Le spectre de
1793 aurait-il resurgi à Aubière ?
Le dimanche 10 avril
1831, on plante deux arbres de la liberté à Aubière. Si le maire est absent, la
Garde nationale et ses officiers sont bien là, et tout se passe dans la bonne
humeur, au son de la musique militaire.
Mais cela n’a pas
l’heur de plaire aux journaux locaux (Le Journal du Puy-de-Dôme et L’Ami de la
Charte), pourtant opposés politiquement, qui s’en prennent aux Aubiérois en
interprétant à leur façon cette manifestation, somme toute anodine,
semble-t-il.
Le maire Foulhouze et
les cadres de la Garde nationale d’Aubière réagissent. Voici ces échanges.
Diffamation
contre les habitants d’Aubière
dans le
Journal dit du Puy-de-Dôme
n°s
44 et 45, des 12 et 14 avril 1831
-1- Journal du
Puy-de-Dôme, Mardi 12 avril 1831 - n°44 -
Clermont-Ferrand,
11 avril 1831
Scène
renouvelée de 93
Hier dimanche,
pendant la messe, on a conduit sur la place d’un village voisin, que nous
n’avons pas besoin de nommer, deux arbres qui ont été plantés le soir pendant
le saint office, au milieu de ces chants de sinistre mémoire : Ah ! ça ira, ça ira, etc. La cime de ces arbres était surmontée
d’un drapeau tricolore et d’un bonnet rouge. Un si beau jour et une partie de
la nuit se sont passés dans les plaisirs, et force toasts ont été portés au
digne objet de la vénération de nos planteurs d’arbres de la liberté.
C’est avec une
douleur profonde que nous traçons ces lignes ; l’horrible tableau de la
révolution de 93 se montre à notre pensée et nous ne nous rappelons qu’avec
effroi que telle fut sa première et effrayante ébauche. Les hommes qui ont
célébré cette orgie de délire, ont-ils médité toutes les horreurs qui
commencèrent de désoler la France à une époque dont doivent frémir toutes les
générations futures ? Voudraient-ils ressusciter ces temps d’indicibles
malheurs ?
La scène qui rappelle de si sombres souvenirs, nous
affligerait, dans quelque lieu qu’elle se passât, mais nous sommes bien plus
douloureusement émus, dès que nous voyons que notre paisible Auvergne en est le
théâtre. Sans doute, un arbre planté en l’honneur de la liberté est une chose,
qui en elle-même, n’a rien de fâcheux, mais c’est un trait qui décèle la
tendance des esprits vers une licence sans frein, une déplorable expérience
nous l’a démontré, et voilà ce qui effraie. Nous attendons de la sagesse des
autres communes du Puy-de-Dôme que cet essai insensé sera le seul qui affligera
notre département.
*
-2- Le journal du
Puy-de-Dôme, Jeudi 14 avril 1831 - n°45 -
Clermont-Ferrand,
le 13 avril 1831
Deux arbres
dits de La Liberté ont été plantés
dans un village que nous n’avions pas cru nécessaire de désigner. Cette
discrétion n’a point été imitée par le défenseur officiel de cette commune : l’Ami de la Charte a nommé le village d’Aubière, mais l’avocat
s’est montré digne d’une telle cause. Son premier moyen a été le
mensonge ; car pour prouver que la scène d’Aubière ne ressemblait point à
une scène de 93, il a nié les bonnets
rouges, mais toutes les personnes qui les ont vus, et nous disons vus de leurs
propres yeux, donneront à lui-même un démenti formel dont il aurait dû s’épargner
la honte.
Du reste, dans
la suite de son article, l’Ami de la
Charte, auquel il arrive quelquefois de se contredire, convient que la
plantation d’arbres de la liberté est une démonstration inutile de patriotisme
et qui a de plus l’inconvénient de rappeler
des temps heureusement fort éloignés de nous. Il est à remarquer que,
d’après la feuille officielle, ces
arbres ont été plantés malgré
l’opposition du maire, et que
l’autorité administrative n’a été instruite officiellement qu’aujourd’hui de cet événement.
Après avoir
blâmé la conduite des habitants d’Aubière, nous ne pouvons nous dispenser
d’exprimer notre étonnement sur le long silence de l’autorité locale et sur son
retard à réclamer la répression d’actes si contraires à l’ordre public.
L’Ami de la Charte “n’aime les momeries d’aucun
genre ; faire, dit-il, des processions au nom d’une religion ou d’un
patriotisme grossièrement entendu, nous paraît également inutile et
dangereux ; les planteurs d’arbres de la liberté ressemblent trop aux
planteurs de croix de mission. De part et d’autre c’est un vain spectacle, qui,
lorsqu’il n’est pas ridicule, n’est propre qu’à égarer le zèle et à enflammer
les passions “.
A la lecture
de ce passage, l’on se sent brûler d’un sentiment d’indignation, et le nom de journal affreux et impie se trouve sur
les lèvres pour qualifier la feuille qui confond dans un dégoûtant parallèle
des cérémonies d’un scandaleux désordre, les amis de la croix avec les hommes
de la liberté révolutionnaire. Vous l’entendez, catholiques ! vous qui
avez élevé l’arbre du Christ à la voix des apôtres de l’Évangile, vous
ressemblez aux planteurs d’arbre de la liberté, et vous, ministres de Dieu, vos
processions les plus solennelles sont pareilles aux momeries d’un patriotisme
grossièrement entendu. Nous ne nous arrêterons pas à démontrer à l’Ami de la Charte l’évidente fausseté de
cette comparaison monstrueuse ; ce serait lui adresser des paroles qu’il
ne comprendrait pas, et nos lecteurs ont assez de lumières pour suppléer à
notre réfutation ; nous dirons seulement que le morceau que nous avons
rapporté accuse la plume dont il émane, d’une haine profonde contre la
religion, et que son auteur en est un ennemi bien acharné. Parce que la
religion le contrarie toujours, il
veut toujours contrarier la religion.
*
-3- L’Ami de la Charte, 16 avril 1831 - n° 31
-
A Monsieur le
Rédacteur de l’Ami de la Charte,
Monsieur le Rédacteur,
Je vous prie
de vouloir bien insérer dans le prochain numéro de votre journal, la lettre
suivante que j’adresse à Monsieur le
Rédacteur du Journal du Puy-de-Dôme.
Agréez,
...etc.
Foulhouze, maire d’Aubière.
Monsieur le Rédacteur du Journal du Puy-de-Dôme,
J’ai lu avec
surprise, suivie de la plus grande indignation, l’article de votre journal du
12 du courant, par lequel vous annoncez que deux arbres de la liberté ont été
plantés dans une des communes voisines de Clermont ; vous ajoutez que le
bonnet rouge a été placé sur ces arbres et que l’on a chanté autour la chanson
qui a pour refrain “ça ira, ça ira” ;
vous ne craignez pas non plus d’avancer que des toasts inconvenants ont été
portés dans des banquets.
Je dois
convenir qu’effectivement deux arbres de la liberté ont été plantés à Aubière,
mais je dois aussi repousser de toutes mes forces les faits faux, absolument
faux, que vous rapportez dans votre journal. Non, il n’est pas vrai que le
bonnet rouge ait été placé sur les arbres de la liberté ; non, il n’est
pas vrai que la chanson qui a pour refrain “ça
ira” ait été chantée ; non, il n’est pas vrai qu’il y ait eu des
banquets où des toasts inconvenants aient été portés ; si l’on a bu aux
caves, on a seulement suivi l’usage qui se pratique chaque dimanche de
temps immémorial.
Le bonnet
rouge et la chanson que vous signalez rappellent déjà des temps bien éloignés
de celui où nous vivons, et j’affirme que ceux qui ont planté les arbres de la
liberté à Aubière, étrangers par leur âge aux excès de 93, n’ont pu avoir
l’intention de renouveler des scènes auxquelles ils n’ont eu aucune part.
Vous me
permettrez de vous dire, Monsieur le Rédacteur, qu’il y a eu méchanceté de
votre part à ne pas nommer ma commune, vous l’avez désignée avec une malveillance
tout à fait ingénieuse.
Les personnes
qui vous ont fait ces rapports mensongers ou celles qui ont conseillé de vous
les faire, avaient pour but de nuire à la commune d’Aubière et à moi
personnellement. Elles m’ont fait une peine très vive, seulement en cherchant à
noircir la réputation de la commune dont l’administration m’est confiée, et à
faire naître l’irritation dans les esprits.
Je n’ignorais
pas que l’esprit de parti est fécond à répandre de fausses nouvelles, mais je
me plaisais à croire qu’un très petit nombre de journalistes étaient disposés à
les accueillir avant d’avoir pris des renseignements positifs auprès de
l’autorité, ou du moins auprès des gens vraiment dignes de foi, précaution qui
a été prise par Mr le Rédacteur de l’Ami
de la Charte, ainsi que le prouve l’article inséré dans son dernier numéro.
Je ne dois pas
vous taire, Monsieur, que si ma commune éprouvait par la suite des désordres
graves, l’article mensonger et calomnieux de votre journal n’y aurait pas peu
contribué.
Je vous prie,
Mr le Rédacteur, et au besoin, je vous requiers, en conformité de l’art.11 de
la loi du 25 mars 1822, d’insérer ma lettre dans le plus prochain numéro de
votre journal.
Agréez, ...etc...
signé
: Foulhouze, maire.
P.S. Au moment de
vous adresser cette lettre, j’ouvre votre numéro de ce jour et j’y trouve un
second article où vous ne craignez pas de qualifier de mensonge l’assertion de l’Ami
de la Charte qui a dit avec vérité qu’il était inexact que le bonnet rouge
eût été placé à côté du drapeau national. Vous affirmez que des témoins ont vu, vu de leurs propres
yeux, les bonnets rouges. Eh bien ! Monsieur, je vous réitère à vous
et à vos correspondants l’assurance formelle de la fausseté de ce fait. Il n’y
a eu dimanche, à Aubière, je le répète, ni bonnets rouges, ni chanson de “çà
ira” ! Et, si dans cette affaire il y a honte pour quelqu’un, elle retombe toute entière sur vous et sur
vos prétendus témoins oculaires dont il me sera facile de confondre
l’imposture.
Vous me reprochez, Monsieur, d’avoir mis du retard à
instruire de l’événement de dimanche dernier ; j’aurais eu tort, en effet,
d’ajourner cette information au surlendemain, au lendemain même de cette scène,
si elle avait eu le caractère que vous lui prêtez calomnieusement, mais comme
il n’en était pas ainsi et que les devoirs de ma profession m’empêchèrent de
venir lundi à Clermont, je crus pouvoir instruire Mr le Préfet de ce qui
s’était passé à Aubière, et qui était heureusement beaucoup moins grave que
vous ne l’avez prétendu. Au surplus, Monsieur, votre censure m’affecte peu, et
l’approbation de mes supérieurs me dédommage suffisamment de vos critiques. Je
pourrais dédaigner une offense personnelle, laissant aux hommes modérés de tous
les partis le soin d’apprécier ma conduite dans des fonctions assez difficiles
par le temps qui court, mais vous avez outragé l’honneur de ma commune, vous
avez blessé mes administrés dans ce qu’ils ont de plus cher. Il ne m’est
pas permis de négliger un intérêt aussi
précieux ; je vous préviens, en conséquence, que je vais demander à Mr le
Préfet, l’autorisation de réunir le Conseil municipal afin d’aviser aux moyens
de vous poursuivre pour délit de diffamation contre les habitants de ma
commune. C’est devant les tribunaux que la vérité sortira pleine et entière, et
le public pourra juger alors, sans crainte de se méprendre, la valeur de nos
assertions et de nos dénégations réciproques.
Jusque là je
m’abstiendrai de prendre part à une polémique toute de personnalité, qui ne
peut convenir ni à mes fonctions, ni à mon caractère.
signé :
Foulhouze, maire.
*
Aubière, le 14 avril 1831
à Monsieur le
Rédacteur de l’Ami de la Charte,
Monsieur le Rédacteur, (*)
Les
soussignés, habitants d’Aubière, vous prient de vouloir bien rectifier les faits
qui ont été racontés d’une manière inexacte dans les deux articles publiés dans
les deux derniers journaux du département, et relatifs à la plantation de deux
arbres de la liberté à Aubière.
Il n’y a point
eu d’instigation, ainsi que le
prétend l’Ami de la Charte, ce projet
a été conçu et exécuté par les habitants et la garde nationale d’Aubière, de
leur propre mouvement.
Un arbre de la
liberté avait été planté en 89, à Aubière, sur la place dite de Devant l’Église. Cet arbre avait déjà acquis
un état de vigueur et de prospérité remarquable, lorsqu’il est mort, subitement, il y a une douzaine
d’années : nous nous étions réunis longtemps sous son ombrage et nous
avons voulu procurer le même avantage à nos enfants.
Ces motifs ont
suffi pour nous porter à remplacer notre arbre de la liberté. Quant à l’autre
arbre, il a été planté sur la place d’armes dite des Remacles, pour décorer et embellir le point de réunion de notre
garde nationale.
Il n’est pas à
notre connaissance que Mr le Maire se soit opposé à l’exécution de notre
projet, ce fonctionnaire a passé légalement
une partie de la journée du 10 avril, à Romagnat, lieu de sa résidence,
probablement pour y exercer sa profession de notaire.
Au surplus,
aucune opposition, aucun désordre, aucun signe ostensible de mécontentement
contre le gouvernement du Roi, n’ont été manifestés dans cette circonstance, la
réunion des habitants d’Aubière était générale, ainsi que leur accord, sans
distinction de pauvres ou de riches, à l’exception toutefois d’une très faible
minorité, composée de ceux que l’Ami de
la Charte veut bien qualifier de gens
sages.
La garde
nationale a été réunie au son du tambour sur les dix heures du matin, comme à
l’ordinaire, les arbres de la liberté ont été plantés aux lieux indiqués
ci-dessus et ont été salués, ainsi que les drapeaux tricolores qui flottaient à
leurs sommets, par des feux de peloton et par les cris de Vive la liberté.
La fête s’est
terminée, toujours avec le plus grand ordre par des danses au son du tambour,
suivant l’usage du pays.
Tel est,
Monsieur le Rédacteur, le récit fidèle de cette cérémonie appelée par l’Ami de la Charte, momerie, orgie de délire par le
Journal du Puy-de-Dôme, et que, dans notre patriotisme grossièrement entendu, suivant l’Ami de la Charte, nous avons crue innocente et permise.
Ainsi,
Monsieur, malgré les assertions des deux journaux, point de “çà ira”. La Marseillaise et La
Parisienne, seules ont été chantées en chœur, point de bonnet rouge, planté, point d’instigation, point d’opposition, de la part du maire, point
de désobéissance à ce fonctionnaire.
Toute la
commune d’Aubière peut certifier l’exactitude de ces faits, et même les trois
gendarmes envoyés à Aubière le 12, ont pu les rapporter ainsi à l’autorité,
nous les certifions au surplus comme témoins.
En un mot,
dans toute notre conduite, nous n’avons rien vu qui pût motiver la colère
furibonde du Journal du Puy-de-Dôme, ni l’animosité plus
concentrée de l’Ami de la Charte ;
nous ne dirons pas si ces deux articles sont l’expression d’un patriotisme plus
ou moins délicatement entendu et senti, mais nous avons une remarque à faire
sur le dernier numéro de l’Ami de la
Charte. Pour attaquer ses concitoyens, ce journal a su trouver des termes
chaleureux, tandis que pour célébrer la victoire des Polonais, bien qu’il se
batte les flancs, le style guindé et l’enthousiasme de commande se laissent
apercevoir ; ce contraste ne pourrait-il pas s’expliquer ? L’Ami de la Charte, malgré ses efforts
pour le cacher, ne serait-il plus le journal du peuple, mais de ceux, en assez
grand nombre, qui, étant salariés, ne confondent déjà plus leur cause avec
celle du peuple qui travaille et qui paie ?
Nous vous
invitons, Monsieur le Rédacteur, à insérer cette lettre dans votre prochain
numéro et nous avons l’honneur de vous saluer avec une parfaite considération.
Thevenon,
Foulhouze, lieutenant, Cougout, adjudant-major,
Bourcheix, lieutenant, Murol, sous-lieutenant,
Gioux, capitaine,
Noillet,
Arnaud, lieutenant des grenadiers, Taillandier,
capitaine,
Arnaud, capitaine, F. Noillet, Noillet,
Breul(y), adjudant,
Montel, sergent-fourier,
Montel, lieutenant, Noillet, Planche,
propriétaire,
Baile, sergent-major, A. Noellet, Cassière fils, propriétaire, Benech,
Cassière,
propriétaire, Noellet, capitaine.
***
La lettre qui
précède, et que nous ne craignons pas de publier malgré les insinuations
malveillantes qu’elle renferme contre nous, nous a causé une vive surprise.
Nous n’en serions pas encore revenus, si, malgré les signatures qui
l’accompagnent, la forme de cette lettre ne trahissait une origine qui confirme
ce que nous avons dit sur des instigations
qui partent d’ailleurs que d’Aubière. Assurément personne ne dira que cette
pièce sente le terroir. Mais, laissant de côté l’auteur qui se cache derrière
ce rempart commode pour nous lancer des traits qu’il croit bien acérés, nous
demanderons d’abord comment l’article que nous avons publié, et dans lequel
nous avons donné un démenti formel à ce qu’il y avait d’offensant dans le Journal du Puy-de-Dôme contre les
habitants d’Aubière, a pu nous attirer une réponse empreinte d’autant d’aigreur
et d’animadversion ? On a parlé de notre
animosité concentrée contre les habitants d’Aubière. Bien concentrée en effet, car nous défions quiconque relira notre
article, d’y découvrir la trace d’aucun sentiment de cette nature.
Nous nous
sommes livré à quelques réflexions générales sur les inconvénients des momeries prétendues patriotiques ou
religieuses. Nous avons dit que c’était de la religion et du patriotisme, grossièrement entendu, et telle est
encore notre opinion. Supposons, ce qui nous parait nullement probable, que
l’exemple de la commune d’Aubière fût suivi dans d’autres localités, cela
plairait à quelques habitants, peut-être, mais à coup sûr déplairait à
d’autres. Il ne manquerait pas de gens qui diraient : Voilà la République et 93 qui reviennent, nous en sommes aux arbres de
la liberté, bientôt aux clubs et plus tard aux échafauds. De là des
divisions, des émeutes, des rixes et à propos de quoi ? A propos d’un
arbre, cause innocente de ces perturbations.
Revenant à la
lettre de quelques officiers et sous-officiers de la garde nationale d’Aubière,
que contenait notre article qui pût les offenser ? Nous n’avions pas dit,
quoique nous en eussions connaissance, que la garde nationale avait assisté à
la plantation des arbres de la liberté, mais, puisque les signataires de la
lettre conviennent de ce fait, en vertu de quelle autorisation se
trouvaient-ils là ? Eh quoi ! Des gardes nationaux qui ont juré
d’être fidèles à la devise Liberté, Ordre
public, se permettent de disposer de deux places, sans consulter le maire,
qui seul a la police de la commune ?
Mais, dit-on,
le maire ne s’est pas opposé à la plantation des arbres de la liberté. Il
suffirait qu’il n’eut point donné son autorisation pour que les habitants qui
ont pris part à la plantation fussent dans
leur tort, mais si le maire ne s’est pas opposé à cette cérémonie, au
moment où elle a eu lieu, parce qu’il n’était pas à Aubière, nous tenons de ce
magistrat, que, la veille, samedi soir, avait été informé de ce projet, il
l’avait vivement improuvé, et voilà ce que n’ignoraient point ceux qui ont
planté les deux arbres de la liberté.
En rapportant
dans toute sa simplicité le fait que le Journal
du Puy-de-Dôme avait travesti, y avons-nous ajouté aucune circonstance qui
pût ajouter à sa gravité ?
Loin de là,
nous avons repoussé les assertions calomnieuses du Journal du Puy-de-Dôme. Il a bien fallu convenir pourtant que les
habitants d’Aubière s’étaient mis dans le
tort, mais c’est sur le ton de la bienveillance, et non de l’animosité que
nous leur avons donné cet avis. Au reste ce que nous avons dit, nous le
redisons encore en ne consultant pas l’autorité civile, avant de planter un
arbre sur la voie publique, les habitants d’Aubière ont, non seulement manqué à
toutes les convenances, mais ils ont encore agi illégalement.
S’il fallait
flatter le peuple et l’enhardir ou l’encourager à l’insubordination envers ses
magistrats, nous ne voulons pas être en ce sens le journal du peuple, et nous ne l’avons jamais été.
Le peuple est
aussi une puissance qui a ses courtisans et ses flagorneurs. Nous qui n’avons
jamais cherché les faveurs du pouvoir, lorsqu’il était en opposition à nos
principes, nous ne reculerons pas non plus devant la crainte de perdre la
faveur de certain parti en défendant ce que nous croyons être juste et vrai.
Entre les hommes du mouvement progressif
et ceux du mouvement désordonné,
notre choix est fait : toutes les accusations de servilité et de
ministérialisme ne nous en feront pas départir. Quant au mérite littéraire de
nos articles, nous y attachons peu de prix ; les critiques qu’on nous
adresse sur ce point ne nous chagrinent guère. Il serait bien vain ou bien fou
l’écrivain qui, dans nos jours d’agitation, ayant une pensée utile à émettre,
la laisserait évaporer en cherchant à cadencer sa période. Assurément, de tous
les articles sortis de notre plume, celui que nous avons consacré à la victoire
des Polonais, est un de ceux que nous avons écrits avec le moins d’efforts et
le plus de plaisir. Il n’a pas satisfait le goût difficile de MM. les officiers
et sous-officiers de la garde nationale d’Aubière, qui en ont trouvé le style guindé. Cette observation peut
être vraie, mais il nous parait tant soit peu singulier qu’elle nous arrive
d’Aubière, où nous ne sachons pas qu’il
existe beaucoup d’académiciens.
Ceci est sans
doute une gentillesse du secrétaire de ces Messieurs ; seulement il aura
oublié de faire parler à chacun le langage qui lui est propre. Paul-Louis, le
canonier-vigneron, n’aurait pas fait ce contre-sens : en pareil cas il eût
écrit, en style simple et naïf, une lettre bien piquante, bien malicieuse… mais le secrétaire de
l’état-major d’Aubière, n’a, par malheur, rien de commun avec l’immortel
pamphlétaire.
Nous bornerons
ici cette polémique ennuyeuse pour la majorité de nos lecteurs, qui préfèrent,
à des épigrammes, à des personnalités, un bon résumé de nouvelles politiques et
des réflexions judicieuses sur les événements de l’intérieur et de l’étranger.
Nous avons admis la réponse de MM. les officiers et sous-officiers d’Aubière,
nous ne voulons pas prolonger plus longtemps une discussion sans objet et sans
utilité.
(*)- Nous aurions pu nous refuser à
l’insertion de cette lettre, pour plusieurs motifs : d’abord, la loi
n’accorde la faculté de répondre à un article qu’aux personnes qui ont été
nommées ou désignées dans un journal ; or nous n’avons nommé ni désigné
aucun des signataires de la lettre ; en second lieu, cette lettre étant
une réponse collective à l’Ami de la
Charte et au Journal du Puy-de-Dôme,
si étrangement rapprochés, nous ne pourrions être obligés à rapporter ce qui
concerne cette feuille ; en troisième lieu, rien ne nous garantissait que
la lettre émanât réellement des personnes qui l’ont signée. Elle a été remise à
notre bureau, non par un ou plusieurs signataires, mais par un habitant de
Clermont, qui ne nous est pas connu. Malgré tous ces motifs, nous n’avons pas
balancé à l’imprimer, afin de montrer combien nous sommes partisans de la
publicité, même lorsqu’on cherche à nous noircir dans l’esprit de nos
concitoyens. Nous serons toujours disposés à défendre nos actes comme nos
principes. (Note du Rédacteur)
***
On reste perplexe à la
lecture de ces échanges épistolaires par journaux interposés. Il est difficile
de déceler où se trouve la vérité. L’histoire nous avait montré des Aubiérois
plutôt modérés. Près de leurs intérêts et procéduriers, mais dénués d’esprit
révolutionnaire et frondeur. Même l’époque révolutionnaire, à laquelle Le Journal du Puy-de-Dôme comme L’Ami de la Charte font allusion, avait été vécue dans le
calme. Le seul « guillotiné » aubiérois, le baron ANDRÉ, qui fut
d’ailleurs peut-être fusillé à Lyon, n’a été la victime que d’un seul
extrémiste, M. GIRARD, qui n’a pas été suivi dans son acharnement par
l’ensemble de la population aubiéroise. L’on peut s’étonner en effet que
« bonnets rouges » et « ça ira, ça ira ! » aient fait
leur apparition sur les places d’Aubière 40 ans après, à l’occasion du
remplacement d’un arbre de la Liberté, mort de mort naturelle. Cependant, 182
ans plus tard on peut avoir un autre regard sur ces événements. Il est vrai que
les mouvements populaires de 1830 avaient été étouffés par
« l’éclosion » d’une monarchie « désignée » : exit le
droit divin. Cet événement à Aubière pourrait être l’expression de
l’affirmation d’une opposition face à une majorité séculaire, modérée et
silencieuse. Cette opposition, à connotation républicaine, annonce
vraisemblablement celle qui se fera jour dix ans plus tard, lors des émeutes de
septembre 1841 à Clermont-Ferrand.
Sources : A.D.63 - 2.O.14/3 (Affaire Thibaud-Landriot, 1831).
Suivez l'histoire et la généalogie d'Aubière sur : http://www.chroniquesaubieroises.fr/
Belle histoire ! Les arbres de la liberté racontent nos villes et nos villages !
RépondreSupprimerBravo !