vendredi 4 octobre 2013

L’honneur d’Aubière bafoué !



Le spectre de 1793 aurait-il resurgi à Aubière ?

Le dimanche 10 avril 1831, on plante deux arbres de la liberté à Aubière. Si le maire est absent, la Garde nationale et ses officiers sont bien là, et tout se passe dans la bonne humeur, au son de la musique militaire.
Mais cela n’a pas l’heur de plaire aux journaux locaux (Le Journal du Puy-de-Dôme et L’Ami de la Charte), pourtant opposés politiquement, qui s’en prennent aux Aubiérois en interprétant à leur façon cette manifestation, somme toute anodine, semble-t-il.
Le maire Foulhouze et les cadres de la Garde nationale d’Aubière réagissent. Voici ces échanges.




Diffamation contre les habitants d’Aubière
dans le Journal dit du Puy-de-Dôme
s 44 et 45, des 12 et 14 avril 1831


 -1- Journal du Puy-de-Dôme, Mardi 12 avril 1831 - n°44 -

Clermont-Ferrand, 11 avril 1831
Scène renouvelée de 93

Hier dimanche, pendant la messe, on a conduit sur la place d’un village voisin, que nous n’avons pas besoin de nommer, deux arbres qui ont été plantés le soir pendant le saint office, au milieu de ces chants de sinistre mémoire : Ah ! ça ira, ça ira, etc. La cime de ces arbres était surmontée d’un drapeau tricolore et d’un bonnet rouge. Un si beau jour et une partie de la nuit se sont passés dans les plaisirs, et force toasts ont été portés au digne objet de la vénération de nos planteurs d’arbres de la liberté.

C’est avec une douleur profonde que nous traçons ces lignes ; l’horrible tableau de la révolution de 93 se montre à notre pensée et nous ne nous rappelons qu’avec effroi que telle fut sa première et effrayante ébauche. Les hommes qui ont célébré cette orgie de délire, ont-ils médité toutes les horreurs qui commencèrent de désoler la France à une époque dont doivent frémir toutes les générations futures ? Voudraient-ils ressusciter ces temps d’indicibles malheurs ?



La scène qui rappelle de si sombres souvenirs, nous affligerait, dans quelque lieu qu’elle se passât, mais nous sommes bien plus douloureusement émus, dès que nous voyons que notre paisible Auvergne en est le théâtre. Sans doute, un arbre planté en l’honneur de la liberté est une chose, qui en elle-même, n’a rien de fâcheux, mais c’est un trait qui décèle la tendance des esprits vers une licence sans frein, une déplorable expérience nous l’a démontré, et voilà ce qui effraie. Nous attendons de la sagesse des autres communes du Puy-de-Dôme que cet essai insensé sera le seul qui affligera notre département.

 *

 -2- Le journal du Puy-de-Dôme, Jeudi 14 avril 1831 - n°45 -

Clermont-Ferrand, le 13 avril 1831

Deux arbres dits de La Liberté ont été plantés dans un village que nous n’avions pas cru nécessaire de désigner. Cette discrétion n’a point été imitée par le défenseur officiel de cette commune : l’Ami de la Charte a nommé le village d’Aubière, mais l’avocat s’est montré digne d’une telle cause. Son premier moyen a été le mensonge ; car pour prouver que la scène d’Aubière ne ressemblait point à une scène de 93, il a nié les bonnets rouges, mais toutes les personnes qui les ont vus, et nous disons vus de leurs propres yeux, donneront à lui-même un démenti formel dont il aurait dû s’épargner la honte.
Du reste, dans la suite de son article, l’Ami de la Charte, auquel il arrive quelquefois de se contredire, convient que la plantation d’arbres de la liberté est une démonstration inutile de patriotisme et qui a de plus l’inconvénient de rappeler des temps heureusement fort éloignés de nous. Il est à remarquer que, d’après la feuille officielle, ces arbres ont été plantés malgré l’opposition du maire, et que l’autorité administrative n’a été instruite officiellement qu’aujourd’hui de cet événement.
Après avoir blâmé la conduite des habitants d’Aubière, nous ne pouvons nous dispenser d’exprimer notre étonnement sur le long silence de l’autorité locale et sur son retard à réclamer la répression d’actes si contraires à l’ordre public.
L’Ami de la Charte “n’aime les momeries d’aucun genre ; faire, dit-il, des processions au nom d’une religion ou d’un patriotisme grossièrement entendu, nous paraît également inutile et dangereux ; les planteurs d’arbres de la liberté ressemblent trop aux planteurs de croix de mission. De part et d’autre c’est un vain spectacle, qui, lorsqu’il n’est pas ridicule, n’est propre qu’à égarer le zèle et à enflammer les passions “.
A la lecture de ce passage, l’on se sent brûler d’un sentiment d’indignation, et le nom de journal affreux et impie se trouve sur les lèvres pour qualifier la feuille qui confond dans un dégoûtant parallèle des cérémonies d’un scandaleux désordre, les amis de la croix avec les hommes de la liberté révolutionnaire. Vous l’entendez, catholiques ! vous qui avez élevé l’arbre du Christ à la voix des apôtres de l’Évangile, vous ressemblez aux planteurs d’arbre de la liberté, et vous, ministres de Dieu, vos processions les plus solennelles sont pareilles aux momeries d’un patriotisme grossièrement entendu. Nous ne nous arrêterons pas à démontrer à l’Ami de la Charte l’évidente fausseté de cette comparaison monstrueuse ; ce serait lui adresser des paroles qu’il ne comprendrait pas, et nos lecteurs ont assez de lumières pour suppléer à notre réfutation ; nous dirons seulement que le morceau que nous avons rapporté accuse la plume dont il émane, d’une haine profonde contre la religion, et que son auteur en est un ennemi bien acharné. Parce que la religion le contrarie toujours, il veut toujours contrarier la religion.

*

 -3- L’Ami de la Charte, 16 avril 1831 - n° 31 -

A Monsieur le Rédacteur de l’Ami de la Charte,

         Monsieur le Rédacteur,

Je vous prie de vouloir bien insérer dans le prochain numéro de votre journal, la lettre suivante que j’adresse  à Monsieur le Rédacteur du Journal du Puy-de-Dôme.
Agréez, ...etc.
Foulhouze, maire d’Aubière.


         Monsieur le Rédacteur du Journal du Puy-de-Dôme,


J’ai lu avec surprise, suivie de la plus grande indignation, l’article de votre journal du 12 du courant, par lequel vous annoncez que deux arbres de la liberté ont été plantés dans une des communes voisines de Clermont ; vous ajoutez que le bonnet rouge a été placé sur ces arbres et que l’on a chanté autour la chanson qui a pour refrain “ça ira, ça ira” ; vous ne craignez pas non plus d’avancer que des toasts inconvenants ont été portés dans des banquets.
Je dois convenir qu’effectivement deux arbres de la liberté ont été plantés à Aubière, mais je dois aussi repousser de toutes mes forces les faits faux, absolument faux, que vous rapportez dans votre journal. Non, il n’est pas vrai que le bonnet rouge ait été placé sur les arbres de la liberté ; non, il n’est pas vrai que la chanson qui a pour refrain “ça ira” ait été chantée ; non, il n’est pas vrai qu’il y ait eu des banquets où des toasts inconvenants aient été portés ; si l’on a bu  aux caves, on a seulement suivi l’usage qui se pratique chaque dimanche de temps immémorial.
Le bonnet rouge et la chanson que vous signalez rappellent déjà des temps bien éloignés de celui où nous vivons, et j’affirme que ceux qui ont planté les arbres de la liberté à Aubière, étrangers par leur âge aux excès de 93, n’ont pu avoir l’intention de renouveler des scènes auxquelles ils n’ont eu aucune part.
Vous me permettrez de vous dire, Monsieur le Rédacteur, qu’il y a eu méchanceté de votre part à ne pas nommer ma commune, vous l’avez désignée avec une malveillance tout à fait ingénieuse.
Les personnes qui vous ont fait ces rapports mensongers ou celles qui ont conseillé de vous les faire, avaient pour but de nuire à la commune d’Aubière et à moi personnellement. Elles m’ont fait une peine très vive, seulement en cherchant à noircir la réputation de la commune dont l’administration m’est confiée, et à faire naître l’irritation dans les esprits.
Je n’ignorais pas que l’esprit de parti est fécond à répandre de fausses nouvelles, mais je me plaisais à croire qu’un très petit nombre de journalistes étaient disposés à les accueillir avant d’avoir pris des renseignements positifs auprès de l’autorité, ou du moins auprès des gens vraiment dignes de foi, précaution qui a été prise par Mr le Rédacteur de l’Ami de la Charte, ainsi que le prouve l’article inséré dans son dernier numéro.
Je ne dois pas vous taire, Monsieur, que si ma commune éprouvait par la suite des désordres graves, l’article mensonger et calomnieux de votre journal n’y aurait pas peu contribué.
Je vous prie, Mr le Rédacteur, et au besoin, je vous requiers, en conformité de l’art.11 de la loi du 25 mars 1822, d’insérer ma lettre dans le plus prochain numéro de votre journal.
Agréez, ...etc...
                                                     signé : Foulhouze,  maire.

P.S.    Au moment de vous adresser cette lettre, j’ouvre votre numéro de ce jour et j’y trouve un second article où vous ne craignez pas de qualifier de mensonge l’assertion de l’Ami de la Charte qui a dit avec vérité qu’il était inexact que le bonnet rouge eût été placé à côté du drapeau national. Vous affirmez que des témoins ont vu, vu de leurs propres yeux, les bonnets rouges. Eh bien ! Monsieur, je vous réitère à vous et à vos correspondants l’assurance formelle de la fausseté de ce fait. Il n’y a eu dimanche, à Aubière, je le répète, ni bonnets rouges, ni chanson de “çà ira” ! Et, si dans cette affaire il y a honte pour quelqu’un, elle retombe toute entière sur vous et sur vos prétendus témoins oculaires dont il me sera facile de confondre l’imposture.

Vous me reprochez, Monsieur, d’avoir mis du retard à instruire de l’événement de dimanche dernier ; j’aurais eu tort, en effet, d’ajourner cette information au surlendemain, au lendemain même de cette scène, si elle avait eu le caractère que vous lui prêtez calomnieusement, mais comme il n’en était pas ainsi et que les devoirs de ma profession m’empêchèrent de venir lundi à Clermont, je crus pouvoir instruire Mr le Préfet de ce qui s’était passé à Aubière, et qui était heureusement beaucoup moins grave que vous ne l’avez prétendu. Au surplus, Monsieur, votre censure m’affecte peu, et l’approbation de mes supérieurs me dédommage suffisamment de vos critiques. Je pourrais dédaigner une offense personnelle, laissant aux hommes modérés de tous les partis le soin d’apprécier ma conduite dans des fonctions assez difficiles par le temps qui court, mais vous avez outragé l’honneur de ma commune, vous avez blessé mes administrés dans ce qu’ils ont de plus cher. Il ne m’est pas  permis de négliger un intérêt aussi précieux ; je vous préviens, en conséquence, que je vais demander à Mr le Préfet, l’autorisation de réunir le Conseil municipal afin d’aviser aux moyens de vous poursuivre pour délit de diffamation contre les habitants de ma commune. C’est devant les tribunaux que la vérité sortira pleine et entière, et le public pourra juger alors, sans crainte de se méprendre, la valeur de nos assertions et de nos dénégations réciproques.

Jusque là je m’abstiendrai de prendre part à une polémique toute de personnalité, qui ne peut convenir ni à mes fonctions, ni à mon caractère.

signé : Foulhouze, maire.

*

Aubière, le 14 avril 1831

à Monsieur le Rédacteur de l’Ami de la Charte,

Monsieur  le Rédacteur, (*)

Les soussignés, habitants d’Aubière, vous prient de vouloir bien rectifier les faits qui ont été racontés d’une manière inexacte dans les deux articles publiés dans les deux derniers journaux du département, et relatifs à la plantation de deux arbres de la liberté à Aubière.
Il n’y a point eu d’instigation, ainsi que le prétend l’Ami de la Charte, ce projet a été conçu et exécuté par les habitants et la garde nationale d’Aubière, de leur propre mouvement.
Un arbre de la liberté avait été planté en 89, à Aubière, sur la place dite de Devant l’Église. Cet arbre avait déjà acquis un état de vigueur et de prospérité remarquable, lorsqu’il est mort, subitement, il y a une douzaine d’années : nous nous étions réunis longtemps sous son ombrage et nous avons voulu procurer le même avantage à nos enfants.
Ces motifs ont suffi pour nous porter à remplacer notre arbre de la liberté. Quant à l’autre arbre, il a été planté sur la place d’armes dite des Remacles, pour décorer et embellir le point de réunion de notre garde nationale.
Il n’est pas à notre connaissance que Mr le Maire se soit opposé à l’exécution de notre projet, ce fonctionnaire a passé légalement une partie de la journée du 10 avril, à Romagnat, lieu de sa résidence, probablement pour y exercer sa profession de notaire.
Au surplus, aucune opposition, aucun désordre, aucun signe ostensible de mécontentement contre le gouvernement du Roi, n’ont été manifestés dans cette circonstance, la réunion des habitants d’Aubière était générale, ainsi que leur accord, sans distinction de pauvres ou de riches, à l’exception toutefois d’une très faible minorité, composée de ceux que l’Ami de la Charte veut bien qualifier de gens sages.
La garde nationale a été réunie au son du tambour sur les dix heures du matin, comme à l’ordinaire, les arbres de la liberté ont été plantés aux lieux indiqués ci-dessus et ont été salués, ainsi que les drapeaux tricolores qui flottaient à leurs sommets, par des feux de peloton et par les cris de Vive la liberté.
La fête s’est terminée, toujours avec le plus grand ordre par des danses au son du tambour, suivant l’usage du pays.
Tel est, Monsieur le Rédacteur, le récit fidèle de cette cérémonie appelée par l’Ami de la Charte, momerie, orgie de délire par le Journal du Puy-de-Dôme, et que, dans notre patriotisme grossièrement entendu, suivant l’Ami de la Charte, nous avons crue innocente et permise.
Ainsi, Monsieur, malgré les assertions des deux journaux, point de “çà ira”. La Marseillaise et La Parisienne, seules ont été chantées en chœur, point de bonnet rouge, planté, point d’instigation, point d’opposition, de la part du maire, point de désobéissance à ce fonctionnaire.
Toute la commune d’Aubière peut certifier l’exactitude de ces faits, et même les trois gendarmes envoyés à Aubière le 12, ont pu les rapporter ainsi à l’autorité, nous les certifions au surplus comme témoins.
En un mot, dans toute notre conduite, nous n’avons rien vu qui pût motiver la colère furibonde du Journal du Puy-de-Dôme, ni l’animosité plus concentrée de l’Ami de la Charte ; nous ne dirons pas si ces deux articles sont l’expression d’un patriotisme plus ou moins délicatement entendu et senti, mais nous avons une remarque à faire sur le dernier numéro de l’Ami de la Charte. Pour attaquer ses concitoyens, ce journal a su trouver des termes chaleureux, tandis que pour célébrer la victoire des Polonais, bien qu’il se batte les flancs, le style guindé et l’enthousiasme de commande se laissent apercevoir ; ce contraste ne pourrait-il pas s’expliquer ? L’Ami de la Charte, malgré ses efforts pour le cacher, ne serait-il plus le journal du peuple, mais de ceux, en assez grand nombre, qui, étant salariés, ne confondent déjà plus leur cause avec celle du peuple qui travaille et qui paie ?
Nous vous invitons, Monsieur le Rédacteur, à insérer cette lettre dans votre prochain numéro et nous avons l’honneur de vous saluer avec une parfaite considération.

          Thevenon, Foulhouze, lieutenant, Cougout, adjudant-major,
          Bourcheix, lieutenant, Murol, sous-lieutenant, Gioux, capitaine,
          Noillet, Arnaud, lieutenant des grenadiers, Taillandier, capitaine,
          Arnaud, capitaine, F. Noillet, Noillet, Breul(y), adjudant,
Montel, sergent-fourier, Montel, lieutenant, Noillet, Planche, propriétaire,
          Baile, sergent-major, A. Noellet, Cassière fils, propriétaire, Benech,
          Cassière, propriétaire, Noellet, capitaine.

***

La lettre qui précède, et que nous ne craignons pas de publier malgré les insinuations malveillantes qu’elle renferme contre nous, nous a causé une vive surprise. Nous n’en serions pas encore revenus, si, malgré les signatures qui l’accompagnent, la forme de cette lettre ne trahissait une origine qui confirme ce que nous avons dit sur des instigations qui partent d’ailleurs que d’Aubière. Assurément personne ne dira que cette pièce sente le terroir. Mais, laissant de côté l’auteur qui se cache derrière ce rempart commode pour nous lancer des traits qu’il croit bien acérés, nous demanderons d’abord comment l’article que nous avons publié, et dans lequel nous avons donné un démenti formel à ce qu’il y avait d’offensant dans le Journal du Puy-de-Dôme contre les habitants d’Aubière, a pu nous attirer une réponse empreinte d’autant d’aigreur et d’animadversion ? On a parlé de notre animosité concentrée contre les habitants d’Aubière. Bien concentrée en effet, car nous défions quiconque relira notre article, d’y découvrir la trace d’aucun sentiment de cette nature.
Nous nous sommes livré à quelques réflexions générales sur les inconvénients des momeries prétendues patriotiques ou religieuses. Nous avons dit que c’était de la religion et du patriotisme, grossièrement entendu, et telle est encore notre opinion. Supposons, ce qui nous parait nullement probable, que l’exemple de la commune d’Aubière fût suivi dans d’autres localités, cela plairait à quelques habitants, peut-être, mais à coup sûr déplairait à d’autres. Il ne manquerait pas de gens qui diraient : Voilà la République et 93 qui reviennent, nous en sommes aux arbres de la liberté, bientôt aux clubs et plus tard aux échafauds. De là des divisions, des émeutes, des rixes et à propos de quoi ? A propos d’un arbre, cause innocente de ces perturbations.
Revenant à la lettre de quelques officiers et sous-officiers de la garde nationale d’Aubière, que contenait notre article qui pût les offenser ? Nous n’avions pas dit, quoique nous en eussions connaissance, que la garde nationale avait assisté à la plantation des arbres de la liberté, mais, puisque les signataires de la lettre conviennent de ce fait, en vertu de quelle autorisation se trouvaient-ils là ? Eh quoi ! Des gardes nationaux qui ont juré d’être fidèles à la devise Liberté, Ordre public, se permettent de disposer de deux places, sans consulter le maire, qui seul a la police de la commune ?
Mais, dit-on, le maire ne s’est pas opposé à la plantation des arbres de la liberté. Il suffirait qu’il n’eut point donné son autorisation pour que les habitants qui ont pris part à la plantation fussent dans leur tort, mais si le maire ne s’est pas opposé à cette cérémonie, au moment où elle a eu lieu, parce qu’il n’était pas à Aubière, nous tenons de ce magistrat, que, la veille, samedi soir, avait été informé de ce projet, il l’avait vivement improuvé, et voilà ce que n’ignoraient point ceux qui ont planté les deux arbres de la liberté.
En rapportant dans toute sa simplicité le fait que le Journal du Puy-de-Dôme avait travesti, y avons-nous ajouté aucune circonstance qui pût ajouter à sa gravité ?
Loin de là, nous avons repoussé les assertions calomnieuses du Journal du Puy-de-Dôme. Il a bien fallu convenir pourtant que les habitants d’Aubière s’étaient mis dans le tort, mais c’est sur le ton de la bienveillance, et non de l’animosité que nous leur avons donné cet avis. Au reste ce que nous avons dit, nous le redisons encore en ne consultant pas l’autorité civile, avant de planter un arbre sur la voie publique, les habitants d’Aubière ont, non seulement manqué à toutes les convenances, mais ils ont encore agi illégalement.
S’il fallait flatter le peuple et l’enhardir ou l’encourager à l’insubordination envers ses magistrats, nous ne voulons pas être en ce sens le journal du peuple, et nous ne l’avons jamais été.
Le peuple est aussi une puissance qui a ses courtisans et ses flagorneurs. Nous qui n’avons jamais cherché les faveurs du pouvoir, lorsqu’il était en opposition à nos principes, nous ne reculerons pas non plus devant la crainte de perdre la faveur de certain parti en défendant ce que nous croyons être juste et vrai. Entre les hommes du mouvement progressif et ceux du mouvement désordonné, notre choix est fait : toutes les accusations de servilité et de ministérialisme ne nous en feront pas départir. Quant au mérite littéraire de nos articles, nous y attachons peu de prix ; les critiques qu’on nous adresse sur ce point ne nous chagrinent guère. Il serait bien vain ou bien fou l’écrivain qui, dans nos jours d’agitation, ayant une pensée utile à émettre, la laisserait évaporer en cherchant à cadencer sa période. Assurément, de tous les articles sortis de notre plume, celui que nous avons consacré à la victoire des Polonais, est un de ceux que nous avons écrits avec le moins d’efforts et le plus de plaisir. Il n’a pas satisfait le goût difficile de MM. les officiers et sous-officiers de la garde nationale d’Aubière, qui en ont trouvé le style guindé. Cette observation peut être vraie, mais il nous parait tant soit peu singulier qu’elle nous arrive d’Aubière, où nous ne sachons pas qu’il existe beaucoup d’académiciens.
Ceci est sans doute une gentillesse du secrétaire de ces Messieurs ; seulement il aura oublié de faire parler à chacun le langage qui lui est propre. Paul-Louis, le canonier-vigneron, n’aurait pas fait ce contre-sens : en pareil cas il eût écrit, en style simple et naïf, une lettre bien piquante, bien malicieuse… mais le secrétaire de l’état-major d’Aubière, n’a, par malheur, rien de commun avec l’immortel pamphlétaire.
Nous bornerons ici cette polémique ennuyeuse pour la majorité de nos lecteurs, qui préfèrent, à des épigrammes, à des personnalités, un bon résumé de nouvelles politiques et des réflexions judicieuses sur les événements de l’intérieur et de l’étranger. Nous avons admis la réponse de MM. les officiers et sous-officiers d’Aubière, nous ne voulons pas prolonger plus longtemps une discussion sans objet et sans utilité.


(*)- Nous aurions pu nous refuser à l’insertion de cette lettre, pour plusieurs motifs : d’abord, la loi n’accorde la faculté de répondre à un article qu’aux personnes qui ont été nommées ou désignées dans un journal ; or nous n’avons nommé ni désigné aucun des signataires de la lettre ; en second lieu, cette lettre étant une réponse collective à l’Ami de la Charte et au Journal du Puy-de-Dôme, si étrangement rapprochés, nous ne pourrions être obligés à rapporter ce qui concerne cette feuille ; en troisième lieu, rien ne nous garantissait que la lettre émanât réellement des personnes qui l’ont signée. Elle a été remise à notre bureau, non par un ou plusieurs signataires, mais par un habitant de Clermont, qui ne nous est pas connu. Malgré tous ces motifs, nous n’avons pas balancé à l’imprimer, afin de montrer combien nous sommes partisans de la publicité, même lorsqu’on cherche à nous noircir dans l’esprit de nos concitoyens. Nous serons toujours disposés à défendre nos actes comme nos principes. (Note du Rédacteur)

***

On reste perplexe à la lecture de ces échanges épistolaires par journaux interposés. Il est difficile de déceler où se trouve la vérité. L’histoire nous avait montré des Aubiérois plutôt modérés. Près de leurs intérêts et procéduriers, mais dénués d’esprit révolutionnaire et frondeur. Même l’époque révolutionnaire, à laquelle Le Journal du Puy-de-Dôme comme L’Ami de la Charte font allusion, avait été vécue dans le calme. Le seul « guillotiné » aubiérois, le baron ANDRÉ, qui fut d’ailleurs peut-être fusillé à Lyon, n’a été la victime que d’un seul extrémiste, M. GIRARD, qui n’a pas été suivi dans son acharnement par l’ensemble de la population aubiéroise. L’on peut s’étonner en effet que « bonnets rouges » et « ça ira, ça ira ! » aient fait leur apparition sur les places d’Aubière 40 ans après, à l’occasion du remplacement d’un arbre de la Liberté, mort de mort naturelle. Cependant, 182 ans plus tard on peut avoir un autre regard sur ces événements. Il est vrai que les mouvements populaires de 1830 avaient été étouffés par « l’éclosion » d’une monarchie « désignée » : exit le droit divin. Cet événement à Aubière pourrait être l’expression de l’affirmation d’une opposition face à une majorité séculaire, modérée et silencieuse. Cette opposition, à connotation républicaine, annonce vraisemblablement celle qui se fera jour dix ans plus tard, lors des émeutes de septembre 1841 à Clermont-Ferrand.

Sources : A.D.63 - 2.O.14/3 (Affaire Thibaud-Landriot, 1831).

Suivez l'histoire et la généalogie d'Aubière sur :  http://www.chroniquesaubieroises.fr/
 
 

1 commentaire:

  1. Belle histoire ! Les arbres de la liberté racontent nos villes et nos villages !
    Bravo !

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