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mardi 14 janvier 2014

1914-1918 : Des Américains à Aubière_03



2014, année du centenaire de la Grande Guerre 1914-1918.
Les soldats américains du 55ème régiment d’artillerie viennent s’entrainer en Auvergne. Un bataillon et l’état-major ont séjourné à Aubière entre avril et août 1918 !
Le récit de ce séjour par l’aumônier du régiment, le lieutenant Frederick Morse Cutler, est croustillant. Il nous montre l’autre facette de cet évènement qui a tant marqué nos ancêtres durant les derniers mois de la guerre 14-18. C’est aussi la rencontre de deux mondes, l’un qui n’est pas encore sorti du 19ème siècle, et l’autre qui s’est déjà lancé à grande vitesse dans la modernité du 20ème siècle.
C’est ce contraste saisissant que va nous révéler la traduction de Marie-José Chapeau que vous lirez, nous en sommes sûrs, avec un grand intérêt. Nous vous la présentons en plusieurs épisodes.

Épisode 3 : Erreurs de langage

Les hommes étaient encouragés à fréquenter les églises du village (catholiques) et bientôt, il en vint un grand nombre, catholiques ou protestants. C’est ainsi que les édifices furent remplis jusqu’aux portes et les chœurs de l’église furent renforcés par les voix mâles des Américains. Le curé d’Aubière, un vieux au cœur plein de bonté, le Père Lavigne, insista pour que les officiers, comprenant l’aumônier protestant, soient assis dans le chœur et faisait d’héroïques efforts pour donner ses notes en anglais. Les Américains étaient alors capables d’apprécier combien leur arrivée en France pouvait être bien ressentie par les natifs. Les offices du régiment se tenaient à des heures où il n’y avait pas de conflit entre les églises. Le Colonel Servier donna l’usage d’un camion Nash - Quad pour convoyer des musiciens d’une ville à l’autre - le dimanche, selon les services. Quel que soit l’endroit, une partie d’église était toujours disponible pour les autres soldats. Encore et encore l’aumônier fournit un moyen de transport pour l’équipe de boule qui était dans un sens ses adversaires et plusieurs fois avec la permission du colonel Dusen-Bury, il désobéit à la loi en transportant des civils et il obligea le très vieux Comte français de Cébazat, en emmenant ses visiteurs choisis de Cébazat au point le plus proche du tramway. L’église sous la tente était sujette à des interruptions. Comme les enfants français en sabots de bois faisaient du bruit sur les pavés de la rue proche, alors que de temps à autre les ânes français, amicalement, exprimaient leur intérêt quand ils passaient en laissant sortir le bruit distinctif de ces bêtes avec un volume assourdissant. L’aumônier se demandait, dans ces circonstances ce qui serait arrivé dans la vieille Jérusalem, le dimanche des Rameaux si la monture, un ânon, avait eue cette voix, certainement les chants d’enfants auraient dus s’interrompre car la compétition vocale aurait été impossible.

1918 à Aubière : sortie de messe.
A gauche, sous la croix, la chorale des soldats américains.

Au début le régiment emprunta un timbre censeur de voisins choisis, bien disposés, mais le 22 avril, le timbre A 829 fut reçu et son arrivée les rendit indépendants.
Beaucoup de Russes internés, vestiges des divisions russes qui étaient venues, au début de la guerre, aider les Français et qui étaient restés en rade quand la Russie se retira de la lutte, étaient employés dans des fermes à Aubière. Ils portaient leur attention pour les hommes, mais manifestement n’avaient aucun intérêt pour les évènements courants, jusqu’à ce qu’une série de victoires commença à s’annoncer en juillet et leur fit espérer que même les Russes pouvaient gagner quelque crédit de tous leurs sacrifices précédents. Les stupides prisonniers allemands, au travail dans les champs (prisonniers sans mauvaise volonté pour la plupart, mais plutôt paresseux) espéraient rappeler aux Américains que la guerre continuait, alors que la foule des soldats italiens et des  femmes françaises qui travaillaient dans la grande usine de caoutchouc Michelin, confectionnant des aéroplanes, et qui dormaient dans le village voisin, empêchaient de l’oublier. Les Françaises, plus particulièrement, avec leur apparence personnelle, montraient un splendide patriotisme en laissant leurs cheveux et leur figure devenir d’un jaune hideux dû aux fumées d’acide picrique, pour l’amour de leur pays.
Les plus pathétiques de tous les autres étaient les réfugiés à la figure triste du Nord de la France, qui comme les troupes, avaient des billets de logement pour leurs habitations, et parmi eux il y avait beaucoup de petits enfants. Alors que les mères cousaient et faisaient les uniformes, les enfants attendaient l’école et jouaient dans la rue, n’appréciant pas ce que signifie être sans maison et orphelin, tous excepté un petit qui était boiteux pour la vie, estropié par un coup de couteau donné par méchanceté par un brutal soldat hun. Le lieutenant Herbert demanda de l’argent aux officiers pour adopter cet orphelin français. Plus tard, le bataillon B en adopta 2 autres.
Sous l’ordre du département de la guerre, en date du 2 janvier 1918, le système métrique a été adopté pour notre armée, mais les poids et mesures suivant le système métrique se trouva être quelquefois une pierre d’achoppement pour le 55ème. Le litre était si proche du quart américain qu’il fut rapidement pris comme substitut, mais le kilomètre et le kilogramme furent plus durs à comprendre. Si en conduisant un camion de Clermont à la côte en bord de mer et revenir on pouvait visualiser un kilomètre, et encore seulement en terme de poussière et de boue, de bosses et de pannes, mais le kilogramme était en permanence trompeur. Un major, dans son examen scolaire fut attrapé lui-même purement à temps pour empêcher qu’on dise que certain canon avait une longueur de 16.000 km, plus que 1/3 de la longueur de l’équateur, et un officier médical-enseigne annonçait gravement un jour qu’il avait découvert que selon les échelles françaises son poids était de… 74 km.
Les membres du 55ème progressaient rapidement en français. Tous apprirent à dire et comprendre « beaucoup et tout de suite », et ceux-ci étaient les termes les plus employés avec force quand ils commerçaient avec les voisins alliés, « beaucoup » indiquait comment ils désiraient être servis à table, et l’autre expression exprimait leur désir d’être servi plus rapidement par un paysan bougeant lentement. Ils apprenaient à conduire les chevaux et les ânes avec « allez » et « hue ». Ils n’apprirent jamais le mot « ho », car il se trouvait que les bêtes de somme françaises étaient toujours prêtes à s’arrêter sans ordre.
Des fautes étaient commises de temps en temps quand un homme avait l’intention de demander un repas à l’hôtel : il était cérémonieusement amené à la chambre à coucher quand il avait dit : « je désire coucher », alors qu’il voulait dire manger. On n’avait jamais noté qu’un soldat américain eut la plus légère difficulté quand il persuadait une demoiselle d’accepter son invitation, pour « une promenade ce soir ». En fait, le régiment apprit tout le français dont il avait besoin pour maintenir une vie et une liberté et pour la poursuite du bonheur. Nos hommes du Canada se révélèrent précieux comme interprètes durant nos premiers jours en France.
La connaissance de l’anglais était si inhabituelle parmi le peuple français que l’on ne pouvait pas s’attendre à en trouver. Un major et un capitaine entrèrent dans une boutique pour acheter de la dentelle pour des personnes de leur entourage. Le major se tourna vers le capitaine qui pouvait le moins servir d’interprète pour cette occasion et dit : « demandez-lui si elle a de la dentelle à vendre »
« Madame avez-vous de la dentelle à vendre ?»
« Yes, oui monsieur, en voici ».
Ceci était en anglais par la propriétaire. Le major reprit encore : « demandez lui combien coûte cette dentelle ».
« Madame quel est le prix de cette espèce ?
« C’est 50 francs le mètre ».
Et ainsi ils restèrent plusieurs minutes. Les Américains ne comprenant pas que ces répliques n’avaient pas besoin d’être traduites, ni pourquoi le capitaine était malade de rire et qu’il riait du cirque, tant que l’on ne leur eut pas expliqué immédiatement.
L’équipement et l’entrainement des troupes furent rapidement menés, sauf lorsqu’il y avait des retards dus à un manque temporaire de matériel. Des casquettes d’outremer furent fournies. Elles étaient inconfortables à porter, les oreilles brûlaient et pelaient sous le soleil alors que la première averse nous amenait à apprécier le sobriquet populaire de ce nouveau couvre-chef, « pluie dans la figure ». Des guêtres furent alors données aux hommes, en plus de leur garde-robe, ce qui était à la fois confortable et adapté, néanmoins les « spirals » avaient l’habit convenable au moment inopportun. Plus tard vinrent les casques d’acier, les masques à gaz en caoutchouc. Les casques étaient lourds, mais avaient une utilité évidente, spécialement par temps pluvieux, alors que les masques  étaient d’une nuisance certaine. L’intrépidité militaire se heurtant à la tranquillité idyllique du pays, dans la vie des quartiers d’entrainement avant l’arrivée des canons, les hommes effectuaient de longs crochets dans les routes du pays, marchant toujours en colonne par deux pour ne pas gêner le trafic, et quelques fois ils grimpaient les pentes des montagnes. Les collines autour de Clermont avaient des relents d’Histoire. Quand une batterie, avait grimpé aussi haut qu’elle le pouvait, sur la côte abrupte de Gergovie, on était forcé de s’arrêter pour respirer, et on comprenait pourquoi Jules César y avait renoncé en 52 avant J.C. et avait permis à Vercingétorix de proclamer la première et la seule victoire gagnée par les Gaulois pendant 8 années de guerre (de Bello Gallico cessait de ressembler à un exercice de la prose latine et devenait d’un intérêt général quand on étudiait le champ de bataille actuel).

1918 : Camps d'entrainement des Américains en Auvergne (*)

Quand ils grimpaient à Mont-Rognon et l’absorbaient depuis le pied jusqu’au sommet, ils appréciaient la perspicacité des barons voleurs, qui, en 1160, le choisirent comme base d’opération, et se demandèrent pourquoi Richelieu a été capable de détruire le château en 1634. Les Français se montrent plus fiers de Vercingétorix que de César. Si nous les trouvons correctement classés par les ethnologues comme peuple latin, suivant eux, ils se considèrent comme entièrement celtiques. Suivant la tradition locale les noms des 2 villages voisins : Romagnat et Aubière constituent un monument étymologique, à la défaite romaine, quelqu’un a écrit sur la carte (Romani hac obere : ici les Romains moururent) et ces mots se seraient métamorphosés actuellement en Romagnat et Aubière.
Alors que les Français de l’intérieur semblent presque impénétrables à l’influence du vin rouge (piquette comme ils disaient), même les Gaulois y succombaient. Une nuit du jour de l’Ascension un citoyen d’Aubière revint de Clermont à une heure tardive et à ce moment le silence du voisinage fut troublé par de grands cris perçants, d’une femme en détresse. Un officier fit des recherches de crainte que quelque Américain puisse avoir transgressé les consignes et apprit que le vacarme était d’origine entièrement française. Le mari et père était si excité et il voulait administrer la discipline à sa femme et à sa fille et commença par les mettre à la porte. Le plus merveilleux à dire c’est que l’officier américain de jour eut le courage d’interférer dans cette difficulté domestique, obligeant le Français à renvoyer ces mesures jusqu’au matin.


Nota : Les illustrations sont produites par le C.G.H.A., sauf celles dont la légende est suivie d’un astérisque (*) qui sont tirées de l’ouvrage en référence du lieutenant Frederick Morse Cutler.


© - Cercle généalogique et historique d’Aubière.



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