècles).
[5] - Méaude ou
méode : Amenée d’eau d’un moulin, signalée dans le 8ème cahier
du Terrier Thiolier.
[6] - Entre les fossés,
à l’ouest de la rue Nationale [8], jusqu’à la rue des Planches à l’est [9], et
l’Artière au sud.
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