Le sacre de Napoléon 1er et le rétablissement
du culte catholique n’ont pas fait que des heureux à Aubière. Aux républicains
déçus s’ajoutent les déserteurs, de plus en plus nombreux sous le 1er
Empire, pour manifester leur mécontentement. A Aubière, semble-t-il, on a
l’habitude d’être, sinon bienveillants, au moins indifférents avec les fauteurs
de troubles, tant qu’il n’y a pas mort d’homme. S’en plaindre à la Préfecture
impliquerait la venue de la force publique et de ses montures qu’il faudrait
loger et nourrir.
Mais le Préfet, averti, n’est pas de cet avis, et, en son
absence, charge son conseiller de préfecture de régler le problème promptement
et fermement ! Et celui-ci n’y va pas de main morte, le bougre ! Le
maire Girard et son conseil sont enfoncés plus bas que terre et sommés de
dénoncer malveillants, déserteurs et criminels qui hantent leur bonne
(mauvaise) ville d’Aubière. Et sans délai.
(Archives communales d'Aubière) |
Clermont-Ferrand 8
Nivôse an 13 (samedi 29 décembre 1804)
Le conseiller de
préfecture au maire d’Aubière,
Depuis long-tems,
Monsieur, la commune que vous administrez est le théâtre de scènes
scandaleuses.
Quelques hommes aussi
factieux qu’immoraux ne cessent d’y provoquer et d’y commettre des délits
contre le respect du culte de la Nation, culte que notre auguste Empereur a
restauré pour le bonheur de la grande majorité du Peuple français.
Le Ministre de la
religion a été plusieurs fois insulté jusques dans le sanctuaire et interrompu
avec audace dans l’exercice de ses fonctions. Pourquoi, Monsieur, ne
m’avez-vous pas instruit de ces délits ? Pourquoi votre adjoint ne les
a-t-il pas constatés et n’a-t-il pas provoqué leur répression ? Si des
faits aussi publics ne sont pas révélés à la justice, on doit conclure que le
silence des témoins est une preuve de complicité, et que la population
presqu’entière y a participé.
On n’a pas répandu
avec des intentions moins perfides le rétablissement prochain des dîmes et des
droits féodaux. Les auteurs de ces fausses nouvelles ont cherché à allarmer les
citoyens et à enlever au gouvernement le respect et la confiance qui lui sont dus.
Il faut que des malveillants aussi criminels soient connus et punis.
Enfin, il y a peu de
jours que les nommés Martin Pignol dit Belle-oreille et Guillaume Bussière fils
à Jean ont été maltraités sur la place publique par les nommés Antoine Bertine
déserteur, et Lamonne, mauvais sujet, déjà condamné par le tribunal de police
correctionnelle. Ce délit, grave sous plus d’un rapport, a été commis au milieu
d’un attroupement de deux ou trois cent personnes.
J’ai dénoncé les deux
coupables au magistrat de sûreté, et je poursuivrai leur punition avec rigueur.
Ainsi dans votre
commune, insulte publique et journalière au culte catholique, propos outrageant
pour le gouvernement, excès commis sur deux citoyens, protection aux
déserteurs, puisque l’un des coupables est chef des troubles ; violation
des propriétés des magistrats, et l’on pourrait penser que je ne déploierai pas
toute la rigueur des lois contre une commune dès long-tems (1) déshonorée par le crime et le pillage des
propriétés !!!
Pour procéder avec ordre,
pour pouvoir distinguer les innocents des coupables ; pour découvrir le
mal jusques dans sa racine, le Maire, l’adjoint et les membres du conseil
municipal seront tenus de répondre par écrit et sans désemparer aux questions
suivantes :
1° A quelles époques
et combien de fois M. le succursalier (2) a-t-il été insulté et interrompu dans l’exercice de son
ministère ?
2° Quels sont les
auteurs de ces délits ; quelles sont les personnes qui en ont
connaissance ?
3° Depuis quelle
époque a-t-on répandu le bruit du rétablissement des dîmes et des droits
féodaux ?
4° Quels sont les
auteurs de ces bruits ?
5° Combien y a-t-il de
déserteurs dans la commune ?
6° Où
logent-ils ?
7° Où loge
Bertine ?
8° Quelles sont les
personnes qui ont vu ce déserteur et Lamonne maltraiter Pignol et
Bussière ?
9° Combien convient-il
d’envoyer de militaires en subsistance dans la commune jusqu’au rétablissement
de l’ordre ?
10° Pendant combien de
tems 50 chevaux pourraient-ils y être nourris ?
11° Quels sont les
individus qui, par leur immoralité et leurs excès, sont dangereux pour la
tranquilité publique ?
12°Quels sont les
moyens d’existence de ces individus ?
13° Ont-ils déjà été
condamnés pour quelques délits ?
Les réponses à ces
questions seront apportées lundi prochain à la Préfecture par le Maire,
l’adjoint et cinq membres au moins du conseil municipal. (3)
Je suis fâché,
Monsieur, d’être obligé de sévir contre votre commune, mais le châtiment sévère
qui lui sera infligé contiendra celle qui voudrait l’imiter dans ses écarts, ses
excès et ses crimes.
Je vous salue.
Signé : Labarte.
Notes :
(1) – Dès long-tems : lire depuis longtemps.
(2) – Succursalier : depuis le culte révolutionnaire de
l’Être Suprême, les paroisses et églises étaient appelées succursales et leurs
servants, succursaliers.
(3) – Les édiles seront donc obligés de passer une partie du
dimanche, seul jour de repos hebdomadaire, à plancher sur ce questionnaire
inquisiteur !
Suivez l'histoire et la généalogie d'Aubière sur : http://www.chroniquesaubieroises.fr/
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