La vie et la mort. La seconde est la conséquence de la
première. Nul être vivant ne peut y échapper.
La généalogie modifie notre optique sur ces évidences. A
force de chercher les dates extrêmes de tous les êtres humains qui nous
intéressent, nous finissons par oublier que nous aussi nous faisons partie de
l’aventure humaine et qu’un jour la deuxième date nous concernera.
La situation économique du XIXème siècle
aurait-elle provoqué, plus ou moins consciemment, une régulation des naissances ?
D’abord la naissance :
les paroissiaux et les actes d’état civil fourmillent de vie. Lorsqu’on remonte
assez loin, la plupart des couples avaient un grand nombre d’enfants-dépassant
parfois la dizaine. Pourtant, en compulsant les documents d’Aubière, il parait
évident qu’à un moment précis ce phénomène s’estompe.
Au XIXème siècle, les pays vinicoles auvergnats
deviennent prospères parce que les grands propriétaires terriens vendent, en
partie, leurs domaines. La destruction des vignes par le phylloxéra dans le
midi de la France et l’arrivée du chemin de fer qui permet un transport rapide
vers le nord faciliteront ce phénomène. Le patrimoine familial de nos vignerons
s’étoffe, l’aisance s’installe, de nouvelles habitudes sont prises. Ils se
demandent avec angoisse : « lorsqu’il
faudra transmettre nos biens, ce serait dommage de les partager entre de
nombreux enfants, nous qui avons eu tant de mal à l’acquérir » ;
et l’on constate que le nombre de naissances par couple diminue
considérablement. Pourtant personne ne parlait, à cette époque, de contrôle des
naissances, la pilule et le stérilet étaient inconnus. De plus, comme à
l’époque la pudeur interdisait de parler ouvertement de ces choses-là, ils
n’ont pas laissé d’instructions à ce sujet…
Le clergé s’élevait contre ce refus d’enfants. Pendant la
guerre de 1914-1918, le curé d’Aubière, l’abbé Lavigne, en fit le thème d’un de
ses prônes, disant que de nombreux fils uniques avaient été tués à la guerre et
qu’il s’agissait là d’une manifestation d’une punition divine. Ceci était trop
dur à entendre pour des mères cruellement frappées et certaines d’entre elles,
ne pouvant en entendre davantage, se levèrent au milieu du sermon et sortirent
de l’église.
Force m’est de constater que dans ma propre famille le
procédé était efficace. Si je remonte ma généalogie maternelle depuis mes
grands-parents maternels, en grande partie aubiérois, voici ce qu’il
apparaît :
Génération II
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Sosas 2 et 3
|
Mes grands-parents maternels ont eu
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2 enfants
|
Génération III
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Sosas 4 et 5
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arrière-grands-parents maternels
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2 enfants
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Sosas 6 et 7
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arrière-grands-parents maternels
|
1 enfant
|
Génération IV
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Sosas 8 et 9
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Claude BERNARD et Anne
FRANCON
|
1 enfant
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Sosas 10 et 11
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François BOURCHEIX et Marie
BAYLE
|
1 enfant
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Sosas 12 et 13
|
Amable LUQUET et Françoise
MOMY
|
3 enfants
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Sosas 14 et 15
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Jean ROCHE et Anne BOURCHEIX
|
3 enfants
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Génération V
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Sosas 16 et 17
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Ligier BERNARD et Françoise
PAGEIX
|
4 enfants
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Sosas 18 et 19
|
Antoine FRANCON et Jeanne
DOUSSE
|
3 enfants
|
Sosas 20 et 21
|
Michel BOURCHEIX et Gilberte
BOURCHEIX
|
2 enfants
|
Sosas 22 et 23
|
Guillaume BAYLE et Gilberte
NOELLET
|
8 enfants
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Sosas 24 et 25
|
Jean LUQUET et Marie COHENDY
|
3 enfants
|
Sosas 26 et 27
|
Michel MOMY et Michèle
ARNAUD
|
1 enfant
|
Sosas 28 et 29
|
Ligier ROCHE et Marguerite
MONTEL
|
9 enfants
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Sosas 30 et 31
|
Jean BOURCHEIX et Marie
ROCHE
|
6 enfants
|
Le contrôle des naissances parait bien organisé. Prenons par
exemple le couple Jean ROCHE x Anne BOURCHEIX (sosas 14 et 15). Ils ont eu 3
enfants et, si on regarde les dates de naissance respectives de ces derniers,
on s’aperçoit :
1er enfant
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Jean ROCHE
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°1840
|
+30/10/1842
|
2ème enfant
|
Marie
|
°22/01/1845
|
+07/02/1852
|
3ème enfant
|
Marguerite
|
°13/05/1853
|
+02/01/1906
|
Les deux derniers enfants sont venus au monde pour remplacer
leurs aînés décédés.
Avant la Révolution, à la génération précédente, je trouve,
respectivement :
Génération VI
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Sosas 32 et 33
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10 enfants
|
Sosas 34 et 35
|
10 enfants
|
Sosas 36 et 37
|
5 enfants
|
Sosas 38 et 39
|
9 enfants
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Sosas 40 et 41
|
15 enfants
|
Sosas 42 et 43
|
8 enfants
|
Sosas 44 et 45
|
9 enfants
|
Sosas 46 et 47
|
15 enfants
|
Sosas 48 et 49
|
4 enfants
|
Sosas 50 et 51
|
5 enfants
|
Sosas 52 et 53
|
5 enfants
|
Sosas 54 et 55
|
13 enfants
|
Sosas 56 et 57
|
12 enfants
|
Sosas 58 et 59
|
5 enfants
|
Sosas 60 et 61
|
10 enfants
|
Sosas 62 et 63
|
10 enfants
|
Voyons les décès :
tous les généalogistes sont frappés par le nombre important d’enfants morts en
bas-âge. Dans certains paroissiaux, ils remplissent des pages entières,
correspondant à des années pendant lesquelles une épidémie a dû sévir dans la
région.
Alors la question se pose pour nous qui vivons une époque où
la mort d’un enfant nous parait une incongruité intolérable et le pire des
malheurs qui puisse frapper un couple. Comment faisaient les mères de cette
époque pour supporter de telles hécatombes. Il est possible que la fréquence de
ces décès entrainait une espèce de fatalisme, comme celui qui nous permet
d’envisager la mort de nos parents comme inévitable. Il fallait se résigner et
s’accrocher à la foi chrétienne, pour penser qu’un enfant baptisé, mort en
bas-âge, est plus heureux auprès de Dieu que dans cette ‘’vallée de larmes’’.
L’espérance de vie était beaucoup plus basse qu’à l’heure
actuelle. Les conditions d’hygiène déplorables et la médecine impuissante,
entrainaient la mort prématurée des vivants, comme, par exemple, lors
d’accouchements difficiles ; aussi lorsqu’on se trouvait devant une
maladie grave, plutôt que le médecin, souvent lointain, on appelait le curé,
pour être sûr de la qualité de la vie éternelle, et le notaire, pour partager
ses biens entre les héritiers.
Après avoir constaté que le malade avait toute sa lucidité,
on commençait par un signe de croix, puis, « comme il n’y a rien de plus certain que la mort et de plus incertain
que l’heure d’icelle », on recommandait son âme à Dieu, invoquant
« tous les benoîts saints et saintes
du Paradis et la benoîte Vierge Marie », en prévoyant une somme
d’argent, plus ou moins importante, pour des messes vous assurant le salut
éternel, on prévoyait ensuite les conditions de l’enterrement, puis on
procédait au partage des biens.
Il arrivait pourtant que certaines personnes jouaient les prolongations
et parvenaient à un âge avancé. Il n’y avait bien sûr pas de maisons de
retraite, euphémisme actuel pour définir les « mouroirs » où nous
tous risquons de finir nos jours. Comment agissait-on alors ? Les familles
étaient nombreuses et souvent un des enfants logeait avec le parent âgé.
Lorsque les plus âgés mouraient, le curé ne prenait pas
toujours la peine de calculer son âge avec exactitude ; même s’il était né
dans la paroisse, il se contentait d’écrire « âgé environ de 100 ans ». Comme ce dernier était connu de tous
les paroissiens, il ne jugeait pas utile de préciser davantage. Ce qui complique
parfois le travail du généalogiste. Certains défunts étaient qualifiés d’inaptes
à recevoir les sacrements de l’église lorsque leur déficience
intellectuelle était trop évidente.
Que devenaient les vieux ? Prenons l’exemple d’Agnès
Bourcheix, décédée sans enfants à l’âge avancé d’environ 90 ans, le 15 février
1660. Elle a eu l’occasion de faire 3 testaments : le premier (1613),
alors qu’elle était assez jeune, dans lequel elle citait toute sa
famille ; le second (1645), veuve après un remariage, elle donnait tout à
son beau-fils, prêtre ; et, celui-ci étant décédé avant elle, elle en
rédige un troisième (1654), bien amer, dans lequel elle se plaint de l’abandon
de sa famille et donne tout à ses voisins qui l’avaient aidé à survivre.
|
Collection M.-J. Chapeau |
En étudiant les recensements de la ville de Beaumont, j’ai
eu l’occasion de suivre les membres de la famille Luquet, tous les cinq ans,
entre 1836 et 1871, et voici les personnes qui entouraient Marie Cohendi, qui
vécut de 1780 à 1872, décédée à 92 ans, ce qui représentait, pour l’époque,
l’extrême vieillesse.
On voit la maison se vider, petit à petit, des enfants du
couple Jean Luquet x Marie Cohendi.
A 74 ans, elle vit avec sa petite-fille âgée de 14 ans.
À 85 ans elle est toute seule, enfin, en 1871, à 91 ans,
elle se retrouve avec un de ses enfants et son épouse, revenus à la maison pour
s’occuper d’elle.
Au XIXème siècle, il y avait, tous les 5 ans, un
recensement de la population. Dans chaque maison les agents recenseurs
enregistraient les habitants et leur âge.
Voici les résultats de leurs investigations :
1836
LUQUET Jean
|
propriétaire
|
63 ans
|
COHENDI Marie
|
son épouse
|
54 ans
|
LUQUET Amable
|
fils
|
23 ans
|
LUQUET Antoine
|
fils
|
33 ans
|
FINAIRE Michelle
|
son épouse
|
31 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
11 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
6 ans
|
LUQUET Jean
|
fils
|
28 ans
|
BOUCHET Marie
|
son épouse
|
22 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
19 mois
|
1841
LUQUET Jean
|
propriétaire
|
67 ans
|
COHENDI Marie
|
son épouse
|
59 ans
|
LUQUET Antoine
|
fils
|
38 ans
|
FINAIRE Michelle
|
son épouse
|
36 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
16 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
11 ans
|
LUQUET Jean
|
fils
|
33 ans
|
BOUCHET Marie
|
son épouse
|
27 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
6 ans
|
LUQUET Jean
|
petit-fils
|
2 ans
|
Entre les 2 recensements ci-dessus, on note le départ de
Luquet Amable, qui s’est marié à Aubière, et l’arrivée de Jean Luquet (2 ans),
fils de Jean et de Marie Bouchet.
1846
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
64 ans
|
LUQUET Antoine
|
fils
|
44 ans
|
FINAIRE Michelle
|
son épouse
|
42 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
26 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
21ans
|
LUQUET Jean
|
fils
|
38 ans
|
BOUCHET Marie
|
son épouse
|
33 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
12 ans
|
LUQUET Jean
|
petit-fils
|
7 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
4 ans
|
LUQUET Amable
|
petit-fils
|
1 an
|
On note le décès de Jean LUQUET et la naissance de 2 enfants :
Marie et Amable, entre les 2 recensements (1841 et 1846).
1850
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
69 ans
|
LUQUET Jean
|
fils
|
43 ans
|
BOUCHET Marie
|
son épouse
|
38 ans
|
LUQUET Anne
|
petite-fille
|
17 ans
|
LUQUET Jean
|
petit-fils
|
12 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
9 ans
|
LUQUET Amable
|
petit-fils
|
6 ans
|
Entre temps, le couple Luquet x Finaire et leurs enfants ont
quitté la maison.
1856
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
74 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
14 ans
|
Le couple Luquet x Bouchet a quitté la maison en laissant
leur fille Marie pour aider la grand’mère.
1861
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
80 ans
|
LUQUET Marie
|
petite-fille
|
18 ans
|
1866
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
84 ans
|
Elle reste seule dans la maison. Marie Luquet est partie,
peut-être s’est-elle mariée.
1871
COHENDI Marie
|
veuve Luquet
|
90 ans
|
LUQUET Antoine
|
fils
|
71 ans
|
FINAIRE Marie
|
son épouse
|
67 ans
|
Le couple LUQUET x FINAIRE est revenu auprès de la
grand’mère
Marie COHENDI est décédée le 12 septembre 1872, à l’âge de
92 ans.
J’ai trouvé, par exemple, dans mon ascendance un couple VIDAL
x VIDAL, de Ceyrat, très âgé, à qui l’on n’a pas pu donner les derniers
sacrements, vu leur état mental. Il s‘agit de :
VIDAL Jacques °16/06/1679 + 05/11/1764 à 85 ans, et son
épouse :
VIDAL Anne °01/02/1682 +21/11/1762 à 80 ans.
En général, les personnes âgées étaient chez elles, pas
question de les en déloger.
Les enfants habitaient chez leurs parents et c’était eux qui
s’en occupaient.
Dans les familles de vignerons, les femmes ne travaillaient
pas à l’extérieur et avaient en charge la maison et tout ce qui la concernait,
dont les vieillards. Il arrivait même que cette obligation soit à l’origine du
mariage.
Avant la Révolution, et même à l’église ensuite, il était
interdit de s’unir si on était cousin à un degré inférieur au 4ème degré ;
mais l’église accordait des ‘dispenses de consanguinité’ si on avait de bonnes
raisons d’épouser un parent plus proche. Ces raisons n’étaient pas toujours
sentimentales, et les personnes âgées pouvaient être un bon prétexte. C’est
ainsi que l’on peut lire, dans les demandes de dispenses de l’évêché de
Clermont, accessibles aux Archives Départementales, les motifs suivants :
« La suppliante a
un père avancé en âge, sujet à la débauche, étant blanchisseur, ce qui fait une
grande perte de son revenu. Elle a besoin de trouver quelqu’un du même état
qu’elle, ce qu’elle ne trouve pas en dehors de la famille. Le suppliant, du
même état de blanchisseur, en entrant dans cette maison, payera beaucoup de
dettes et sera en état de gouverner la maison ».
Ou encore :
« Le futur époux
craint que son père, infirme et presque aveugle, une sœur souvent malade,
lui-même un peu bossu, ne soit méprisé par une gendresse étrangère ».
Il y a quelques décennies, les vieux sans ressources étaient
accueillis à l’Hôpital Général, où ils finissaient leurs jours dans des
conditions d’hébergement, en dortoirs, loin d’être idéales.
A Aubière, il existait alors, à proximité de l’église, une
maison tenue par les Sœurs de Loubeyrat, qui étaient garde-malades et
infirmières et prenaient quelques dames âgées ayant quelques revenus, comme
pensionnaires. Ces dernières finissaient leurs jours paisiblement. n
© Cercle généalogique et historique d’Aubière (Marie-José Chapeau)